
Santé mentale : un tour d’horizon animé ! | Perspective du conservateur
Santé mentale : un tour d’horizon animé ! | Perspective du conservateur
Chaque année, en mai, la population canadienne s’unit pour souligner la Semaine de la santé mentale, un événement institué en 1951 par l’Association canadienne pour la santé mentale. Cette année, la semaine aura lieu du 5 au 11 mai sous le thème : la santé mentale, sans masque. L’organisme veut ainsi rappeler qu’« avoir des problèmes de santé mentale oblige souvent les gens à se cacher derrière un masque[1] ».
À l’ONF, les cinéastes n’ont pas tardé à faire tomber les masques. Dès la fin des années 1940 et dans les années 1950, plusieurs films sont produits sur le sujet, comme Bannis imaginaires (1947), Au service de l’esprit troublé (1955), Back into the Sun (1956) ou Le stigmate (1958). Ces docufictions d’une trentaine de minutes environ, dont plusieurs sont commanditées par ce qu’on appelait à l’époque le service de l’hygiène mentale du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, sont présentées dans les salles de cinéma et sur les ondes de la télévision nationale.
Étonnamment, il faut attendre beaucoup plus longtemps pour voir le sujet apparaître dans le cinéma d’animation. Au fil des décennies, il se manifeste ici et là dans quelques films, mais ce n’est que dans les années 2000 et 2010 qu’il va véritablement s’imposer. Dans ce billet, j’aimerais vous proposer un tour d’horizon de nos meilleures animations sur le thème de la santé mentale. Commençons par un film précurseur dont il faut absolument parler.
Ma carrière financière (1962)
Alors qu’il est à la recherche d’une idée pour son prochain film, le cinéaste d’animation Gerald Potterton tombe sur une nouvelle de Stephen Leacock, The Conjurer’s Revenge. Il songe à en tirer un court métrage, mais son ami le réalisateur et producteur Wolf Koenig lui suggère plutôt d’adapter Ma carrière financière du même auteur, qui est, selon lui, une bien meilleure histoire. Potterton est séduit par l’idée et se met au travail. Il opte pour la technique du papier découpé, qu’il juge moins fastidieuse et plus amusante que celle du dessin sur celluloïd utilisée par Disney, et qui était en vogue à l’époque. Il travaille avec le cinéaste Grant Munro. Les deux artistes mettent une année pour terminer le projet. Le film raconte, sur un ton humoristique, l’histoire d’un homme qui est terrifié à l’idée d’entrer dans une banque, mais qui décide, tout de même, d’aller ouvrir un compte. Avec ce film, Potterton aborde, sans en être réellement conscient, la question du trouble anxieux, faisant de Ma carrière financière un des premiers films d’animation de l’ONF sur la santé mentale. Le film connaît beaucoup de succès et il obtient, en 1963, une nomination aux Oscars dans la catégorie Meilleur court métrage d’animation.
Ma carrière financière, Gerald Potterton, offert par l’Office national du film du Canada
Seul dans mon univers
La maladie mentale a souvent pour effet de provoquer l’isolement et la marginalisation. Plusieurs films la présentent sous cet angle. C’est le cas de Margins (2007), le très beau court métrage d’Oliver Tsuji issu de la 4e édition de Hothouse, notre programme de formation et de mentorat professionnel en animation. Le réalisateur illustre très bien ce phénomène en nous montrant un homme seul marchant dans les rues d’une ville alors qu’il croise des gens aux regards indifférents.
Margins, Oliver Tsuji, offert par l’ Office national du film du Canada
Il en va de même de Je suis ici (2016) d’Eoin Duffy, une animation poétique et puissante, qui nous fait découvrir Frank, un itinérant. L’homme voyage à travers l’espace et le temps en pensées à la recherche de quelqu’un, pour se rendre compte qu’il est seul au milieu des ténèbres.
Je suis ici, Eoin Duffy, offert par l’ Office national du film du Canada
La graphiste, illustratrice, autrice de bande dessinée et cinéaste d’animation Catherine Lepage utilise, dans Le mal du siècle (2019), des images fortes et évocatrices pour illustrer l’état d’angoisse, de dépression et de solitude d’une femme prise dans le piège de l’hyperperformance. Enfin, Alicia Eisen et Sophie Jarvis nous montrent à quel point les phobies d’une personne peuvent l’isoler et l’emprisonner, dans leur court métrage image par image Zeb et l’araignée (2022).
Le mal du siècle, Catherine Lepage, offert par l’Office national du film du Canada
Les proches
Lorsqu’une personne souffre de maladie mentale, cela entraîne nécessairement des répercussions sur les autres membres de sa famille. L’autrice et réalisatrice Wanda Nolan le démontre magnifiquement bien dans Le mystère de la chambre secrète (2016), réalisé en collaboration avec l’animatrice Claire Blanchet. Grace, une fillette de 10 ans, accompagne sa mère atteinte de dépression chez le médecin. Dans la salle d’attente, sous les regards d’autres patientes, elle se réfugie dans son livre, Le mystère de la chambre secrète. Elle se laisse alors emporter dans un monde imaginaire rempli d’obstacles qui l’éloignent de sa mère, mais dans lequel elle finit par la retrouver. Un récit simple, sans paroles, dont la puissance d’évocation est sans pareille.
