Waseskun de Steve Patry : portrait d’un centre de réhabilitation
Un homme explique à la caméra que la mort de son père a été un grand moment de soulagement. Un autre demande toujours pardon pour la vie qu’il a enlevé au sein de sa communauté. Un troisième explique, en faisant son café, qu’il va fêter Noël avec sa famille pour la première fois depuis vingt ans. À peu près tous les intervenants ont subi, d’une façon ou d’une autre, les injustices des pensionnats autochtones.
Ainsi va la vie et les confessions troublantes à Waseskun, le centre de réhabilitation à Saint-Alphonse-de-Rodriguez, en vedette dans le documentaire éponyme de Steve Patry.
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Le cinéaste semble être sincèrement préoccupé par des notions comme la réhabilitation, le pardon, la dépendance et les cycles de violence. Son premier long métrage, De prisons en prisons, illustrait les cercles vicieux de trois ex-détenus, vraisemblablement incapables de s’éloigner de leurs vies criminelles. On voit l’un des trois intervenants sortir d’un processus de réhabilitation à Waseskun, d’ailleurs.
C’est lors du tournage de ce premier documentaire que le réalisateur s’est intéressé au centre. Plus que les individus, c’est l’établissement dont il dresse le portrait dans son deuxième long métrage. « Il y a une approche très humaine à Waseskun », raconte le réalisateur. « Ceux qui y travaillent, on les appelle les aidants et les ainés, pas des thérapeutes ou des intervenants sociaux. Déjà dans la terminologie c’est assez différent. »
S’en est suivi un processus de rapprochement graduel; Steve Patry passait trois à quatre jours de suite à Waseskun, à chaque mois, pendant environ un an. C’est cette présence continue qui a permis de créer un climat de confiance, qui à son tour a permis aux hommes de s’ouvrir à la caméra.
« Je côtoyais ces gars-là. Une demi-heure avant de tourner, on rit ensemble, et après, on entre dans la thérapie, et les gars passent des rires aux larmes rapidement, et ils sont dans une démarche où ils rentrent dans des sujets super durs. Je ne m’attendais pas à ce que ça se fasse aussi drastiquement, ces changements-là. Je me cachais derrière la caméra, je visionnais ça le soir et puis j’étais comme tabarnak esti (sic) c’est fort. »
Ce qui est frappant dans l’œuvre de Steve Patry, c’est le constat concret du caractère effrayant de la liberté. Que se passe-t-il lorsqu’on arrête d’être encadré par des institutions et des professionnels voués à notre bien-être? « Je crois que quand t’as à Waseskun, ou en thérapie ou en maison de transition, la vie quotidienne c’est plus facile, parce que tu n’as pas de loyer à payer, tu n’as pas à te soucier de la bouffe dans ton frigidaire. Les gars sont dans une bulle un peu. Un coup qu’ils sortent de cette bulle, on ne sait jamais ce qui va se passer. »
Ce qui se passe, parfois, c’est un retour vers les habitudes d’un passé plus sombre, et parfois, c’est la rupture définitive avec ce cycle de violence. Mais selon Steve Patry, il s’agit d’un cycle de violence auquel nous participons tous, implicitement.
« Ça suscite des réflexions qui vont au-delà du centre de Waseskun : la violence, les conséquences directes ou indirectes de l’héritage des pensionnats, de la colonisation. » explique-t-il. « Nous, qu’est-ce qu’on fait pour briser notre propre cycle de violence qu’on perpétue avec ces gens-là? L’injustice de notre système de justice, leur surreprésentation dans notre système carcéral. C’est un système raciste. Il faut régler notre problème de racisme envers eux. Ils ne sont pas seuls responsables. »