
La véritable histoire des origines du cinéma canadien
La véritable histoire des origines du cinéma canadien
Concocté avec grand soin, Un temps retrouvé est un hommage fascinant, affectueux et ludique rendu à une génération de pionnières du cinéma qui travaillaient à l’ONF dans les années 1940. La plupart des gens n’en ont jamais entendu parler. L’œuvre de Donald McWilliams change du tout au tout notre point de vue sur l’histoire des origines du cinéma au Canada.
Ce long métrage est né d’une conversation que j’ai eue avec Don (il s’en souvient comme d’une directive) à la fin de 2017, après qu’il eut découvert, dans les archives de l’ONF, 78 minutes de séquences tournées en 1975 lors du rassemblement 4 jours en mai. Cet événement phare de l’Année internationale de la femme, organisé par Kathleen Shannon et le Studio D — un studio de production récemment créé par l’ONF et consacré exclusivement au cinéma des femmes —, avait réuni des dizaines de femmes qui avaient travaillé pour le producteur public canadien dans ses premières années d’existence.
Ces 78 minutes ne constituaient qu’un fragment des nombreuses heures d’images tournées au cours de ces quatre jours. Nous avons appris que les images originales avaient été envoyées à la poubelle dans les années 1990.
Ce qui reste, toutefois, est captivant. Des aperçus fugaces d’échanges animés dans un grand groupe de femmes qui ont occupé des fonctions très variées : réalisatrices, directrices de la photographie, monteuses, animatrices, administratrices, spécialistes de la distribution et, surtout, monteuses de négatifs. La plupart des visages nous étaient inconnus. Quelques-uns nous étaient toutefois familiers, notamment ceux d’Evelyn Spice Cherry, première cinéaste canadienne engagée par le fondateur de l’ONF, John Grierson, et codirectrice de l’unité agricole ; de Jane Marsh, sœur de la poétesse Elizabeth Smart et seule femme ayant réalisé la série d’actualités Le monde en action ; et, enfin, de Gudrun Bjerring Parker, embauchée à Winnipeg, qui est rapidement devenue réalisatrice et a été nommée à la tête de l’unité éducative. Hélas, on voit Gudrun, mais on ne l’entend jamais dans les séquences restantes du rassemblement de 1975. Ces lacunes demeurent infiniment frustrantes.

Le 29 décembre 2017, Don m’a écrit : « Si nous voulons lancer un projet sur les femmes de l’ONF, nous devons raconter l’histoire de cette période, à la fois telle qu’elle était perçue à l’époque et avec le recul nécessaire. Et, bien sûr, comme je cherche toujours à le faire dans mes films, nous devons évoquer de façon implicite sa pertinence pour aujourd’hui. »
C’est ainsi que tout a commencé.
La phase initiale de développement s’est transformée en un processus de production de près de sept ans, à mesure que la portée du projet s’élargissait et que Don s’attaquait à une montagne toujours plus grande de documents nouvellement découverts. Le travail était empreint d’un profond sentiment de responsabilité envers ces femmes. Il se teintait aussi d’incertitude face à de nombreuses complications : immensité de la tâche, obstacles persistants à l’accès aux documents dans les archives externes, limites du travail à distance pendant la période la plus difficile de la pandémie. Don était également aux prises avec une tension inévitable : tenter de présenter une histoire convaincante et faire des choix déchirants — quels récits retenir, lesquels abandonner.
Dix ans seulement avant la fondation de l’ONF en 1939, un groupe de juges masculins de la Cour suprême du Canada avait statué que les femmes étaient bel et bien des personnes. L’affaire avait été portée devant le plus haut tribunal du pays après que les gouvernements fédéraux successifs eurent soutenu que les femmes ne pouvaient être nommées au Sénat, puisqu’elles n’étaient pas légalement des « personnes ». Bon nombre des femmes qui figurent dans Un temps retrouvé étaient à l’aube de l’adolescence lorsque la Cour suprême a rendu sa décision révolutionnaire. Elles ont donc grandi à une époque où des portes autrefois fermées aux femmes au Canada étaient en train de s’entrouvrir.
