Pause ONF : « Kanehsatake – 270 ans de résistance », 25 ans plus tard
Le 11 juillet 1990, la Sûreté du Québec (SQ) prend d’assaut la barricade érigée sur un petit chemin de terre par les Mohawks de la communauté de Kanehsatake.
Depuis le mois de mars, ils s’opposent à un projet domiciliaire et d’agrandissement d’un terrain de golf que la municipalité d’Oka a approuvé et qui viendrait empiéter sur une pinède faisant partie de leur territoire.
Les manifestants ignorent depuis plusieurs semaines deux injonctions de la cour qui ont été obtenues par Oka et qui demandent le retrait de la barricade. Des bombes lacrymogènes sont lancées contre les opposants de Kanehsatake et les guerriers mohawks de Kahnawake et d’Akwesasne venus en renfort. Plusieurs coups de feu sont échangés. L’intervention de la police provinciale tourne à la tragédie.
Le caporal Marcel Lemay, un agent de la SQ, est tué dans la fusillade. Les policiers décident de battre en retraite. Profitant de la confusion qui suit l’attaque, les manifestants renforcent leur barrage en bloquant, cette fois, la route 334. En apprenant la nouvelle, les Mohawks de Kahnawake, en soutien à leurs frères de Kanehsatake, bloquent le pont Mercier. C’est le début de la crise d’Oka.
Quand la cinéaste Alanis Obomsawin entend la nouvelle, elle décide tout de suite de mettre sur pied une équipe de l’ONF afin de filmer les événements qui vont suivre. Depuis le début de sa carrière, quand un fait important concernant des communautés autochtones se produit, elle se fait un devoir d’en rendre compte.
Kanehsatake, 270 ans de résistance, Alanis Obomsawin, offert par l’Office national du film du Canada
Un grand film
Elle débarque là-bas avec sa petite équipe en croyant que le siège ne durera que quelques jours. Or, il ne prendra fin qu’après 78 jours! Cet événement politique majeur marquera à jamais les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones au Canada. La cinéaste abénaquise en tirera d’ailleurs son plus grand film.
L’année 2018 marque le 25e anniversaire de la sortie de Kanehsatake – 270 ans de résistance. Bien que le documentaire ait connu beaucoup de succès, son lancement ne s’est pas fait sans difficulté. La CBC et Channel 4, la chaîne de télévision privée britannique, entendent parler du projet lors du montage. Des employés de la CBC viennent même à l’ONF pour voir le travail de la cinéaste et de son monteur. Leur tâche est colossale.
Après avoir répertorié tout le contenu de la centaine d’heures d’images tournées, ils entament un long processus. La première version du film dure dix heures! Elle est ramenée à trois heures, puis à 119 minutes, sa durée finale. Pourtant, la CBC juge que le documentaire est encore trop long et réclame une version de 48 minutes! La cinéaste refuse. Impossible de raconter les 78 jours de la crise en si peu de temps! C’est finalement Channel 4 qui achète le film dans son intégralité.
Une première mondiale en Angleterre
La chaîne britannique organise d’abord des séances de visionnage privées avec différents publics cibles pour voir la réaction des gens. Les projections suscitent beaucoup d’enthousiasme. Les spectateurs se lèvent en bloc à la fin pour ovationner le film. La diffusion survient une semaine plus tard.
Étonnant de constater que l’œuvre la plus importante d’Alanis Obomsawin aura eu sa première mondiale en Angleterre et que la première télédiffusion aura eu lieu sur les ondes d’une chaîne étrangère! La CBC finira par acheter et diffuser le film dans sa version originale plusieurs mois plus tard.
Kanehsatake – 270 ans de résistance est, comme son titre l’indique, bien plus qu’un film qui relate les événements d’Oka. Il met en lumière près de trois siècles de résistance de la nation mohawk contre l’envahissement de son territoire. Il s’agit d’un point de vue de l’intérieur, celui des Autochtones qui ont vécu la crise. Un regard unique sur l’affrontement entre les Mohawks, la SQ et l’armée canadienne à l’opposé des reportages télévisuels et des analyses journalistiques de l’époque.
C’est une œuvre phare. Un film-choc. Un moment charnière dans l’histoire du cinéma autochtone. Il représente la consécration d’une cinéaste qui, sans relâche, depuis près d’une cinquantaine d’années, défend avec intelligence et sensibilité les causes des peuples autochtones au Canada et s’emploie, film après film, à faire entendre leur voix.
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