Une histoire du cinéma : genèse d’un projet d’envergure
*Ce billet est écrit par Michelle Van Beusekom, productrice du site Web interactif Une histoire du cinéma – 61 portraits vivants, basé sur une idée originale de Denys Desjardins.
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Le cinéaste et historien du cinéma Denys Desjardins documente l’histoire du cinéma québécois depuis plusieurs années. En 2010, il a suggéré à l’ONF de créer une série de profils des géants du cinéma québécois qui ont œuvré durant les premières années de l’ONF. En 2011, Joanne Robertson s’est jointe à l’équipe afin de diriger une série de profils complémentaires du côté anglais de l’ONF. Ainsi commença le travail visant à produire Une histoire du cinéma – 61 portraits vivants, un projet interactif sur les premières années de l’ONF qui sera lancé sur ONF.ca cette semaine.
Le projet comprend les profils de certains des artistes, rebelles et poètes qui ont trouvé leur foyer créatif à l’ONF. Travaillant à l’intérieur d’un mandat public visant à « interpréter le Canada pour les Canadiens et les autres nations », ces pionniers ont créé les bases d’une tradition cinématographique canadienne distinctive.
Pour ma part, produire le site Web Une histoire du cinéma – 61 portraits vivants et ses profils en langue anglaise a été une immersion fantastique dans les origines de l’ONF et l’évolution du cinéma dans notre pays.
Grant Munro
Nous avons parlé avec certaines des personnes qui ont commencé à travailler à l’ONF juste après sa fondation en 1939 — des gens comme Grant Munro, un jeune artiste visuel de Winnipeg qui a été recruté par le célèbre animateur Norman McLaren et qui a commencé à travailler à l’ONF en 1942. Comme la majorité des premières recrues, Munro n’avait absolument aucune formation cinématographique et il a appris son métier sur le tas. Il n’existait pour ainsi dire aucune tradition cinématographique au Canada à l’époque — il n’y avait que quelques productions gouvernementales de films axés sur la promotion du commerce et du tourisme et quelques jeunes sociétés de production indépendantes. Une génération entière de cinéastes en devenir comme Munro ont appris leur métier à l’ONF. Réalisateur, animateur et acteur brillant ayant collaboré à plusieurs films avec McLaren, dont le chef-d’œuvre oscarisé Voisins, Munro a été un des brillants esprits qui a défini la tradition d’animation au Canada.
Une histoire du cinéma : Grant Munro, Joanne Robertson, offert par l’Office national du film du Canada
Evelyn Spice Cherry
Nous avons aussi creusé profondément dans les archives, découvrant des entrevues avec des pionniers qui sont décédés comme Evelyn Lambart, la première animatrice canadienne et co-réalisatrice de 6 films avec Normand McLaren et » target=»_blank»>Evelyn Spice Cherry. Cherry était l’une d’une poignée de Canadiennes travaillant à l’ONF dans les années 40 à avoir une quelconque expérience cinématographique. Cherry était une journaliste de Yorkton, Saskatchewan qui avait fait par hasard la connaissance de la sœur du commissaire fondateur de l’ONF, John Grierson. Il s’en est suivi une rencontre avec Grierson à Londres où il dirigeait le General Post Office Film Unit — un carrefour de production documentaire qui a produit certaines des meilleures œuvres documentaires au monde dans les années 1930.
Cherry a commencé comme secrétaire, mais elle a rapidement démontré ses talents créatifs et est devenue réalisatrice. Normand McLaren, recruté par Grierson pour le GPO, a fait son apprentissage comme monteur auprès d’elle. Cherry a été largement saluée pour son documentaire de 1934, Weather Forecast, et Grierson l’a invitée à se joindre au personnel de l’ONF où elle est devenue co-directrice de l’unité agricole de l’ONF avec son mari Lawrence Cherry. Ils ont dirigé et produit des dizaines de films sur les défis auxquels font face les Canadiens ruraux. Cherry a rapidement quitté l’ONF, ayant été pratiquement expulsée en 1950 lorsque l’ONF faisait face à des accusations d’abriter des sympathisants communistes.
Une histoire du cinéma : Evelyn Spice Cherry, Joanne Robertson, offert par l’Office national du film du Canada
Les femmes et le cinéma
Pour moi, un des plus beaux moments – et il y en a eu beaucoup – de mon travail sur le projet Une histoire du cinéma a été la « découverte» de toute une génération de cinéastes féminines qui travaillaient à l’Office depuis sa fondation.
Une histoire du cinéma : Les femmes, Denys Desjardins, offert par l’Office national du film du Canada
On pense souvent que la production cinématographique par des femmes au Canada a commencé dans les années 1960 et 1970 avec Anne Claire Poirier, Monique Fortier, Kathleen Shannon et Studio D. Mais il y a eu une génération entière de femmes qui ont réalisé des films à l’ONF dans les années 1940, comme Jane Marsch, la seule femme à avoir dirigé des films sur la guerre à l’ONF, une personnalité flamboyante qui est partie à cause de divergences artistiques importantes avec Grierson liées à la production de la série d’actualités Canada Carries On.
