Une brève histoire de nos films sur l’environnement | Perspective du conservateur
Avec l’ouverture, le 6 novembre dernier, à Charm el-Cheikh en Égypte, de la 27e Conférence des parties (COP27) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, et le lancement, le 7 décembre prochain, à Montréal, de la 15e Conférence des parties (COP15) à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, les enjeux environnementaux sont, plus que jamais, au cœur de l’actualité.
Ils sont aussi, depuis trois ou quatre ans, au centre des préoccupations des cinéastes de l’ONF, qui ont réalisé plusieurs oeuvres sur le sujet. Nous pensons, notamment, aux séries Lac Winnipeg (2021) de Kevin Settee et Ramaillages (2020) de Moïse Marcoux-Chabot, ainsi qu’aux films Borealis (2020) de Kevin McMahon, L’ampleur de toutes choses (2020) de Jennifer Abbott, La baleine et le corbeau (2019) de Mirjam Leuze ou encore Le fond de l’air (2019) de Simon Beaulieu.
Mais en a-t-il toujours été ainsi? Il est étonnant de constater que, depuis la création de l’ONF, en 1939, les questions environnementales font partie intégrante de notre collection. Bien sûr, le contexte dans lequel les films ont été produits a changé maintes et maintes fois, la forme dans laquelle ils se présentent diffère au fil des décennies, et les enjeux qu’ils soulèvent ou encore les thématiques qu’ils abordent sont propres à l’époque à laquelle ils ont été tournés. Ce billet voudrait faire un survol historique des films de l’ONF sur l’environnement depuis la fin des années 1930 jusqu’à aujourd’hui et mettre en lumière quelques périodes clés.
La Deuxième Guerre mondiale
Quand la guerre éclate en septembre 1939, l’ONF vient tout juste d’être créé. Dirigé d’une main de maître par John Grierson, l’organisme s’engage à soutenir l’effort de guerre du pays. Les films veulent montrer le rôle que joue le Canada dans le conflit, ici et en Europe, faire la promotion des valeurs démocratiques et donner une image du Canada et de ses habitants et habitantes. Toutes les énergies sont donc concentrées sur l’effort de guerre. Il semble ne pas y avoir de place pour les questions liées à l’environnement. Mais les ressources naturelles ont un rôle primordial à jouer dans cet effort national. Par exemple, le bois canadien devient un matériau essentiel aux usines de guerre, qui construisent les baraques de soldats ou les ailes des avions de combat. Les forêts canadiennes alimentent également en bois la Grande-Bretagne, qui ne peut plus avoir accès à cette ressource par l’entremise des pays scandinaves. L’exploitation de nos ressources forestières, mais aussi leur conservation et leur protection, devient donc un enjeu important pendant la guerre. Le film Le front forestier (1940) illustre bien cette réalité.
Le front forestier, Frank Badgley, offert par l’Office national du film du Canada
Films de commandite
Durant la période d’après-guerre, à la fin des années 1950 et dans les années 1960, les productions sur l’environnement prennent la forme de films de commandite. Ces films produits par l’ONF pour le compte de différents ministères fédéraux abordent toutes sortes d’enjeux environnementaux, comme la qualité de l’eau (L’eau potable, 1947), le contrôle des insectes et des parasites dans l’agriculture (Conquête de la chimie,1956), la menace que représentent les activités humaines pour des espèces d’oiseaux (Les oiseaux aquatiques sont menacés,1964) ou la surexploitation des forêts (Les forestiers,1968).
Bien que ces films exposent plusieurs problèmes, ils se veulent rassurants en proposant des solutions qui prétendent être immédiates, efficaces et durables. Un peu comme si on nous disait : « Les problèmes existent, mais, rassurez-vous, les spécialistes et les scientifiques des ministères de la Santé, de l’Agriculture, de la Faune ou des Pêches et des Forêts (comme on appelait ces ministères à l’époque) s’en occupent. » Bref, ces films nous disent que notre gouvernement a les choses bien en main! Les oiseaux aquatiques sont menacés (1964) de Don Virgo, réalisé pour le Service canadien de la faune, s’inscrit tout à fait dans ce genre de films.
