L’ONF s’engage à respecter votre vie privée

Nous utilisons des témoins de navigation afin d’assurer le bon fonctionnement du site, ainsi qu’à des fins publicitaires.

Si vous ne souhaitez pas que vos informations soient utilisées de cette manière, vous pouvez modifier les paramètres de votre navigateur avant de poursuivre votre visite.

En savoir plus
Festival international d’animation d’Ottawa | Hommage à Joanna Quinn

Festival international d’animation d’Ottawa | Hommage à Joanna Quinn

Festival international d’animation d’Ottawa | Hommage à Joanna Quinn

Julie Roy, productrice exécutive du Studio d’animation français de l’ONF et spécialiste du cinéma d’animation des femmes, a rédigé un essai sur le film Dreams & Desires : Family Ties de Joanna Quinn (Royaume-uni), Grand prix 2006 du Festival international d’animation d’Ottawa, dont la 40e édition se déroulera du 21 au 25 septembre prochains. Une version anglaise de ce texte se trouve sur le site web du Festival. Joanna Quinn travaille actuellement sur son prochain film, réalisé en coproduction avec le Studio d’animation anglais de l’ONF.

+++

Dreams & Desires – Family Ties | L’émancipation et la liberté d’une femme animée!

En 40 ans, seulement 3 femmes[1] ont reçu l’un des 26 Grand prix du Festival international d’Ottawa. Avec son film Dreams & Desires – Family Ties, réalisé en 2006, Joanne Quinn est l’une d’elles. Voilà une entrée en matière séduisante pour parler d’une œuvre forte, résolument féminine.

À propos de Joanna Quinn

Figure marquante de l’animation au Royaume Uni, Joanna Quinn est originaire de Birmingham,  mais elle vit et travaille à Cardiff depuis de nombreuses années. Au cours de trois décennies, elle a réalisé sept films d’animation personnels, deux d’entre eux s’étant mérité une nomination aux Oscars (Famous Fred, 1996 et Wife of Bath, 1998). En 1987, elle fonde avec Les Mills la compagnie Beryl Productions, ce qui lui permet d’alterner sa production d’auteur et celle de films publicitaires.

Dreams & Desires – Family Ties est le dernier court métrage qu’elle ait réalisé et celui qui a été le plus récompensé, raflant plus d’une quarantaine de prix internationaux, dont trois prix au Festival d’animation d’Annecy (Prix du public, Prix spécial du jury et Prix Fipresci). Tout comme son premier opus, Girls Night Out (1986), Dreams & Desires – Family Ties concentre tout ce qui distingue le cinéma de Joanna Quinn.

Non seulement Joanna Quinn met-elle à l’avant-scène des femmes, mais elle utilise la provocation et un humour grivois qui demeurent encore rares dans le cinéma d’animation féminin.

Tout d’abord, on y retrouve ce parti pris de mettre en scène des personnages principaux féminins affirmés et extravertis, ne correspondant pas aux standards de beauté et de personnalité que l’on retrouve majoritairement sur nos écrans. Les femmes de Joanna Quinn sont rondes, elles ont des défauts, elles assument leur corps, elles boivent, parlent et rient fort, etc. Voilà qui décrit bien sa célèbre Beryl, personnage central de Dreams & Desires – Family Ties et qui apparaît de manière récurrente dans la filmographie de l’animatrice (Girls Night out, Body Beautiful – 1990[2]). Femme issue du milieu ouvrier, dans la force de l’âge, aussi excentrique qu’assumée, Beryl ne se contente pas de rester à la maison aux côtés de son mari bien « évaché » devant la télévision ou de se laisser humilier par un entraîneur macho! Dans Girls Night Out, face à un stripteaseur très sûr de lui et arborant ses atouts de mâle alpha, Beryl aura le dernier mot en lui retirant son slip face à toutes les femmes en délire! Triomphante, elle rapportera à la maison ce bout de tissu aux motifs de léopard, tel un trophée de chasse! Sa victoire sera toute aussi éclatante dans Body Beautiful alors qu’après des mois d’entraînement acharné, elle sera l’élue d’un concours de beauté, écrasant du coup le prétentieux bodybuilder aux cheveux bouclés!

