Le centenaire de René Lévesque en films | Perspective du conservateur
Avant de se lancer en politique, René Lévesque a été journaliste à la radio, correspondant de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale, journaliste, intervieweur et animateur vedette à la télévision de Radio-Canada.
Élu député du Parti libéral dans le comté de Montréal-Laurier[1] en 1960, il fait partie de l’équipe du tonnerre, comme on l’appelait à l’époque, du premier ministre Jean Lesage. Il devient ensuite ministre des Richesses naturelles. Sa plus grande réalisation sera la nationalisation de l’électricité. Elle constitue un fait marquant dans l’ensemble des réformes de la Révolution tranquille.
En 1967, René Lévesque quitte le Parti libéral pour fonder le Mouvement souveraineté-association, qui deviendra, un an plus tard, le Parti québécois, une formation politique souverainiste et sociale-démocrate, dont il devient le chef. En novembre 1976, son parti remporte les élections générales au Québec, faisant de lui le 23e premier ministre de la province. Il sera en poste jusqu’en 1985.
Artisan de la Révolution tranquille, figure de proue du mouvement nationaliste au Québec, porte-étendard du projet de souveraineté-association, grand défenseur de la social-démocratie, René Lévesque reste sans contredit une figure marquante de l’histoire du Québec.
Celui que les Québécois et Québécoises nommaient affectueusement par son prénom, mais que tous ses collaborateurs appelaient respectueusement monsieur Lévesque aurait eu 100 ans le 24 août.
Les apparitions de René Lévesque dans les films de l’ONF commencent dès la fin des années 1950 et se poursuivent bien après sa mort en 1987, avec des images d’archives, dans les documentaires des décennies subséquentes. Cette présence dans les films de notre collection témoigne de la carrière politique de l’homme, de ses victoires, de ses échecs, de son influence et de son héritage. Ce billet voudrait mettre en évidence certains moments clés de sa vie professionnelle à travers quelques films de l’ONF.
L’animateur vedette
Dans les années 1950, il n’est pas rare de voir et d’entendre des animateurs de télévision dans les productions de l’ONF. En effet, depuis l’arrivée du petit écran en 1952, l’organisme fédéral, dont le mandat est de faire connaître les différentes parties du Canada à l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes, produit des films pour la télévision de Radio-Canada et travaille en étroite collaboration avec ses artisans. Certains, comme René Lecavalier ou Roger Baulu, assurent la narration de documentaires, d’autres font office de présentateurs ou d’animateurs. C’est dans ce contexte qu’apparaît pour la première fois dans les films de l’ONF René Lévesque. L’animateur de la très populaire émission d’information de Radio-Canada Point de mire mène des entrevues, comme dans ce portrait en deux parties de l’industriel Édouard Simard.
La grande aventure industrielle racontée par Édouard Simard – 1, Raymond Garceau, offert par l’Office national du film du Canada
La grande aventure industrielle racontée par Édouard Simard – 2, Raymond Garceau, offert par l’Office national du film du Canada
La nationalisation de l’électricité
En 1960, Lévesque quitte Radio-Canada et se lance en politique. Il se présente sous la bannière du Parti libéral et devient député du comté de Montréal-Laurier. En mars 1961, après avoir été ministre des Ressources hydrauliques et des Travaux publics, il prend la tête du ministère des Richesses naturelles. C’est à ce moment qu’il entreprend la deuxième et ultime phase de la nationalisation de l’électricité (la première ayant été amorcée en 1944 avec la création d’Hydro-Québec). En septembre 1962, Lévesque réussit à convaincre le caucus libéral du bien-fondé de son projet de nationalisation. Le premier ministre Jean Lesage déclenche des élections générales anticipées pour valider le projet auprès de l’électorat. C’est l’époque du fameux slogan « Maîtres chez nous ». Le Parti libéral obtient la majorité et forme de nouveau le gouvernement. La nationalisation se concrétise en mai 1963, alors qu’Hydro-Québec acquiert tous les distributeurs privés d’électricité au Québec.
Souveraineté-association
Le Parti libéral perd les élections de 1966 au profit de l’Union nationale, dirigée par Daniel Johnson, et René Lévesque redevient simple député. La grogne s’installe au sein des libéraux et plusieurs députés remettent en cause le leadership de Lesage. Lévesque fait partie du groupe, mais sa principale préoccupation reste l’élaboration d’une position constitutionnelle, celle de la souveraineté-association, qui ferait du Québec un État souverain, mais étroitement lié économiquement au Canada. Le 13 octobre 1967, Lévesque soumet sa proposition aux membres du congrès du parti afin qu’elle soit débattue et éventuellement acceptée, mais une majorité d’entre eux refuse d’en débattre. Lévesque quitte le parti le lendemain.