Les oiseaux aquatiques sont menacés, Don Virgo, offert par l’Office national du film du Canada
Tirer la sonnette d’alarme
Mais la réalité est tout autre. Les années 1970 et 1980 seront l’occasion pour les cinéastes de faire quelques constats inquiétants sur différents enjeux environnementaux, de montrer qu’il n’existe pas encore de solutions durables aux problèmes et que nous n’avons pas la situation bien en main comme nous le pensions ou nous voulions le croire. Le message de ces films est clair : il est temps de tirer la sonnette d’alarme!
Un des premiers films à le faire est l’excellent documentaire Compte à rebours (1971) de Michael McKennirey. Il s’agit d’une production réalisée pour le Service canadien de la faune, mais, cette fois, le ton est plus grave. Le cinéaste rappelle que plusieurs espèces de mammifères sont en danger d’extinction (le grizzli, l’ours polaire) et que des espèces d’oiseaux ont déjà disparu (la tourte, le canard du Labrador, le grand pingouin). Il montre les dommages irréversibles que cause l’utilisation des pesticides et les ravages de la pollution sur plusieurs espèces d’oiseaux (le grand-duc, le faucon pèlerin). Enfin, il n’hésite pas à dénoncer l’immobilisme de nos sociétés, la banalisation des problèmes par une large partie de la population, et nous avertit que nos jours pourraient être comptés si nous ne faisons pas attention à la faune qui nous entoure. En somme, le compte à rebours est déjà commencé!
Compte à rebours , Michael McKennirey, offert par l’Office national du film du Canada
À la même époque, le cinéaste Bill Mason s’inquiète de la possible extinction de la baleine, du morse, du phoque et de l’ours polaire dans son film À la recherche de la baleine-franche (1974). Le commandant Cousteau et son équipe montrent les ravages de la pollution dans le fleuve Saint-Laurent et les Grands Lacs dans un film coproduit avec l’ONF, Du grand large aux Grands Lacs (1982). La cinéaste Terre Nash nous rappelle la terrible menace que constitue pour notre planète la prolifération des armes nucléaires dans son excellent documentaire Si cette planète vous tient à cœur (1982), gagnant de l’Oscar® du meilleur court métrage documentaire. Un film qui nous apparaît plus que jamais d’actualité. La forêt en danger (1988) de Gary Toole, un documentaire narré par David Suzuki, décrit le phénomène des pluies acides et montre comment elles détruisent les arbres et empoisonnent les sols.
Militantisme environnemental
Dans les années 1990 et 2000, les réalisateurs et réalisatrices continuent d’exposer les enjeux environnementaux auxquels nous devons faire face, mais, contrairement à la période précédente, on les sent plus impliqués quant à leurs sujets, et leurs films sont, par le fait même, plus engagés, militants. Ils font appel à la mobilisation citoyenne, à des actions concrètes, donnent la parole à des gens ordinaires, alimentent les débats, montrent les luttes de groupes citoyens contre les grandes industries et les monopoles. Le message de leurs films est clair : l’heure est grave et il est maintenant temps d’agir! Les quatre cavaliers de l’Apocalypse (1991), un documentaire de Jean-François Mercier, présenté et narré par Lise Payette, fait de l’environnement un enjeu national. Les déchets domestiques, la contamination des cours d’eau, les déchets toxiques et la destruction des ressources naturelles sont les quatre grandes menaces (quatre cavaliers) pour notre environnement. Nous devons agir. Il en va de la survie même de notre nation.
Les quatre cavaliers de l’Apocalypse, Jean-François Mercier, offert par l’Office national du film du Canada
L’effet bœuf (1999) de Carmen Garcia montre les dérives de l’industrie agroalimentaire et donne la parole à des producteurs et productrices en lutte contre les grandes compagnies américaines qui contrôlent la filière. Le cinéaste Hugo Latulippe dénonce, en donnant la parole à des groupes citoyens, la multiplication des mégaporcheries au Québec et expose les conséquences néfastes qu’elles entraînent sur la société et l’environnement, dans son documentaire Bacon, le film (2001). Ève Lamont s’intéresse à l’agriculture industrielle au Québec, dans l’Ouest canadien, aux États-Unis et en France, dans son film Pas de pays sans paysans (2005). Les documentaristes Magnus Isacsson et Martin Duckworth relatent la bataille que mènent des citoyens et citoyennes contre un projet de terminal méthanier près de Québec, dans La bataille de Rabaska (2008), tandis que Richard Desjardins et Robert Monderie critiquent l’industrie minière au Canada dans Trou Story (2011).
