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Si cette planète vous tient à cœur, ou la petite histoire d’un grand film | Perspective du conservateur

Si cette planète vous tient à cœur, ou la petite histoire d’un grand film | Perspective du conservateur

Si cette planète vous tient à cœur, ou la petite histoire d’un grand film | Perspective du conservateur

Avec la menace nucléaire que brandit régulièrement le président russe Vladimir Poutine dans le cadre de la guerre en Ukraine, la commémoration des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, qui ont eu lieu les 6 et 9 août 1945, et la sortie du film Oppenheimer (2023) du cinéaste britannique Christopher Nolan, la question de l’utilisation des armes nucléaires est au cœur de l’actualité.

Notre collection contient plusieurs œuvres qui prennent position contre l’utilisation et la prolifération de telles armes.

Ce billet aimerait vous raconter l’histoire de l’une d’entre elles : un court film de 26 minutes qui a profondément changé les perceptions sur les conséquences d’une guerre nucléaire, remporté l’Oscar du meilleur court métrage documentaire, et dont la sortie aux États-Unis a eu des échos jusque dans les coulisses du Congrès américain et mis à mal les relations diplomatiques entre le Canada et son voisin du Sud.

Genèse d’un projet de film sur la guerre nucléaire

En novembre 1979, Terre Nash, qui prépare une thèse de doctorat en communication à l’Université McGill à Montréal, assiste à la première de deux conférences données par la Dre Helen Caldicott, médecin et militante antinucléaire australienne, sur les conséquences catastrophiques d’une guerre nucléaire sur la terre et sur sa population. Nash est profondément touchée par les propos de la médecin et songe à en tirer un film. Elle se rend à la deuxième conférence munie d’une caméra vidéo et filme l’événement.

Dre Helen Caldicott, médecin et militante antinucléaire australienne. (Photo: ONF)

À l’été 1980, Nash, qui a travaillé au Studio D de l’ONF comme recherchiste, scénariste et coordonnatrice de la distribution, montre les images qu’elle a tournées au producteur Eddie Le Lorrain et à la productrice exécutive Kathleen Shannon de l’ONF. Le contenu suscite leur intérêt, mais le format dans lequel il a été tourné et sa durée (deux heures) limitent considérablement son potentiel de distribution. Le Lorrain et Shannon suggèrent donc de remonter les images pour en arriver à un film moins long et ainsi plus facile à distribuer. Mais avant tout, il faut transférer les images vidéo vers la pellicule. Le transfert d’une partie d’entre elles s’avère infructueux. Les images sont de piètre qualité, trop granuleuses, floues. La cinéaste n’a d’autre choix que de planifier un second tournage en 16 mm.

Si cette planète vous tient à cœur

Au début de l’année 1981, Nash apprend que la Dre Caldicott doit présenter la même conférence en mai au State University of New York College at Plattsburgh, non loin de Montréal. Cette fois, la cinéaste y sera avec le bon équipement. Sur place, elle positionne deux caméras vers le podium où se tient son oratrice et les met en marche à cinq minutes d’intervalle pour ne rien rater lors des changements de bobines. Elle en oriente une autre en direction de la foule pour capter les réactions. Le tournage, qui dure le temps de la conférence, se déroule très bien.

Une fois le tournage achevé, Eddie Le Lorrain lui enseigne les rudiments du montage en trois jours. La jeune cinéaste, dont c’est le premier film, apprend vite. Au bout de quatre semaines de travail, elle réussit à extraire les moments forts de la prestation de la Dre Caldicott et ramène les deux heures de conférence à une vingtaine de minutes. Afin d’illustrer les propos à caractère historique de la scientifique, elle insère des images d’archives, qu’elle a dénichées aux Archives nationales à Washington. Certaines d’entre elles sont inédites, comme celles en couleur tournées par une équipe médicale de l’armée américaine sept mois après le bombardement d’Hiroshima, et qui viennent tout juste d’être déclassifiées.

Ne reste qu’à trouver un titre. Rien de plus simple ! Terre Nash sait depuis le début de ce projet que son film doit se terminer par une phrase lancée par sa protagoniste pour inviter le public à passer à l’action et à militer contre la prolifération des armes nucléaires, et que cette courte phrase, « Si cette planète vous tient à cœur », sera le titre de son film.

Si cette planète vous tient à coeur, Terre Nash, offert par l'Office national du film du Canada

Un gros succès

Dès son lancement, en mars 1982, le film connaît un franc succès. Il est diffusé sur les ondes de la CBC et suscite beaucoup de réactions de la part du public, qui, pour la première fois, prend réellement conscience de la gravité des conséquences d’une guerre nucléaire. Les demandes pour le documentaire s’accumulent à un rythme effréné. Il circule aux quatre coins du pays dans les circuits commerciaux hors salles. Le film provoque le même engouement à l’étranger. Le service de distribution de l’ONF conclut des ententes avec le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Allemagne, l’Australie, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Suède et une douzaine d’autres pays ! Il est même vu en URSS[1], alors que le révérend canadien Donald Pipe, membre de l’Église unie du Canada, le montre à Moscou en mai 1982, dans le cadre d’une conférence organisée par l’Église orthodoxe russe sur le caractère sacré de la vie à l’heure de la menace nucléaire ! Si cette planète vous tient à cœur est également en circulation aux États-Unis, sa distribution étant coordonnée par le bureau de l’ONF à New York et assurée par une compagnie de Los Angeles, Direct Films. En février 1983, l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences annonce que le film est en nomination pour l’Oscar du meilleur court métrage documentaire. C’est la consécration !