Le mystère de la chambre secrète, Wanda Nolan, offert par l’Office national du film du Canada
Dans le même ordre d’idée, mentionnons également le très beau film de Franck Dion, Une tête disparaît (2016). Cette animation en 3D raconte l’histoire de Jacqueline, que l’on devine atteinte de la maladie d’Alzheimer. Comme elle le fait tous les étés, la vieille dame est bien décidée à prendre le train pour aller voir la mer, au grand dam de sa fille, qu’elle ne reconnaît plus et qui tente de la rattraper. Un film tout en tendresse et en poésie, qui a remporté de nombreux prix, dont le Cristal du meilleur court métrage au prestigieux festival d’animation d’Annecy, en France.
Une tête disparaît, Franck Dion, offert par l’ Office national du film du Canada
Quand la vulnérabilité devient une force créatrice
Il arrive parfois que des artistes qui sont aux prises avec la maladie mentale y puisent une force créatrice. C’est certainement le cas des cinéastes Ryan Larkin et Arthur Lipsett.
Le premier a réalisé quatre films d’animation importants dans les années 1960 et 1970 à l’ONF, dont son célèbre En marchant (1968), nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur court métrage d’animation. Dans Ryan (2004), le cinéaste Chris Landreth nous parle de la vie et de l’œuvre de Larkin. Il nous laisse entendre la voix du célèbre animateur et celles de personnes qui l’ont bien connu par l’entremise de personnages animés en 3D. Les images sont à couper le souffle. Un film magistral qui a remporté l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2004.
Ryan , Chris Landreth, offert par l’Office national du film du Canada
Le second a réalisé 13 films expérimentaux à l’ONF de 1960 à 1970, dont Very Nice, Very Nice (1961), nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur court métrage en prise de vues réelles. Son œuvre lui a valu une reconnaissance mondiale et a influencé toute une génération de cinéastes, dont Stanley Kubrick et George Lucas. Le cinéaste Theodore Ushev lui a consacré un film, Les journaux de Lipsett (2010). Dans ce récit sous forme de journal intime, écrit par l’auteur et directeur artistique du Festival international d’animation d’Ottawa, Chris Robinson, et narré par le cinéaste et comédien Xavier Dolan, Ushev illustre avec brio la chute vertigineuse d’un artiste de génie dans la dépression et la folie.
Les journaux de Lipsett, Theodore Ushev, offert par l’Office national du film du Canada
Un peu d’humour
Je m’en voudrais de terminer ce tour d’horizon sans parler de films qui abordent la santé mentale avec humour. Il en existe plusieurs dans notre collection, comme Ma carrière financière (1962), dont nous avons parlé précédemment, Overdose (1994) de Claude Cloutier, Le syndrome de la tortue (2021) de Samuel Cantin ou encore Peut-être des éléphants (2024) de Torill Kove. Mais je voudrais m’attarder sur deux courts métrages qui me sont particulièrement chers.
La vie avec un brin de folie (2004) est un film du groupe Kiwistiti, un collectif de réalisateurs et de réalisatrices de films d’animation de Québec. Il est réalisé par Annie Frenette et animé par Philippe Arseneau Bussières, d’après le Petit dictionnaire des idées reçues sur la folie et autres considérations. Ce petit dictionnaire est truffé de courtes définitions rigolotes, que le groupe a mises en images afin de défaire nos préjugés sur la santé mentale. Mes préférées : « Antidépresseurs : Petites pilules qui donnent mauvais goût à la vie quand on oublie de les prendre », « Ambulance : Taxi très peu discret » et « Dignité : Plus difficile en pyjama ».
La vie avec un brin de folie, Annie Frenette, offert par l’Office national du film du Canada
Zoothérapie (2018) est le dernier opus du célèbre duo de cinéastes Alison Snowden et David Fine. Tout comme leurs précédents films à l’ONF, Georges et Rosemarie (1987) et L’anniversaire de Bob[2] (1993), il a été nommé aux Oscars dans la catégorie Meilleur court métrage d’animation. Ce petit bijou de court métrage nous plonge au cœur d’une séance de thérapie de groupe dirigée par le docteur Clement, un psychothérapeute canin. Le groupe est composé de Lorraine, une sangsue dépendante affective, de Victor, un gorille qui gère mal sa colère, de Cheryl, une mante religieuse qui entretient des relations dysfonctionnelles, de Todd, un cochon qui a un trouble alimentaire, de Jeffrey, un geai bleu qui a un problème de culpabilité refoulé, et de Linda, une chatte qui a un trouble obsessionnel compulsif. Une animation hilarante qui nous rappelle qu’il n’est pas facile de combattre sa propre nature, surtout quand elle est animale.
Zoothérapie, Alison Snowden et David Fine, offert par l’Office national du film du Canada
Je vous invite à voir les films dont j’ai parlé dans ce billet. Vous pouvez également consulter notre chaîne La santé mentale, qui comprend une riche sélection de documentaires et d’animations sur le sujet.
[1] Citation tirée du site de l’Association canadienne de la santé mentale, cmha.ca/fr/
[2] Gagnant de l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 1994.