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Kenbe la, le fruit d’une rencontre imprévue

Kenbe la, le fruit d’une rencontre imprévue

Kenbe la, le fruit d’une rencontre imprévue

À l’occasion de la sortie en ligne du documentaire Kenbe la, jusqu’à la victoire, nous publions une lettre du réalisateur Will Prosper à la mémoire de son ami Alain Philoctète, personnage central du film, décédé au printemps 2020.

Cher Alain,

Tu te rappelles cette fois où nous nous sommes croisés, en 2012 ? Moi, je me présentais aux élections provinciales à Montréal-Nord, et toi, tu voulais donner un coup de pouce à ma campagne, parce que ce que Québec solidaire proposait correspondait à tes valeurs. Dès nos premiers échanges, j’ai eu l’impression de te connaître depuis toujours. Notre amitié n’a fait que se renforcer au fil des mois et des années. Je découvrais avec plaisir et admiration le militant politique et l’artiste, mais surtout l’humaniste généreux, toujours à l’écoute et prêt à échanger des idées, en tout respect, sans jamais manifester envers personne la moindre condescendance. Dès le début, j’ai pensé que j’étais chanceux de te connaître, mais j’ignorais complètement jusqu’où la route nous conduirait.

Quand tu as été obligé de fuir Haïti à cause de ton implication politique qui te mettait en danger de mort, tu t’es retrouvé au Québec. Le combat que tu avais mené pour sortir ton pays natal de la misère et de la dictature devrait dorénavant prendre une autre forme. Après des années de réflexion, de recherche et d’apprentissages, tu as trouvé. Tu as décidé de développer en Haïti un projet de permaculture sur la terre familiale, un projet qui permettrait à des familles regroupées au cœur d’un lakou de partager la terre et ce qu’elle produit, un projet destiné à créer un écovillage autonome, dans l’esprit même de partage et de justice sociale qui t’avait toujours animé.

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Kenbe la, jusqu’à la victoire

ONF

Un diagnostic de cancer est venu bousculer tous tes plans et tu as dû faire un choix déchirant : partir en Haïti pour quelques semaines et retarder d’autant les premiers traitements de chimiothérapie, peut-être au détriment de ta santé, ou commencer tout de suite le traitement, au risque de ne plus jamais pouvoir partir… L’appel a été plus fort, tu avais viscéralement besoin de ce retour aux sources avant d’entreprendre le combat pour ta vie.

Avec une petite équipe de tournage, je t’ai accompagné lors de ton retour au bercail. J’ai vu tes yeux briller de joie, littéralement, lorsque tu as posé le pied sur le sol natal, puis briller de larmes quand tu as découvert la réalité, si différente de tes souvenirs. Puis j’ai vu tout ton être s’illuminer devant la nature somptueuse de la campagne haïtienne, dont tu t’es imprégné avec délice. Tu m’as entraîné dans tes états d’âme, partageant avec moi ce qui te portait. Par ton regard si ardent, j’ai découvert ta passion : Haïti. J’ai encore une fois pris la mesure du vrai humaniste que tu étais en observant ton approche envers les paysans qui squattaient et cultivaient depuis longtemps la terre familiale, alors que tu constatais son déboisement. Je t’ai vu malgré cela les traiter avec empathie, leur parler de ton projet, plutôt que de les chasser à coups de pied. Je ne sais plus si c’est à ce moment-là ou plus tard que je t’ai donné dans ma tête le surnom d’« homme lumière ».

Je dois te dire, cher Alain, que rien ne pourra me faire oublier ta joie pure lorsque tu as découvert le lakou à Hinche et ses habitants, véritable incarnation de ce que tu avais imaginé et qui soudainement t’insufflait énergie et enthousiasme, confirmait la pertinence de ton projet et sa faisabilité. Tu venais de renouer plus solidement encore avec ton rêve.

Mais bientôt, il t’a fallu rentrer dans ton autre pays, glacé, pour subir tes traitements. Avec ta Chantal d’amour, si présente, si aimante, si solide malgré tout ce qui vous ébranlait tous les deux, tu as affronté, vous avez affronté le combat du corps. Sans hésiter, tu m’as permis de t’accompagner, tu m’as accordé cette proximité, tu m’as laissé entrer dans l’intimité de ta souffrance, avec générosité. Et quand un jour, incapable de poursuivre, je t’ai dit : « ça suffit, on arrête », tu m’as répondu, épuisé : « Non, Will, reviens », avant d’ajouter en souriant presque : « Même si tu es un sadique.  »

Will Prosper (Photo : Alexandre Claude)

Avec ce film, j’ai d’abord voulu te raconter, toi, le militant, le poète, l’artiste, l’amoureux, le père, l’ami. Mais c’est aussi le récit d’un homme noir sans histoire, comme des centaines de milliers d’autres ici. Un homme aux convictions profondes, aux prises avec les enjeux de l’exil, de la maladie, du dévouement, de l’amour de sa terre natale, un homme qui n’avait d’autre ambition que de pouvoir transmettre à ses fils des savoirs, des idéaux et des valeurs universelles.

Avec mon film, j’ai simplement essayé de te mettre en scène et en lumière, pour que les spectateurs puissent recevoir un peu de cette richesse que tu portais en toi. Pour que tu restes ce phare dont la lumière nous guide à jamais vers un monde meilleur.

Cher Alain, tu me manques toujours cruellement. Mais je me raccroche à ce que tu me disais toujours : « Kenbe la, jusqu’à la victoire.  »


VISIONNEZ KENBE LA, JUSQU’À LA VICTOIRE :

Kenbe la, jusqu'à la victoire, Will Prosper, offert par l'Office national du film du Canada

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