Un peu d’espoir
Les films de la période qu’on vient d’évoquer sont plutôt pessimistes. Les constats qu’ils font sont alarmants. Les combats menés par leurs protagonistes ont parfois l’air perdus d’avance. Ils donnent l’impression (c’est bien le cas, nous le savons maintenant) que nous nous dirigeons vers la catastrophe. Bref, l’avenir est peu reluisant! Cela explique sans doute pourquoi les films des années subséquentes sont plus lumineux et veulent nous redonner espoir. Dans son documentaire Visionnaires planétaires (2009), la cinéaste Sylvie Van Brabant suit le militant écologiste Mikael Rioux, qui part à la rencontre d’hommes et de femmes ayant créé des projets innovateurs pour l’avenir de nos sociétés. Les solutions sont là, il suffit de les mettre en place à une plus grande échelle, nous dit ce film.
Visionnaires planétaires, Sylvie Van Brabant, offert par l’Office national du film du Canada
Les porteurs d’espoir (2010) de Fernand Dansereau est également un film porté par un bel optimisme. Le documentariste a suivi pendant un an des élèves d’une classe de 6e année d’une école de la rive sud de Montréal, alors qu’ils et elles mettent en pratique la méthode de recherche-action. Cette nouvelle approche consiste, pour les jeunes, à trouver un problème environnemental dans leur milieu, à chercher des solutions puis à les mettre en pratique. Ce film s’inscrit dans le même état esprit que le documentaire précédent de Fernand Dansereau, Quelques raisons d’espérer (2001), sur la vie et l’œuvre de l’écologiste Pierre Dansereau. Une île verte (2013) de Millefiore Clarkes et Débris (2015) de John Bolton sont très certainement des antidotes au pessimisme, au désarroi et au sentiment d’impuissance que nous pouvons parfois avoir face aux problèmes environnementaux.
Les porteurs d’espoir, Fernand Dansereau, offert par l’Office national du film du Canada
Environnement et communauté
Et qu’en est-il aujourd’hui? Si le sentiment d’urgence et la nécessité d’agir persistent comme le montrent les films Le fond de l’air (2019) de Simon Beaulieu et L’ampleur de toutes choses (2020) de Jennifer Abbott, d’autres films s’attardent sur des solutions, conservent un certain optimisme et mettent l’accent sur un esprit communautaire, qui semble vouloir émerger ces dernières années, quant à notre façon d’aborder les défis ou les problèmes environnementaux. Cet esprit de communauté se manifeste chez les habitants et habitantes de la ville de Dawson au Yukon, qui tentent, dans des conditions climatiques extrêmes, de faire de l’agriculture douze mois par année, dans le film Sol souverain (2019) de David Curtis.
Sol souverain, David Curtis, offert par l’Office national du film du Canada
Il est aussi présent dans la série Ramaillages (2020) de Moïse Marcoux-Chabot, alors que des Gaspésiens et Gaspésiennes d’adoption ou d’origine ont mis sur pied de nombreux projets alternatifs d’élevage et d’agriculture; des projets communautaires qui favorisent l’autonomie alimentaire et qui misent sur l’entraide, le partage des ressources, la mise en commun des idées, la préservation du territoire et la qualité des aliments. Enfin, il apparaît dans la communauté crie établie autour du lac Winnipeg, que l’on peut découvrir dans l’excellente série documentaire du cinéaste Kevin Settee, Lac Winnipeg (2021).
Les oeuvres dont nous avons parlé dans ce billet constituent un échantillon d’une production qui s’échelonne sur plus de 80 ans. Pour découvrir d’autres films sur l’environnement, cliquez ici.