L’ONF s’engage à respecter votre vie privée

Nous utilisons des témoins de navigation afin d’assurer le bon fonctionnement du site, ainsi qu’à des fins publicitaires.

Si vous ne souhaitez pas que vos informations soient utilisées de cette manière, vous pouvez modifier les paramètres de votre navigateur avant de poursuivre votre visite.

En savoir plus
La transmission des savoirs autochtones vue par 4 cinéastes

La transmission des savoirs autochtones vue par 4 cinéastes

La transmission des savoirs autochtones vue par 4 cinéastes

Lorsque l’Office national du film du Canada m’a proposé de rédiger un texte sur quatre films qui abordent le partage des savoirs autochtones, je me suis demandé comment j’allais m’y prendre. J’ai donc commencé par visionner les trois premiers courts métrages étonnants réalisés par des cinéastes autochtones de grand talent. Je n’ai pas eu besoin de visionner le quatrième film car, l’ayant réalisé, j’en connaissais chaque image. J’ai ensuite cherché la meilleure entrée en matière possible pour retenir l’attention des lecteurs et lectrices.

Quelques mots sur l’auteur : Cinéaste polyvalent, Eric Janvier évolue avec une même aisance dans l’univers du récit que dans celui du documentaire. Son film Le cœur battant d’une nation est maintenant accessible sur ONF.ca.

J’aurais ainsi pu prendre comme point de départ le cliché de la définition :

Partager, verbe
1 : Diviser (un ensemble) en éléments pour les distribuer, les employer à des usages différents.
2 : Partager qqch. avec qqn, lui en donner une partie.
3 : Rendre accessible ; faire connaître. Partager une recette, partager son expérience.
4 : Avoir part à (qqch.) en même temps que d’autres. Partager le repas de quelqu’un.

Voilà certaines des définitions — simples, mais efficaces — données au verbe partager dans le dictionnaire Robert de la langue française. Mais ce verbe a-t-il le même sens dans d’autres cultures et d’autres régions du monde ? Nous, les peuples autochtones, non seulement au Canada, mais sur l’ensemble de la planète, partageons la conviction que l’histoire nous est enseignée au moyen des récits. Nous les avons transmis par différents moyens, des chansons à la nourriture. Si vous vous trouvez à la table de cuisine en compagnie de votre tante et que celle-ci partage avec vous ses connaissances sur la fabrication de la bannique, il y a fort à parier qu’elle vous explique comment sa kukum (grand-mère) ou son atsa (tante paternelle) les lui a transmises. Nous sommes des conteurs nés, comme l’illustrent ces quatre œuvres magnifiques.

Le cinéaste Eric Janvier (Photo : Kelton Stepanowich)

La musique constitue le trait commun de ce quatuor. Le tambour d’Evan et Le cœur battant d’une nation traitent de l’éducation de nos jeunes par la musique : il ne s’agit pas seulement des chansons, mais aussi de l’histoire et de la culture de celles et ceux qui portent le tambour. Le court métrage Chanson de l’Arctique est unique en ce qu’il relate quatre variations sur un thème en faisant appel à plusieurs arts : le chant traditionnel, le récit proprement dit, l’art visuel et le cinéma. Enfin, dans La nuit du Nalujuk, ce sont les chansons qui permettent aux Nalujuit de passer parmi nous afin de déterminer si nous avons été sages toute l’année et méritons des bonbons.

Cela dit, qu’est-ce qui différencie ces films ? Même si Le tambour d’Evan et Le cœur battant d’une nation présentent tous deux un jeune enfant qui fabrique un tambour, chacune de ces œuvres a quelque chose d’unique.

Le réalisateur Ossie Michelin capte, dans Le tambour d’Evan, ce qu’il a fallu pour qu’une communauté partage l’histoire du qilaut (tambour) inuit. Le petit Evan a eu de nombreux professeurs, dont sa mère, gardienne du savoir. Le film nous raconte qu’elle a appris le tambour et contribué à faire renaître cette tradition dans la communauté. Car si à l’origine, beaucoup de groupes jouaient de cet imposant instrument, leur nombre a nettement diminué au fil du temps. Evan est absorbé par ce qu’il apprend, même s’il est parfois turbulent comme le sont les enfants. Sa communauté lui transmet le savoir, la culture et l’histoire de son peuple en espérant qu’un jour, il partagera à son tour ses connaissances avec la génération suivante. Mais pour l’heure, il n’est qu’un jeune garçon heureux de raconter à sa famille ce qu’il a appris et de partager son tambour avec son petit frère. Les dernières images du film montrent Evan et sa famille jouant sur la plage. C’est ainsi que commencent le partage et l’apprentissage de nos cultures, pour moi. Nos familles, qu’elles soient d’origine ou choisies, sont celles qui nous apprennent très tôt qui nous sommes et ce qui nous distingue.

