Les documentaires de l’ONF aux Oscars | Perspective du conservateur
Lors de la 96e cérémonie des Oscars, le 10 mars prochain, Tuer un tigre (2022) de Nisha Pahuja sera en lice dans la catégorie « long métrage documentaire ». Il s’agit de la 78e nomination pour une production ou une coproduction de l’ONF. La plus grande récolte pour une maison ou un groupe de production à l’extérieur d’Hollywood! Pourtant, la dernière nomination dans cette catégorie remonte à 40 ans! Le métier des armes (1983) de Michael Bryans et Tina Viljoen avait disputé la statuette à quatre autres documentaires lors de la cérémonie de 1984, sans toutefois pouvoir la gagner.
Ce billet aimerait revenir sur quelques documentaires marquants dans l’histoire de l’ONF, qui ont été nommés aux Oscars. Une histoire qui commence dès 1941, alors que la grande fête du cinéma américain et international compte 12 années d’existence.
Tuer un tigre, Nisha Pahuja, offert par l’Office national du film du Canada
Cinéma de propagande
Durant la Deuxième Guerre mondiale, l’ONF, fondé en 1939, à la demande du gouvernement canadien, par John Grierson, est engagé dans une guerre de propagande contre la tyrannie, le totalitarisme et le racisme du régime nazi. Ses films, qui font la promotion de la démocratie et des valeurs canadiennes, sont vus par des centaines de milliers de Canadiens et de Canadiennes dans près de 800 salles de cinéma au pays. Ils seront également vus par près de trois millions d’Américains et d’Américaines dans 6000 salles aux États-Unis, grâce à une entente de distribution entre l’ONF et la société de distribution United Artists, alors dirigée par Charlie Chaplin et Mary Pickford. La qualité de ces courts métrages d’une quinzaine de minutes, présentés en début de programme, est vite remarquée par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, qui leur décerne quatre nominations en deux ans. Menace sur le Pacifique (1941), Au-dessus des frontières (1942), La Chine sous les armes (1942) et La forteresse de Churchill (1941), qui remportera la statuette, devenant ainsi le premier documentaire oscarisé de l’histoire du cinéma, sont nommés dans la catégorie « documentaire ».
La forteresse de Churchill, Stuart Legg, offert par l’Office national du film du Canada
Après la guerre
Les années d’après-guerre ainsi que le début des années 1950 sont difficiles pour l’ONF, qui a du mal à se renouveler après la fin du conflit mondial. De plus, l’avenir de l’organisme n’est pas du tout assuré. Il voit son budget diminuer considérablement, passant de 2,9 millions de dollars en 1945-1946 à $1,9 million en 1948-1949, une baisse de 34 %[1]. Les nombreuses nominations aux Oscars vont, en partie, assurer sa continuité. Les films Marée montante (1949) de Jean Palardy, Alerte : science contre cancer (1950) de Morten Parker, Les harenguiers (1953) de Julian Biggs et L’an un d’un festival (1953) de Morten Parker reçoivent une nomination.
L’ an un d’un festival, Morten Parker, offert par l’Office national du film du Canada
Lors de la 25e cérémonie, le 19 mars 1953, Voisins (1952) de Norman McLaren, qui est un film d’animation, gagne l’Oscar du court métrage documentaire, devenant ainsi le deuxième film oscarisé de l’ONF et le premier film d’animation de l’histoire du cinéma à recevoir un prix consacré à un documentaire ! Ce chef-d’œuvre de McLaren, qui est un vibrant plaidoyer contre la guerre, a été inscrit au registre international « Mémoire du monde » en 2009.
Voisins, Norman McLaren, offert par l’Office national du film du Canada
Les années 1960
Les nominations pour les films de l’ONF continuent de s’accumuler dans la décennie subséquente. De 1960 à 1966, trois documentaires reçoivent des nominations aux Oscars. Il s’agit de Notre univers (1960) de Roman Kroitor et Colin Low, Kénojouak, artiste esquimau[2] (1963) et Hélicoptère Canada (1966) d’Eugene Boyko. Bien qu’il n’ait pas remporté la statuette, le documentaire animé de Kroitor et Low se démarque particulièrement à Hollywood par la qualité et l’ingéniosité de ses effets spéciaux. Le film exercera une profonde influence sur le cinéaste Stanley Kubrick, qui, à l’époque, prépare son célèbre 2001, l’odyssée de l’espace (1968). Le cinéaste américain engagera d’ailleurs le narrateur Douglas Rain, celui de la version originale en anglais du film (Universe), afin qu’il prête sa voix au superordinateur HAL.
Notre univers , Roman Kroitor et Colin Low, offert par l’Office national du film du Canada
Studio D
Dans les années 1970 et 1980, l’aventure des films documentaires de l’ONF aux Oscars est sans contredit marquée par les productions du Studio D. Créé en 1974, sous l’initiative de la productrice Kathleen Shannon, il est l’un des premiers studios de production féministe au monde, subventionné par des fonds publics. De 1977 à 1983, trois de ses films obtiendront l’Oscar du court métrage documentaire, soit Je trouverai un moyen (1977) de Beverly Shaffer, Si cette planète vous tient à cœur (1982) de Terre Nash et Flamenco à 5 h 15 (1983) de Cynthia Scott.
Flamenco à 5 h 15, Cynthia Scott, offert par l’Office national du film du Canada
Plusieurs autres documentaires, qui ne sont pas issus du Studio D, obtiendront des nominations au cours des années 1970 et 1980. Mentionnons Le volcan : une réflexion sur la vie et la mort de Malcolm Lowry (1976) de Donald Brittain et John Kramer, un film fascinant sur un classique de la littérature mondiale, Au-dessous du volcan, écrit par l’un des plus grands écrivains du XXe siècle; Edmonton… et comment s’y rendre (1979) de Paul Cowan, un documentaire étonnant sur les XIes Jeux du Commonwealth, tenus à Edmonton en 1978; Le métier des armes (1983) de Michael Bryans et Tina Viljoen, troisième volet de la série La guerre créée par le journaliste Michael Gwynne Dyer, qui est, comme nous l’avons mentionné au début de ce billet, le dernier long métrage documentaire, avant Tuer un tigre, à avoir été nommé aux Oscars.
Le volcan : une réflexion sur la vie et la mort de Malcolm Lowry, Donald Brittain et John Kramer, offert par l’Office national du film du Canada
Par la suite, les nominations se font plus rares pour les documentaires de l’ONF. Seuls les courts métrages Les couleurs de mon père : un portrait de Sam Borenstein (1991) de Joyce Borenstein et Rebond (2005) d’Hubert Davis seront de la course pour la statuette dorée.
Je vous invite à voir les films mentionnés dans ce billet et à consulter également notre sélection de films gagnants et de films nommés aux Oscars, en cliquant ici.