Le documentariste Donald Brittain revient sur le passage de Lévesque au sein du Parti libéral dans Les champions : surprenantes destinées (1986), première partie de la trilogie documentaire Les champions (1986-1988), qui relate en parallèle les carrières des deux hommes politiques les plus influents de la deuxième moitié du XXe siècle : Pierre Elliott Trudeau et René Lévesque.
Les champions : surprenantes destinées, Donald Brittain, offert par l’Office national du film du Canada
Le Parti québécois
Après avoir quitté le Parti libéral, Lévesque fonde le Mouvement souveraineté-association (MSA) afin de faire la promotion de sa position constitutionnelle. Mais il réalise rapidement qu’il a besoin d’un parti politique s’il veut faire avancer ses idées. Il existe déjà deux partis indépendantistes sur l’échiquier politique du Québec : le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) de Pierre Bourgault et le Ralliement national (RN) de Gilles Grégoire. Lévesque comprend qu’il doit unir les forces souverainistes s’il veut un jour prendre le pouvoir à Québec. Les négociations commencent entre le MSA, le RN et le RIN. En octobre 1968, après de vives discussions et des débats enflammés, le Parti québécois voit le jour, issu de la fusion entre le MSA et le RN (le RIN s’étant retiré des discussions). René Lévesque en devient le chef. La deuxième partie de la trilogie de Brittain, Les champions : la façade du pouvoir (1986), relate ces événements.
Les champions : la façade du pouvoir, Donald Brittain, offert par l’Office national du film du Canada
Première campagne électorale du PQ
En 1970, le Parti québécois présente pour la première fois des candidats aux élections générales provinciales. L’entrée en scène d’un nouveau parti indépendantiste de gauche, qui offre une solution de rechange au nationalisme conservateur de l’Union nationale ainsi qu’au fédéralisme du Parti libéral et de son chef charismatique, ne passe pas inaperçue à l’ONF. Deux cinéastes importants, Pierre Perrault et Denys Arcand, vont s’y intéresser. Mais, étonnamment, ils n’en feront pas le sujet principal de leur film.
Lévesque et Duplessis
Quand s’amorce, au printemps 1970, la campagne électorale provinciale, Denys Arcand et son équipe sont aux premières loges. Le cinéaste entend bien suivre René Lévesque, mais aussi des candidats péquistes et d’autres partis politiques. Cependant, Arcand n’a pas l’intention de simplement rendre compte de la campagne. Il veut vérifier une hypothèse. Et si les discours des candidats libéraux, péquistes, créditistes et de l’Union nationale n’étaient que des parties de la pensée de Duplessis ? Québec : Duplessis et après… (1972) nous fait découvrir que le duplessisme, au début des années 1970 au Québec, ratisse large : on le retrouve dans chaque courant d’idées, dans chaque parti politique. Il couvre un si vaste horizon que personne ne peut vraiment en sortir ! Le documentaire d’Arcand fait l’étonnante démonstration que, malgré la Révolution tranquille et l’apparition du Parti québécois, le discours politique n’a pas véritablement changé depuis l’époque de Duplessis !
Québec : Duplessis et après…, Denys Arcand, offert par l’Office national du film du Canada
Le pays sans bon sens
Pierre Perrault, qui avait commencé à tourner, en 1968, des images de René Lévesque lors de la création du Mouvement souveraineté-association et de la fondation du Parti québécois, avec l’idée d’en tirer un film, choisit de se concentrer sur des citoyens ordinaires plutôt que sur un homme politique, dont l’image et la parole circulent amplement dans les médias. Cela donnera Un pays sans bon sens (1970). Perrault retrouve quelques personnages de ses films précédents, comme Grand Louis Harvey, Marie Tremblay ou Léopold Tremblay de Pour la suite du monde (1962) et Le règne du jour (1967), mais aussi des intellectuels comme Maurice Chaillot et Didier Dufour, tout en laissant une place à René Lévesque, qui apparaît en filigrane. On y voit notamment le chef du tout nouveau Parti québécois prendre la parole à Winnipeg, lors d’une conférence organisée par les étudiants de l’Université du Manitoba, et faire face à une foule hostile n’hésitant pas à le huer et à l’apostropher. Une séquence forte que le cinéaste Luc Bourdon reprendra dans son film de montage sur le Québec des années 1970, La part du diable (2019). Le film de Perrault propose une réflexion dense et complexe sur les notions d’appartenance à un pays, d’indépendance et d’identité nationale.