Le tambour d'Evan, Ossie Michelin, offert par l'Office national du film du Canada

En ce qui concerne Le cœur battant d’une nation, voici comment je suis passé du concept initial à l’histoire actuelle. C’est en bref le résultat de la Covid. Mais à quelque chose, malheur est bon, puisque l’histoire a alors commencé à se développer dans ma tête. J’ai réussi à simplifier cette histoire en utilisant ma caméra pour filmer mon frère en train de fabriquer un tambour en peau de caribou. J’aurais pu le filmer dans son jardin en plein Edmonton, mais comme le confinement prenait fin, nous avons décidé de retourner sur nos terres ancestrales de la forêt boréale, dans ma communauté de la Première Nation dénée de Chipewyan Prairie. Au départ, je ne devais filmer que mon frère Brant, mais comme August, le plus jeune de ses enfants, nous a accompagnés, il a lui aussi fait partie du documentaire. Ce qui devait être au départ un documentaire sur la fabrication d’un instrument est ainsi devenu un film dans lequel mon frère partage sa connaissance du tambour avec son fils. Malgré l’air ennuyé qu’il prend parfois, August s’intéresse aux histoires traditionnelles et aux connaissances qu’on lui transmet et il les assimile. À la fin, lui et son père chantent une chanson traditionnelle que nous a transmise une autre communauté et que nous partageons avec la nôtre. C’est le moment le plus impressionnant du film et je le dis en toute impartialité. Entendre August chanter de plus en plus fort à mesure que la mélodie progresse donne tellement de poids à sa voix et à celle de la communauté !

Le coeur battant d'une nation, Eric Janvier, offert par l'Office national du film du Canada

À propos de voix, je me dois de mentionner celle, envoûtante, de la chanteuse du film Chanson de l’Arctique, réalisé par Germaine Arnattaujuq, Neil Christopher et Louise Flaherty. Avant de lancer la lecture, je ne savais pas à quoi m’attendre, mais en l’entendant chanter, j’ai tout de suite été subjugué. Chacun de ces récits propose une perception différente de la connaissance liée à la nature, du folklore inuit et de la façon dont ces deux savoirs peuvent coexister dans notre monde, comme le font la lumière et l’obscurité ou le corbeau et le lièvre. Ces histoires qu’on nous enseigne sont autant de légendes sur la création du monde. Hautes et imposantes, les montagnes se dressent telles d’impressionnants géants, et les étoiles tracent dans le ciel la silhouette d’animaux se pourchassant. Le public est ainsi invité à se pencher sur ces images, à se demander si les histoires sont vraies ou non. Voilà, en soi, la plus grande force de toute forme de récit : faire en sorte que les gens continuent à se poser des questions longtemps après la fin de l’histoire. N’est-ce pas pour cela que nous réalisons des films ? Pour dire notre vérité et permettre au public de réfléchir à ce que nous partageons avec lui. C’est ce qui définit le récit, et Chanson de l’Arctique l’illustre à la perfection.

Chanson de l'Arctique, Germaine Arnattaujuq, Neil Christopher et Louise Flaherty, offert par l'Office national du film du Canada

Le fait que La nuit du Nalujuk côtoie une histoire comme Chanson de l’Arctique va de soi : c’est un excellent programme double. Réalisé par la cinéaste inuite Jennie Williams, Lanuit du Nalujuk nous révèle un monde caché par l’obscurité que seuls connaissent ceux et celles qui célèbrent vraiment cette fête. Je n’oserais dire que je connaissais tout de cette pratique traditionnelle. L’endroit d’où je viens et celui où se pratiquent ces traditions ne sont séparés que par quelques centaines de kilomètres et pourtant, ces histoires sont si locales qu’elles ne peuvent se dérouler que dans le Grand Nord. Ces créatures qui émergent de la banquise pour se rendre au village et donner des cadeaux aux enfants sages et une légère fessée à ceux et celles qui ne l’ont pas été ne nous rappellent-elles pas quelqu’un d’autre ? Je pourrais digresser longuement sur l’histoire de Noël, sur les coutumes qui l’entourent et découlent de nombreuses cultures différentes, mais cela déborderait du cadre du présent billet. Ce que j’apprécie dans ce film, c’est qu’il montre que la communauté se rassemble pour partager ses connaissances. De la même manière que Le tambour d’Evan a mobilisé la communauté d’Evan, on apprend aux enfants de tous âges qu’il ne faut pas craindre les Nalujuit, sauf si on n’a pas été sage. Les enfants sages reçoivent des bonbons en récompense après avoir consenti à chanter une chanson aux Nalujuit. Le plus souvent une chanson traditionnelle qu’on leur a apprise et qui raconte une histoire.

La nuit du Nalujuk, Jennie Williams, offert par l'Office national du film du Canada

Ces quatre films illustrent ce que signifie le partage des connaissances et la façon dont nous enseignons les histoires. Nous nous sommes toutes et tous réunis autour de notre médium commun, le cinéma, pour transmettre le savoir et la tradition à notre manière unique et plurielle à la fois. Chaque cinéaste a su saisir avec brio la façon dont nous transmettons ce savoir, c’est-à-dire au moyen du récit, et représenter à sa façon la saison du partage.

Ajouter un commentaire

Commenter