Portraits X Paysages
Dans Nulle part ailleurs, le premier des 10 courts métrages de la série documentaire Au beau milieu de la plaine, réalisée par Scott Parker et lancée sur ONF.ca aujourd’hui, des peintres amateurs expliquent le lien artistique et émotionnel qu’ils partagent avec le territoire des Prairies. Ils parlent d’une proximité identitaire avec le lieu. Comme inspiré par ces artistes en herbe, Parker dresse un portrait saisissant et époustouflant de régions rurales du sud de l’Alberta et de la Saskatchewan. En 10 films, le cinéaste se révèle des talents simultanés de portraitiste et de paysagiste.
Enlevez la violence de No Country for Old Men des Frères Cohen et vous saisissez l’ambiance générale de ces 10 capsules, qui captent l’essence de ces régions, palpable jusque dans le vernis décapé de vieilles Ford, dans les frites particulièrement graisseuses de l’hôtel du coin, et dans les balançoires abandonnées d’un village de 21 habitants.
Ce village s’appelle Wood Mountain, et le maire explique comment la fermeture de l’école a servi d’avant-dernier clou dans le cercueil de cette communauté. Quand il ouvre la porte de son ancienne classe de science, on y voit des ordinateurs beiges aux écrans bombés et aux claviers intégrés aux moniteurs. Le temps est passé ailleurs.
Dans l’ensemble des courts films de Parker, on sent la notion de la fin imminente. La fin de tout. La propriétaire d’un hôtel organise une soirée « frites et ailes de poulet » pour tenter de remplir les coffres de son commerce vieillissant : outre les habitués qui y prennent leur café depuis plus d’une trentaine d’années et les habitants des villages avoisinants qui y passent pour des occasions spéciales, le restaurant et l’hôtel appellent au vide, à la mort. Mais la propriétaire n’est pas prête de partir. « Il ne faudrait pas que ça se transforme en galerie d’art ou quelque chose du genre. On a besoin d’une place comme l’hôtel Val Marie ici ».
À Gravelbourg, les Fransaskois tentent de préserver le français, langue particulièrement minoritaire dans la région. Des parents exclusivement anglophones participent à l’effort, souhaitant apprendre la langue de Molière à leurs enfants. Le petit village d’infatigables Fransaskois résistera-t-il à la tendance anglophone le temps d’une autre génération? Et celle d’après? Que sera, sera.
Dans Celui qui reste, on rencontre le fermier Herb Pidt qui, entre deux rires nerveux qui révèlent une criante nostalgie, explique comment il passe son temps à réparer le tracteur de son père, sur lequel il ne se serait jamais attardé si ce n’était pas le tracteur de son père. Il y a l’appel criant vers la mort, et la vaine et humble tentative de retarder la fatalité. Dans De génération en génération, Ken Catherwood cherche à léguer sa ferme à son fils. Le père est attaché à ses vieilles traditions. Son fils Shawn, étudiant en agronomie, souhaite moderniser l’équipement et les techniques d’agriculture, alors que son père s’attache aux méthodes qu’il utilise depuis l’âge de 11 ans.
Partout, dans ces portraits d’une époque révolue au sein de paysages intemporels, on retrouve un sens aigu et criant de la communauté. Même quand elle se désintègre aux yeux de tous, il y a tentative de réanimation. Dans la chute ralentie, on retrouve un soutien indéfectible.
Enfin, dans Propriétaire de ranch, Miles Anderson, un des derniers cowboys, raconte comment la façon dont il élève son bétail aide à préserver la population des Tétras des Armoises, des oiseaux très rares qui vivent dans la région. En regardant toutes ces capsules, les oiseaux n’ont pas l’air d’être les seules espèces en voie de disparition. En ce sens, Scott Parker documente la fin définitive d’une époque, jouant particulièrement bien avec les paysages presque infinis, qui ont vu tant de choses naître à l’aube et mourir à l’horizon.
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Voyez tous les films de la série Au beau milieu de la plaine de Scott Parker