Mais, un mois avant cette annonce, la cinéaste Terre Nash et l’équipe du film ont appris une bien mauvaise nouvelle : un événement inattendu, choquant, qui vient tout à coup compromettre la distribution du film chez nos voisins du Sud, allant même jusqu’à créer un malaise diplomatique entre le Canada et son allié de toujours.

Au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Denis, à Montréal, un homme fait la promotion du film SI CETTE PLANÈTE VOUS TIENT À CŒUR (1982) quelques jours avant sa télédiffusion le 10 avril 1983.

Un film de propagande ?

Étant une agence d’un gouvernement étranger, le bureau de l’ONF à New York est soumis au Foreign Agents Registration Act (Loi sur l’enregistrement des agents étrangers[2]). Cela veut dire que, tous les six mois, le bureau doit fournir au département de la Justice des États-Unis la liste des nouveaux films en circulation dans le pays. En juillet 1982, le bureau de l’ONF soumet la liste de ses films pour les mois de janvier à juin. Le département de la Justice demande à voir cinq d’entre eux, dont Si cette planète vous tient à cœur. Le 13 janvier 1983, il déclare que le film de Terre Nash ainsi que deux autres documentaires sur les pluies acides sont de la propagande politique[3]. Dorénavant, ces films devront inclure un avertissement en ouverture indiquant qu’il s’agit de matériel de propagande. De plus, quiconque veut projeter les films aux États-Unis devra aviser le département de la Justice et lui soumettre les noms des organisateurs ou organisatrices de la projection. Au bureau du commissaire de l’ONF, James de B. Domville, à celui du ministre des Communications[4], Francis Fox, et à celui du ministre de l’Environnement, John Robert, c’est la consternation !

Levée de boucliers

Un mois plus tard, à une époque où les nouvelles circulent moins vite qu’aujourd’hui, les journaux canadiens s’emparent de l’affaire. Des articles sont publiés dans tous les quotidiens importants du pays et nombre d’éditorialistes dénoncent la censure imposée aux films. L’histoire rebondit jusqu’au ministère des Affaires extérieures (aujourd’hui Affaires mondiales Canada). Les hauts responsables du ministère éprouvent un malaise face à la décision de la justice américaine, qu’ils jugent difficile à comprendre dans un pays comme les États-Unis, qui, pourtant, protège la liberté d’expression. Le 2 mars 1983, des membres de l’ambassade du Canada à Washington, le responsable du bureau de l’ONF à New York, Ken Shere, et les avocats de l’ONF rencontrent des fonctionnaires du département de la Justice américain pour faire changer la décision.

Pendant ce temps, aux États-Unis, Mitch Block, qui est à la tête de Direct Films, la compagnie chargée de la distribution de Si cette planète vous tient à cœur à Los Angeles, contacte les médias de la ville pour dénoncer la décision du département de la Justice. L’American Civil Liberties Union (Union américaine pour les libertés civiles[5]) organise une projection des trois films de l’ONF à Washington, à laquelle assistent 1200 personnes, en signe de protestation. Le New York Times et le Washington Post se portent aussi à la défense des trois films. Même le sénateur démocrate Edward Kennedy s’en mêle, en déclarant que la décision contrevient au premier amendement de la constitution des États-Unis, car elle limite la liberté d’expression ! Le 7 mars 1983, il présente d’ailleurs les trois documentaires aux membres du Congrès américain, en brandissant une pancarte, juste avant la projection, qui dit : « Les films que vous vous apprêtez à voir peuvent s’avérer dangereux pour les politiques de l’administration Reagan sur le contrôle des armes nucléaires et les pluies acides[6] » !

Parlez-en en bien ou en mal, mais parlez-en…

Toutes ces actions n’arriveront pas à dissuader le département de la Justice américain ! La décision sera maintenue. Mais cela n’aura aucun effet négatif sur la distribution des trois films. Au contraire, la controverse leur donnera un regain de popularité. C’est particulièrement le cas pour Si cette planète vous tient à cœur. Le documentaire sera présenté en salle à Montréal, Toronto, Winnipeg, Calgary, Edmonton et Vancouver, ainsi qu’aux États-Unis, plus précisément à New York et à Washington. Il sera rediffusé sur la CBC, présenté sur la chaîne payante Super Channel et sur les ondes de Radio-Canada, en version française, le 10 avril 1983, la veille de la télédiffusion de la 55e cérémonie des Oscars. Le lendemain, le film de Terre Nash recevra l’Oscar du meilleur court métrage documentaire.

Je vous invite à voir ou à revoir cette œuvre exceptionnelle, qui a été l’un des premiers films à nous faire prendre conscience des conséquences catastrophiques d’une guerre nucléaire, et qui a servi de catalyseur pour de nombreux mouvements en faveur de la paix et du désarmement. Et pour ceux et celles qui se posent la question, oui, le film est toujours considéré comme de la propagande politique aux États-Unis ! En 1986, le sénateur de la Californie, Barry Keene, a contesté en cour la décision du département de la Justice américain. La cause s’est rendue jusqu’à la Cour suprême. Le 28 avril 1987, les juges du plus haut tribunal américain se sont prononcés, à cinq contre trois, en faveur du département de la Justice.

Vous pouvez également consulter notre sélection de films antinucléaires.

[1] L’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) était une fédération transcontinentale à régime communiste qui a existé de 1922 à 1991.

[2] Traduction libre.

[3] Les deux autres documentaires sont Acid Rain: Requiem or Recovery (1981) et Acid from Heaven (1981).

[4] Le ministère des Communications du Canada, dissous dans les années 1990, était responsable de l’ONF.

[5] Traduction libre.

[6] Tiré d’un article paru dans le journal La Presse le 8 mars 1983.

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