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Le séisme en Haïti vu par Benoît Aquin

Photo par Benoît Aquin. Lavi an pa fini. Haïti 2010

Lauréat du prestigieux prix Pictet de l’ONU en 2008, soit la plus grosse bourse offerte pour un prix de photographie, le Montréalais Benoît Aquin fait partie des plus grands photographes indépendants au monde. Il est reconnu pour ces essais photographiques sur des grandes causes humanitaires et écologiques. Ces images ont notamment été publiées dans le Time Magazine, Canadian Geographic, Wired, et The Guardian.

Lorsque l’équipe des projets interactifs de l’ONF l’a approché pour réaliser une œuvre photographique multimédia, il a tout de suite accepté, sans savoir de quel sujet il allait traiter. La terre venait de céder sous Haïti quelques jours plus tôt, un pays qu’il affectionne tout particulièrement. L’équipe de l’ONF souhaitait traiter du sujet. Ils se sont donc tout de suite entendu : son travail allait témoigner du séisme et surtout, de la vie après le séisme. Lavi an pa fini… La vie n’est pas finie.

Catherine Perreault : Pourquoi avez-vous choisi d’aller en Haïti après le séisme?
Benoît Aquin : Pour plusieurs raisons. Je connais le pays depuis très longtemps. J’y suis allée à plusieurs reprises. J’ai déjà eu une conjointe haïtienne et je connais bien la culture. Ça faisait plus de 15 ans que je n’y étais pas allé. Présentement, je suis en train de monter un projet sur l’économie alimentaire à travers la paysannerie. Haïti était une destination incontournable, parce qu’il y a plusieurs problématiques présentes en Haïti dans le domaine de l’agriculture. Je voulais donc y retourner, mais je ne savais pas à quel moment. Quand la catastrophe est arrivée, j’ai tout de suite appelé au Centre d’étude et de coopération international (CECI). Je connais des gens qui y travaillent. Je leur ai dit que j’étais intéressé à aller en Haïti avec eux. Je suis partie sur le premier vol humanitaire en partance du Canada en tant que photographe et volontaire pour le CECI. Je faisais partie de leur service des communications. Je suis resté une semaine là-bas et j’y suis retourné 3 mois plus tard.

Comment avez-vous organisé votre travail une fois rendu sur place?
Je prenais des photos pour les médias, pour le CECI et pour le projet ONF. Je ne savais pas quelle direction allait prendre mon travail. Je photographiais à plusieurs heures de la journée. Après quelques jours, je me suis aperçu que les images que j’avais prises à la brunante étaient une piste intéressante et j’ai décidé de continuer sur cette piste là pour mon travail personnel.

Sachant que vous preniez des photos qui allaient être diffusées sur le Web, avez-vous utilisé une approche différente?
J’essaie de ne pas faire de compromis. C’est toujours difficile de partager son regard entre la commande et le travail sur le terrain. Quand je fais mon travail, je ne me pose pas de question, que ce soit pour le Web ou pour l’imprimé. Je suis vraiment immergé dans l’environnement dans lequel je me trouve. C’est un peu comme être en transe. Je réagis à ce que je vois et à ce que je rencontre. Le travail de réflexion se fait plutôt avant et après.

C’est une chose de rapporter des images, mais vous avez aussi vu les dégâts de vos propres yeux et entendu ce qui se disait sur le terrain. Pouvez-vous décrire ce que vous avez vécu?
J’ai aussi senti le désastre. Je n’oublierai jamais l’odeur de la mort… On était tous sous le choc. Personnellement, je n’ai jamais rien vu d’aussi apocalyptique. C’était épeurant, parce qu’on ne savait pas si la société allait tomber dans le chaos total, ni comment la crise allait être gérée ou comment la population allait se comporter. On savait qu’on était sur un point pivot et que les événements pouvaient basculer dans n’importe quelles directions. De savoir qu’il y  a autant de morts, c’est ahurissant, mais l’effet post apocalyptique de chaos et d’anarchie est vraiment très épeurant.

Avez-vous été témoin de scènes de violence ou d’actes criminels?
Il y a eu du pillage, mais je trouve que, finalement, les gens se sont très bien comportés. Je me demande si ça n’avait pas été pire si tout cela était arrivé à Montréal… Déjà, pendant le verglas, c’était assez chaotique. Je me dis que si l’on avait subi une catastrophe comme celle-là, peut-être que les choses auraient été pires ici, avec l’hiver et tout.

Les Haïtiens sont donc restés civilisés?
Oui. C’est sûr qu’il y a eu toutes sortes d’événements. On entend des rapports accablant sur les viols par exemple, mais honnêtement, j’aurais pu imaginer pire.

Vous êtes retourné sur les lieux 3 mois plus tard. C’était comment à ce moment-là?
Ça ne se comparait pas. C’était sans aucune mesure avec ce que j’avais vécu au mois de janvier. La pesanteur, la peur et l’effet post-apocalyptique étaient disparus. Il y avait moins d’inconnu. La vie reprenait son cours. Je connais beaucoup de gens qui sont allés en Haïti plusieurs mois après la catastrophe et pour eux, l’effet de choc était très réel. Ils ont été marqués par ce qu’ils ont vu. Mais pour moi, la 2e fois n’était pas comparable. Quand je suis revenu au Québec après mon 1er voyage, j’avais juste envie de pleurer pendant deux semaines. Je me suis aperçu que j’avais tout absorbé sans filtrer au final et que je vivais vraiment un choc post-traumatique.