Né au milieu des années 1930, Don a environ 20 ans de moins que la plupart des femmes du film. Il en a rencontré plusieurs incidemment, entre autres Evelyn Spice Cherry et Gretta Ekman. Avec John Grierson, elles ont été profondément marquées par la « peur des rouges », cette époque où la guerre froide s’installait et où les inquiétudes concernant l’influence de la Russie soviétique allaient croissantes. Quantité de personnes innocentes ont été visées par de vagues allégations mettant en doute leur loyauté. Il s’agit là d’un des nombreux sujets passionnants que le film explore.
Don entretient une relation suivie avec l’ONF depuis la fin des années 1960. Il a été le dernier grand collaborateur de Norman McLaren, la légende de l’animation. Il est d’ailleurs le gardien des archives personnelles de McLaren. À l’instar de nombreuses personnes qui le connaissent, je considère Don comme l’historien officieux de l’ONF. Proximité générationnelle, compréhension inégalée de l’Office, pragmatisme inouï pour fouiller dans les archives officielles et officieuses, aptitudes techniques, sensibilité unique : tous ces atouts composent un profil singulier qui lui a permis de s’attaquer à cette œuvre.
Alors que Don souffrait sous le fardeau qu’il avait commencé à appeler, à moitié avec réticence, à moitié avec affection, « l’albatros », une vue d’ensemble de l’histoire du cinéma canadien et du terroir qui l’avait nourri émergeait lentement. En collaboration avec la chercheuse Alison « Red » Burns, Don a trouvé quantité de nouveaux documents d’archives : cassettes, lettres, journaux intimes, photographies, croquis, enregistrements audio. Ces documents lui ont permis de structurer le film autour des voix et du travail des femmes elles-mêmes.

L’étendue tout à fait étonnante des talents de l’ancien Office du film apparaît très vite. Un temps retrouvé évoque de nombreuses personnes remarquables, mais beaucoup d’autres — qui ne figurent pas dans le montage final — sont passées brièvement par l’ONF, entre autres les écrivaines accomplies Mavis Gallant, P.K. Page, Joyce Anne Marriott et Irene Baird, ainsi que la future architecte Blanche van Ginkel, grâce à laquelle le Vieux-Montréal n’est pas devenu une autoroute surélevée au début des années 1960. John Grierson avait cet étrange talent de dénicher des personnes intelligentes, dotées d’un sens aigu de l’objectif social, et de leur donner l’espace nécessaire pour qu’elles se débrouillent. Bon nombre de femmes (et d’hommes) parlent de l’atmosphère de découverte, d’effervescence et d’enthousiasme qui régnait dans ces premières années. Goldie Gennis Burns (la « Red » Burns originale), dont l’histoire occupe une place importante dans le film, explique comment cet esprit a inspiré la culture qu’elle a ensuite implantée dans le légendaire programme de technologie interactive de la Tisch School of the Arts.
Un autre thème émerge rapidement : l’accent humaniste des films de ces nombreuses femmes. Au début de l’après-guerre, bon nombre de personnalités masculines de l’ONF réfléchissent à la finalité (« Qu’est-ce qui rendrait la paix aussi intéressante que la guerre ? »). En revanche, des femmes comme Spice et Bjerring s’interrogent déjà sur un éventail de questions sociales fort intéressantes qui touchent d’emblée la population canadienne. Ces questions portent, entre autres, sur les garderies pour les enfants et la façon dont les communautés rurales, encore sous le choc de la crise de 1929, s’organisent pour trouver des réponses coopératives aux problèmes sociaux.
L’ONF est le berceau du cinéma canadien, un studio de production public dont l’unique mission consiste à montrer à la population canadienne la vie de ses concitoyennes et concitoyens, et à cultiver un sentiment d’appartenance. Un temps retrouvé renverse notre compréhension de cette histoire et de la manière dont on la raconte habituellement. J’espère que les incroyables documents que Don a mis au jour constitueront la base d’archives qui seront cataloguées et conservées pour les générations futures de cinéastes, d’universitaires, d’historiennes et d’historiens. Don a ouvert la voie. Tant d’autres histoires attendent d’être contées.
Visionnez Un temps retrouvé :
Un temps retrouvé, Donald McWilliams, offert par l’Office national du film du Canada
Michelle van Beusekom est l’ancienne directrice générale du Programme anglais de l’ONF. Elle est actuellement présidente-directrice générale de Knowledge Network.