Une histoire du cinéma : Anne Claire Poirier, Denys Desjardins, offert par l’Office national du film du Canada
Gudrun Bjerring Parker
Puis, il y a eu Gudrun Bjerring Parker, une jeune journaliste que Grierson est allé chercher au Winnipeg Free Press. Sans expérience cinématographique, Parker a commencé comme monteuse adjointe, mais elle est bientôt passée à la réalisation de films. Before They Are Six pose un regard fascinant sur les garderies qui ont commencé à voir le jour durant la guerre alors que de plus en plus de femmes commençaient à travailler à l’extérieur de la maison.
Le film inclut une scène d’une femme en train d’attacher son tout-petit à la grille d’entrée avant d’aller travailler. Parker confirme dans son entrevue que de telles choses se produisaient avant que les garderies existent. En 1945, Parker a réalisé un film pour ainsi dire oublié, Listen to the Prairies (bientôt offert sur ONF.ca), qui était considéré par le producteur influent de l’Unité B, Tom Daly, comme un film marquant qui signale une rupture avec la traduction documentaire didactique britannique et le début d’un nouveau style/rythme cinématographique vraiment canadien; le film était un précurseur aux œuvres fondatrices comme Coral et Paul Tomkowicz.
Parmi les autres femmes réalisatrices à l’ONF au début des années 1940, on retrouve Beth Zinkan et l’anthropologue américaine Laura Boulton. En plus de réaliser leurs propres films, Judith Crawley et Margaret Perry ont été les deux premières femmes cinéastes à l’ONF.
Une histoire du cinéma : les femmes en temps de guerre par Joanne Robertson, Office national du film du Canada
Évolution des techniques de cinéma
Toutes les personnes ayant participé au projet Une histoire du cinéma avaient des histoires fascinantes à raconter, mais celle qui m’a le plus touché fut le témoignage de William Weintraub sur la façon dont les documentaires étaient produits avant l’époque des caméras légères et de l’équipement portatif d’enregistrement audio. Bill était un scénariste documentaire dans les années 1950; il pouvait interviewer un vendeur itinérant une journée et un dompteur de lions le lendemain. À cette époque, l’équipement était si lourd et le processus de captation d’image et de son si laborieux qu’il n’y avait pas de place pour l’improvisation. Le rôle de Bill en tant que scénariste était donc d’effectuer une pré-entrevue des sujets du documentaire. Il écrivait ensuite un script basé sur leurs mots et les personnes devaient livrer ce message devant la caméra!
Il était aussi fascinant d’en apprendre plus au sujet de l’évolution des trames sonores. Dans les années 1940, l’ONF a rapidement établi un service musical et a recruté une brochette de jeunes compositeurs extrêmement talentueux comme Maurice Blackburn, Louis Applebaum et Eldon Rathburn. Le paysage sonore de Une histoire du cinéma comprend 5 pistes originalement composées en 1964 pour le classique de Jean Claude Labrecque, 60 cycles : un petit hommage aux milliers d’excellentes trames sonores originales créées au fil des ans pour les films de l’ONF.
Une histoire du cinéma : les compositeurs, Joanne Robertson, offert par l’Office national du film du Canada
61 portraits, 13 thématiques
En tout, en comptant le travail des équipes de production française et anglaise de l’ONF, nous avons produit 61 profils pour Une histoire du cinéma. Ceux-ci ont été regroupés en listes de lectures dans 13 catégories thématiques que les spectateurs peuvent explorer avec des textes thématiques, de courtes biographies et des filmographies qui sont reliés aux titres offerts en visionnage en continu sur ONF.ca.
L’objectif de ce projet n’était pas d’être nostalgique à propos du passé, mais plutôt de mieux comprendre d’où nous venons, ce qui nous permet de connaître notre identité et ce vers quoi nous allons. Le fait que le cinéma canadien se soit développé au sein de la sphère publique a eu un impact considérable sur le caractère du cinéma dans ce pays. Des générations de cinéastes ont appris leur métier avec la conviction de rendre un service public.
Il ne s’agissait pas de faire de l’art pour l’art (en fait, lorsque l’égo d’un jeune cinéaste commençait à trop enfler, Grierson avait coutume de lui rappeler : « tu n’es pas ici pour tes beaux yeux »). Il n’était pas question de raconter des histoires qui feraient vendre pour satisfaire des annonceurs. L’objectif de l’ONF était de faire des films dans l’intérêt du public, des films qui visaient des auditoires et qui pourraient être utiles aux gens.
Le fait que tant de cinéastes canadiens de la première génération aient appris leur métier à l’ONF a eu jusqu’à présent un impact énorme sur les histoires que nous racontons, la manière dont nous les racontons et notre vision du rôle du cinéma et de sa vocation sociale.
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