Étiez-vous plus encouragé ou découragé de l’évolution de la situation?
Je vais répondre indirectement à ta question par d’autres questions. Pour moi, Haïti a toujours été un microcosme annonciateur de ce qui pourrait arriver ailleurs. Je me dis, si on n’a pas réussi à faire bouger les choses plus rapidement là-bas, c’est aussi parce que ça dépasse peut-être notre capacité d’action. L’occident est aussi en crise. On a subi une crise économique en 2008 et peut-être qu’on n’a pas vraiment l’argent qu’on a promis? Je ne le sais pas. Je me pose la question. Peut-être que l’occident est essoufflé. Il y a eu le Pakistan aussi dans tout cela. Je me demande si notre pouvoir d’action est aussi grand qu’on l’annonce. Pour moi, c’est un constat. Peut-être qu’on ne s’entend pas non plus sur les moyens à prendre? Peut-être qu’on ne reconnaît pas les intérêts réels de chaque puissance impliquée en Haïti? L’histoire du pays a connu plusieurs politiques qui ont été très néfastes au final. Je pense aux ajustements structurels du FMI, aux prêts de la banque mondiale, aux politiques de tarif douanier, à l’importation et à l’exportation du riz, etc. C’est une situation extrêmement complexe et il y a beaucoup de questions auxquelles on n’a pas encore répondues.

Je ne sais toujours pas à quoi s’attendent les gens. Certains disent que c’est l’occasion de reconstruire Haïti.  Je ne sais pas si les politiques appuient ou non cette reconstruction. Pour moi, la reconstruction du pays passe par la relance de l’agriculture. C’est un pays de paysans et ça prend des politiques qui appuient cette croissance-là.

J’ai perçu dans votre projet et à travers vos photos une certaine volonté de montrer la vie après la mort. On y voit des gens en action, de la couleur, du mouvement, etc.  Est-ce que je me trompe?
Je trouve que la vie en Haïti peut des fois être très exubérante. J’aime ça. J’aime quand la vie surgit ou éclate inopinément. J’ai eu l’opportunité d’être là quelques jours après le tremblement de terre, d’y retourner 3 mois plus tard, et je vais y retourner à nouveau prochainement. Je me dis que si je suis capable d’exposer quelque part le cycle de la vie à travers mon travail, ça peut être intéressant. L’esthétisme contribue à la force des images, mais aussi à l’expression derrière le contenu. Après la mort, c’est la vie, c’est les couleurs.

Il semble aussi y avoir une certaine légèreté ou même de l’humour dans votre travail. Je pense à cet homme qui urine debout à l’arrière d’une camionnette. C’est quand même cocasse comme image, non?
Oui, il y a peut-être une touche d’humour. Il faut essayer d’être honnête et de briser un peu le cycle de la catastrophe et du fatalisme.

Est-ce qu’il y a une différence entre photographier la vie et la mort, la beauté et la destruction?
Non, je ne pense pas. Personnellement, je me donne le défi d’être très honnête et pertinent face à ce que je vois et de montrer un peu de tout. L’approche pour moi est la même. J’essaie d’inspirer les gens par mon travail. Je suis toujours fasciné de voir comment l’homme est petit face à l’univers. Si je suis capable de faire sentir ça, mon travail est fait. Dans le fond, on est ce qu’on pense et peut-être que nos images sont ce qu’on pense aussi. J’aime bien cette citation de Boudha qui dit : « Nous sommes ce que nous pensons. Tout ce que nous sommes naît de nos pensées et avec nos pensées, nous créons le monde. »

Qu’est-ce qui vous a plu dans l’idée de faire un projet interactif pour le Web?
L’attrait était de travailler avec une équipe professionnelle spécialisée dans le multimédia, là où les possibilités sont infinies. Au début, on pensait faire un truc beaucoup plus complexe de ce qu’on a fait, avec beaucoup plus de possibilités de navigation et d’interaction. Plus ça allait, plus on épurait. Finalement, on est arrivé à ce résultat, qui est très linéaire.

Pourquoi? À cause du sujet?
Oui, justement. C’est aussi pour faciliter l’expérience et l’immersion. Je pense que si les gens avaient eu la possibilité de sortir du déroulement, c’est-à-dire du scénario proposé, ça aurait brisé un peu l’aspect contemplatif ou incitatif des images. La toute première séquence est très méditative d’une certaine façon : il y a le choc, l’image de la destruction d’une ville, le battement, le rythme, etc. Au final, je pense qu’on a fait le bon choix. Il n’y a pas la possibilité de faire marche arrière. Il faut continuer d’avancer dans l’expérience. La séquence de la construction est importante pour moi. La nature photographique du projet se prêtait bien à cette forme linéaire et épurée. J’aime beaucoup aussi le travail de composition sonore de Cédric Chabuel. Le son n’est pas envahissant et ne vient pas déconcentrer du travail visuel. Il est là pour le supporter et pour l’enrober d’une certaine manière.

Pensez-vous faire d’autres projets multimédia dans le futur?
Oui. J’ai beaucoup aimé l’expérience et j’ai vraiment apprécié le travail de l’équipe interactive de l’ONF. Martin Viau, pour ne nommer que lui, a été d’une très grande aide.

Qu’est-ce que vous souhaitez le plus au projet?
Qu’il ait beaucoup de visiteurs…

On invite alors les gens à le visionner ici : Lavi an pa fini

À lire sur le sujet :

Texte de Philippe Renaud dans La Presse : Lavi an pa fini : la vie après le séisme
Texte de Sophie-Hélène Lebeuf sur le site de Radio-Canada : Lavi an pa fini (La vie n’est pas finie)
CECI : ONF : Lavi an pa fini


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