Un pays sans bon sens!, Pierre Perrault, offert par l’Office national du film du Canada
Le référendum de 1980
Le 20 mai 1980, le gouvernement du Parti québécois demande à la population du Québec, dans le cadre d’un référendum, de lui accorder le mandat de négocier avec le gouvernement fédéral une entente de souveraineté-association. Une victoire du « oui », le lendemain du vote, ne signifierait donc pas pour le Québec une accession automatique à la souveraineté, mais annoncerait un second référendum, qui, lui, porterait sur le résultat de ces négociations avec le reste du Canada. Les électeurs et électrices rejettent la proposition à 59,56 %. Il s’agit, sans contredit, d’un événement marquant dans l’histoire du Québec, d’une défaite difficile pour René Lévesque et d’un tournant dans sa carrière politique.
Le cinéaste Donald Brittain revient sur ce référendum dans la dernière partie de sa trilogie sur Lévesque et Trudeau, Les champions : le dernier combat (1988). Mais le film qu’il faut voir à ce sujet est sans aucun doute celui de Denys Arcand Le confort et l’indifférence (1981). Le cinéaste ne se contente pas de suivre la campagne référendaire des tenants du « oui » et du « non », ni de recueillir les propos et les réflexions des électeurs et électrices d’un peu partout dans la province ; il propose une analyse remarquable des événements ! Son film est le récit d’une bataille perdue d’avance, d’un projet voué à l’échec, et un regard lucide sur une société qui ne voit pas la nécessité de changer les choses.
Pour en savoir plus, lisez ici le billet que j’ai rédigé sur le film à l’occasion du 40e anniversaire de cet important scrutin populaire.
Le confort et l’indifférence, Denys Arcand, offert par l’Office national du film du Canada
Conférences constitutionnelles
Peu de temps après le référendum, le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau, qui avait promis du changement pendant la campagne référendaire, entame des négociations avec le Québec et les autres provinces pour renouveler le fédéralisme. Son objectif est de rapatrier la Constitution canadienne, de l’assortir d’une charte des droits et libertés et d’une formule d’amendement qui encadrerait tout futur changement constitutionnel. Lévesque accepte de mettre de côté l’option souverainiste et de négocier. Les négociations n’aboutissent pas et Trudeau menace de rapatrier la Constitution sans l’accord des provinces. Plusieurs d’entre elles, dont le Québec, font appel aux tribunaux, clamant qu’un rapatriement unilatéral de la Constitution reste illégal.
En septembre 1981, la Cour suprême du Canada déclare que le projet de Trudeau est légal, mais illégitime, nécessitant l’accord d’une majorité des provinces. Le premier ministre du Canada convoque donc en novembre 1981 les provinces à une deuxième et ultime conférence constitutionnelle. Les négociations sont difficiles et une entente semble presque impossible. Cependant, dans la nuit du 4 au 5 novembre, le gouvernement fédéral réussit à trouver un accord avec neuf provinces, écartant délibérément le Québec des négociations. Une entente, dont ne fera jamais partie le Québec, est signée le lendemain matin. Lévesque rentre à Québec bredouille et humilié. Le documentaire Les champions : le dernier combat (1988) relate cet épisode douloureux pour le chef du Parti québécois.
Les champions : le dernier combat, Donald Brittain, offert par l’Office national du film du Canada
Une fin de carrière difficile
La suite des choses n’est pas facile non plus pour le premier ministre québécois, élu depuis avril 1981 pour un second mandat. Il doit faire face à une économie en récession, à un taux de chômage de 16 % et à des négociations difficiles avec les employés du secteur public. En juin 1985, il démissionne de son poste de premier ministre, une décision qui prend effet en septembre 1985, au moment où les délégués du Parti québécois élisent Pierre Marc Johnson à la tête de leur parti. René Lévesque meurt subitement le 1er novembre 1987, à l’âge de 65 ans.
Ce bref survol ne donne pas toute la mesure du personnage qu’était René Lévesque. Plusieurs de ses réalisations ont encore aujourd’hui un impact important sur notre vie de tous les jours, comme la Loi sur la protection du consommateur, la Loi sur l’assurance automobile ou la Loi sur la protection de la jeunesse. De plus, certaines d’entre elles étaient révolutionnaires à l’époque. Nous n’avons qu’à penser à la création du ministère de l’Environnement, à la reconnaissance des droits ancestraux des peuples autochtones, à la Loi sur le financement des partis politiques ou à l’introduction dans la Charte des droits et libertés du Québec d’une clause qui rend toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle illégale.
Je vous invite à voir les documentaires mentionnés dans ce billet et aussi à découvrir ici une sélection plus complète de 19 films qui met en lumière les moments forts de la carrière de René Lévesque, mais aussi son influence et son héritage.
[1] En 1992, le comté de Montréal-Laurier est jumelé à celui de Dorion et prend le nom de Laurier-Dorion.