Lipsett pour les nuls, ou quelques clés pour entrer dans l’univers d’Arthur Lipsett
Arthur Lipsett, vous connaissez? Précurseur du cinéma expérimental au Canada, inventeur du film-collage, virtuose du montage, caméraman et artiste de génie qui, le temps de quelques films réalisés à l’ONF de 1958 à 1970, aura fait sa marque et influencé un nombre incalculable de cinéastes, dont George Lucas et Stanley Kubrick.
Mais je m’arrête. Vous lisez « cinéma expérimental » et vous vous dites : « Oh non! Je ne comprends rien aux films expérimentaux! De toute façon, il n’y a rien à comprendre! » Ce billet voudrait vous persuader du contraire. Vous donner quelques clés pour entrer dans l’univers fascinant de Lipsett.
Le cinéma façon Lipsett
Les films d’Arthur Lipsett sont atypiques. Ils ne suivent pas une logique linéaire. Ne vous attendez pas à vous faire raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin. Chez Lipsett, tout arrive en même temps : le début, le milieu, la fin. Vous serez bombardés d’images. Des plans courts, enchaînés rapidement, sans liens apparents entre eux. Ce sont des bouts de chutes de films, d’archives, des photos, des images découpées dans des magazines ou des séquences tournées par le cinéaste. Des sons aussi. Beaucoup de sons, glanés ici et là dans les chutes de ses collègues monteurs à l’ONF et dans des films existants.
Le sens des films de Lipsett, l’histoire qui nous est racontée, se trouve dans la juxtaposition de ces sons et de ces images, dans les nombreuses associations sonores et visuelles créées par le montage. Mais il y a plus. Ce tourbillon d’images et de sons savamment juxtaposés est pour le cinéaste une façon de multiplier les niveaux de réalité, d’en exprimer plusieurs à la fois, afin de faire accéder le spectateur à une réalité multiple. Une réalité multiple? Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire?
Pour Lipsett, cela a à voir avec quelque chose d’intangible, d’invisible : une idée, un constat, une émotion. Quelque chose qui touche à notre conscience ou à notre inconscience collective. Quelque chose de plus grand, de plus englobant, qui ne se limite pas seulement à ce qu’on voit sur l’écran.
Very Nice, Very Nice et 21-87
Si Very Nice, Very Nice (1961), le premier film du cinéaste, qui a obtenu une nomination aux Oscars, multiplie les images de produits de consommation, de visages d’hommes de la rue et de champignons atomiques, c’est qu’il veut exprimer l’angoisse collective face à l’avenir (à une époque où la menace d’une guerre nucléaire est omniprésente), déplorer notre insouciance et dénoncer la société de consommation. Alors que 21-87 (1963), son deuxième film, qui utilise la même technique de montage que le premier, veut montrer que l’homme est devenu étranger à lui-même et à la société, dans un monde dominé par les machines et la technologie où il n’est plus qu’un simple numéro, et où il espère redonner un sens à sa vie grâce à la spiritualité, à la religion.
Very Nice, Very Nice , Arthur Lipsett, offert par l’Office national du film du Canada
21-87 , Arthur Lipsett, offert par l’Office national du film du Canada
Voir un film de Lipsett est une expérience sensorielle et émotionnelle. Ne cherchez pas à comprendre le sens de toutes les images. Prenez le film comme un tout. Laissez-vous imprégner par la succession des images et la force de la bande sonore. Les réflexions et les émotions qu’il suscitera en vous vous mèneront peut-être vers d’autres interprétations que celles proposées ici. Et c’est tant mieux!
Ce style me rappelle Guy Maddin.