Dans Dreams & Desires – Family Ties, Beryl atteint certainement des sommets de débordements. Après avoir reçu en cadeau une caméra vidéo, la cinéaste amateur a des velléités de filmer le mariage de sa bonne amie avec ambition, en se mesurant aux grands noms ou grands courants du 7e art : Eisentein, Bunuel ou, encore le kino-pravda. Entre rêveries, fantasmes et réalité, son projet est évidemment une totale catastrophe.

dreams_and_desires_family_ties_s-519847670-large

Non seulement Joanna Quinn met-elle à l’avant-scène des femmes[3], mais elle utilise la provocation et un humour grivois qui demeurent encore rares dans le cinéma d’animation féminin. Il s’agit d’ailleurs là d’une autre caractéristique de sa personnalité cinématographique. Dreams & Desires – Family Ties est extrêmement intéressant à cet égard puisqu’elle y pousse l’audace un cran plus loin que dans ses films précédents. Sans mettre à mal toute l’affection que la cinéaste éprouve pour sa muse Beryl, elle nous la présente cette fois avec ses failles, la dévoilant ivre au point de s’écrouler, son visage tombant lourdement dans son assiette. Sans retenue ni censure, Quinn joue l’irrévérence à outrance, que ce soit au niveau du langage – un juron n’attend pas l’autre –  au niveau symbolique – Beryl, nue, qui tend la main au Christ cloué sur sa croix – au niveau de sa mise en scène – la caméra en plongée qui dévoile Beryl, sur le bol de toilette, culotte baissée et verre de vin à la main – l’insertion de scènes scatologiques – les pets et la défécation du chien devant la mariée, etc. Le grand succès du film s’explique sans contredit par la manière très sincère dont la cinéaste assume avec conviction et affection son œuvre politiquement incorrecte.

Il est intéressant de remarquer qu’en 2006 alors que Dreams & Desires – Family Ties voyageait à travers le monde, le jouissif Carnaval des animaux de la cinéaste tchèque Michaela Pavlatova circulait en festivals. Un an plus tard, en 2007, l’Américaine d’origine lettone Signe Baume signait ses juteux épisodes de Teat Beat of Sex. Des projets qui illustrent de manière évidente –  et chacun à leur manière – le large spectre et la liberté de l’expression féminine qui, à travers le medium de l’animation, abordent sans complexe l’intimité de l’érotisme et de la sexualité. De manière onirique et à travers l’anthropomorphisme dans le cas de Pavlatova et de manière faussement autobio-didactique dans le cas des courts clips de Baumane.

Une virtuose de l’animation

Joanna Quinn est une virtuose de l’animation. En cela aussi, elle se démarque. Elle le démontrait déjà dans Girls Night Out, sa première œuvre professionnelle initialement issue d’un travail étudiant. Cette virtuosité est affirmée avec une assurance encore plus marquée dans Dreams & Desires – Family Ties. Travaillant le dessin sur papier de manière traditionnelle, elle a su se créer une identité visuelle qui lui est propre et qui marquera toute son œuvre et ce, jusque dans ses travaux commerciaux, comme par exemple dans la campagne publicitaire de Charming Bear (papier de toilette Charmin). La grande fluidité et l’élasticité de son animation, son trait  « sketché » où l’on sent la flexibilité du geste de l’animatrice, les lignes souples et nerveuses à la fois, tout cela traduit le soin particulier qu’accorde Quinn au mouvement. Paradoxalement, on ressent parfois le désir d’arrêter l’image pour apprécier pleinement les dessins fixes, notamment ces nus dodus qui rappellent les esquisses de modèles vivants et qui expriment avec vigueur tout l’amour du dessin qu’éprouve la réalisatrice. Comme ses personnages, l’animation est exubérante et les mouvements, exagérés. Quinn possède un grand sens de la caricature en mouvement.

Joanna Quinn est une artiste singulière qui a déjà laissé son empreinte dans la communauté internationale du cinéma d’animation. Comme ce fut le cas à quelques reprises dans l’histoire de l’animation, elle continue de collaborer sur le long terrain de la création avec son mari et fidèle complice Les Mills[4]. Cofondateur de Beryl Productions International Ltd, il est partie prenante de toutes les aventures cinématographiques, que ce soit comme scénariste, concepteur sonore ou producteur. Réjouissons-nous de savoir que l’attachante Beryl sera éventuellement de retour, toujours aussi libre, émancipée et assumée. Exactement à l’image de l’animation de sa créatrice.

 

Julie Roy
Productrice exécutive
Studio d’animation français, ONF

31 mars 2016

+++

[1] Caroline Leaf a remporté ce prix à deux reprises. En 1976 pour son film The Street et en 1992 pour Entre deux sœurs. En 2015, Sarina Nihei remportait le Grand prix d’OIAF pour Small people with Hats.
[2] Beryl doit d’ailleurs réapparaître dans le film auquel travaille Joanna Quinn au moment où j’écris ces lignes.
[3] Les films Elles (1992) ainsi le magnifique Wife of Bath (1998) ont aussi comme personnages principaux des femmes. Ce sont deux modèles du peintre Toulouse Lautrec dans le premier et une vieille femme laide et plissée qui sauvera un chevalier de la cour du Roi Arthur dans le second.
[4] Mary Ellen Bute, Lotte Reiniger, Claire Parker, Gisèle Ansorge et Faith Hubley ne sont que quelques exemples de femmes cinéastes d’animation ayant évolué aux côtés de leur mari dans l’accomplissement de leur art.

 

Ajouter un commentaire

Commenter