Theodore Ushev : plus de 20 ans d’innovation en animation | Perspective du conservateur
Theodore Asenov Ushev (1968, Kyoustendil, Bulgarie) est l’un des collaborateurs créatifs les plus accomplis des dernières décennies à l’ONF. Au cours de ses 25 ans de carrière à titre d’animateur et de cinéaste, il a reçu des dizaines de prix et de récompenses dans le monde entier.
À l’occasion de la Journée mondiale du cinéma d’animation 2023, Perspective du conservateur met en lumière l’œuvre impressionnante de Theodore Ushev à l’ONF. Je vous invite à regarder pour commencer le remarquable documentaire de Borislav Kolev Theodore Ushev : liens invisibles (2022), mis en ligne aujourd’hui sur onf.ca. Avec beaucoup de chaleur, le documentariste nous guide parmi les lieux et les personnes qui ont, intentionnellement ou non, façonné l’univers créatif de Theodore Ushev : nous voici, pour notre plus grand bonheur, au cœur même de l’art, de l’histoire, de la culture et de la contre-culture en Bulgarie.
Theodore Ushev : liens invisibles, Borislav Kolev, offert par l’Office national du film du Canada
La naissance d’un grand cinéaste : 1999-2009
Lorsque Theodore Ushev s’établit à Montréal en 1999, il a déjà acquis une excellente réputation comme affichiste en Bulgarie. Avant de collaborer avec l’ONF, il réalise des dizaines de courts métrages pour le Web et expérimente divers styles dans des films tels Aurora (1999), Dissociation (2001) et Early in Fall, Late in Winter (2002). Vertical (2003), fruit de sa première collaboration avec l’ONF, est maintenant diffusé en continu sur onf.ca. Ce film d’humour noir sur l’absurdité d’un monde qui court à sa perte propose aussi une superbe allégorie évocatrice de l’antique mythe de Sisyphe.
Vertical, Theodore Ushev, offert par l’Office national du film du Canada
Entre 2003 et 2008, Theodore Ushev réalise quatre courts métrages pour l’ONF, Vertical, Tower Bawher (2005), Tzaritza (2006) et Drux Flux (2008), qui lui valent 12 prix, principalement remportés dans des festivals européens et nord-américains. Toutes ces productions sont magnifiques et très intéressantes à regarder, mais j’aime particulièrement Tower Bawher, qui rend hommage à l’art constructiviste soviétique, mouvement esthétique apparu en 1917. Dans ce film, Theodore Ushev évoque plusieurs artistes soviétiques dont les œuvres ont constitué un élément clé du paysage culturel des pays qui faisaient alors partie du bloc soviétique, dont sa Bulgarie natale. La trame sonore de Georgy Sviridov est également digne de mention.
Tower Bawher, Theodore Ushev, offert par l’Office national du film du Canada
L’auteur se révèle : 2010-2017
Les années 2010 sont déterminantes dans la carrière de Theodore Ushev. Le cinéaste réalise sept films en sept ans, un rythme incroyable pour un artiste ! Qui plus est, pendant toute cette période, il voit ses œuvres projetées et saluées dans certains des festivals et événements les plus prestigieux du monde. Le début de cette décennie fructueuse est marqué par la sortie du film Les journaux de Lipsett (2010), une étude de la vie d’Arthur Lipsett, réalisateur à l’origine de titres phares de l’ONF comme Very Nice, Very Nice (1961), 21-87 (1963) et A Trip Down Memory Lane (1965). Theodore Ushev illustre au moyen d’extraits de films d’Arthur Lipsett l’angoisse qui tourmentera ce cinéaste montréalais jusqu’à son décès prématuré à 49 ans. Les journaux de Lipsett a remporté pas moins de 15 prix et distinctions.
Lipsett Diaries, Theodore Ushev, provided by the National Film Board of Canada
Pendant cette décennie, outre Les journaux de Lipsett, Theodore Ushev réalise Yannick Nézet-Séguin : sans entracte (2010), Gloria Victoria (2012), 3e page après le soleil (2014), Manifeste de sang (2014), Vaysha l’aveugle (2016) et Déchéance publique – Sang (2017). Autant de films dont la forme et le contenu sont convaincants, en particulier Vaysha l’aveugle, qui vaut à Theodore Ushev une mise en nomination aux Oscars. Conçu dans un style expressif et percutant, à mi-chemin entre la peinture religieuse et la linogravure, ce film adapte une nouvelle philosophique de Georgi Gospodinov. Conte métaphorique captivant sur la difficulté de vivre ici et maintenant, d’une beauté et d’une sagesse intemporelles, il nous rappelle l’importance du moment présent[i].
Vaysha l’aveugle, Theodore Ushev, offert par l’Office national du film du Canada
Theodore Ushev et la Journée mondiale du cinéma d’animation
Au cours des cinq dernières années, Theodore Ushev a réalisé deux films non destinés à l’ONF, Barcelona Burning (2019) et Phi 1.618 (2022), et un film pour l’ONF, Physique de la tristesse (2019). Ce dernier retrace la vie d’un inconnu naviguant à travers ses souvenirs de jeunesse en Bulgarie, lesquels le ramènent à la mélancolie et au déracinement croissants qui plombent son existence d’adulte au Canada.[ii] Ce qui me frappe le plus dans ce film, c’est que, même après 25 ans de réalisation, Theodore Ushev crée toujours avec autant de passion et combine avec autant d’efficacité différentes techniques pour ciseler ce court métrage dystopique. Il a l’énergie d’un auteur qui redécouvre constamment sa forme d’art et s’efforce de laisser sa marque. Physique de la tristesse a reçu plus de 40 prix, témoignant ainsi de l’universalité de cette histoire personnelle qui m’a profondément touché à différents niveaux. Ce chef-d’œuvre d’une durée de 27 minutes renvoie aussi au mythe de Sisyphe, un thème cher à Ushev, et est mon préféré dans son riche corpus d’œuvres d’animation.
Physique de la tristesse, Theodore Ushev, offert par l’Office national du film du Canada
En attendant le prochain film de Theodore Ushev, et pour souligner la Journée mondiale du cinéma d’animation, je vous invite à vous plonger dans sa filmographie complète de l’ONF en cliquant ici et à découvrir certains des grands films qui n’ont pas fait l’objet d’une analyse détaillée dans le présent article, comme Tzaritza, Drux Flux ou Gloria Victoria. Je vous convie également à consulter les deux chaînes que nous avons créées sur les films d’animation de l’ONF, Animation dessinée à la main et Animation image par image, qui proposent des classiques et des nouveautés. La sélection comprend Chaque enfant (1979) d’Eugene Fedorenko, Le poète danois (2006) de Torill Kove, Madame Tutli-Putli (2007) de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, La maison du hérisson (2017) d’Eva Cvijanović et Meneath : l’île secrète de l’éthique (2021) de Terril Calder, entre autres. Longue vie à l’animation !
Bon cinéma !
[i] Description du film de l’ONF : https://www.onf.ca/film/vaysha_laveugle/
[ii] Description du film de l’ONF : https://www.onf.ca/film/physique-de-la-tristesse/
Image d’en-tête: Physique de la tristesse (2019) de Theodore Ushev