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De la marge jusqu’au grand public : 50 ans de cinéma latino-canadien

De la marge jusqu’au grand public : 50 ans de cinéma latino-canadien

De la marge jusqu’au grand public : 50 ans de cinéma latino-canadien

Je vous invite aujourd’hui à vous pencher avec moi sur l’histoire méconnue du cinéma latino-canadien et sur la place qu’occupent enfin les cinéastes d’origine latino-canadienne dans un environnement qui leur offre des occasions en or de présenter leur travail.

Avant de poursuivre votre lecture, prenez un moment pour visionner le film en trois volets Il n’y a pas d’oubli (1975), primé au Festival international du film de Locarno et au Festival international du film sur les droits de l’homme de Strasbourg. Ce film a introduit un concept fondamental à l’ONF il y a 50 ans : le cinéma latino-canadien !

Il n’y a pas d’oubli, Rodrigo Gonzalez, Jorge Fajardo et Marilú Mallet, offert par l’Office national du film du Canada

L’année 2025 marque le 50e anniversaire du premier film réalisé par des cinéastes de l’Amérique latine vivant au Canada, qui ont exploré de manière consciente leurs identités hybrides et leurs réalités politiques de personnes immigrantes. Bien que des gens de cette origine aient pu réaliser des films au pays auparavant, Il n’y a pas d’oubli a entraîné la naissance d’un mouvement cinématographique collectif et incarné. Le film met en évidence un glissement des perspectives d’artistes individuelles vers une approche cinématographique communautaire et une voix commune. Il aborde les thèmes de la diaspora et de l’identité, de l’exil politique (la majeure partie de cette population immigrante fuyait les dictatures militaires qui ont balayé l’Amérique latine dans les années 1960 et 1970) ainsi que de la mémoire et de l’appartenance. La plupart des cinéastes d’origine latino-canadienne de cette époque ont évolué sous l’influence certaine du mouvement du Troisième Cinéma (né en Argentine en 1968, grâce à Octavio Getino et Fernando Solanás[i]) ou faisaient partie de ce mouvement. On peut par conséquent affirmer qu’à cette époque, le cinéma latino-canadien de l’ONF était par défaut politique, non conformiste, non propagandiste et non commercial… tout comme le dictait le manifeste du Troisième Cinéma !

Un chef-d’œuvre méconnu : Il n’y a pas d’oubli

Les trois segments de ce triptyque de fiction révolutionnaire sont signés respectivement par Marilú Mallet, Jorge Fajardo et Rodrigo González-Rojas. J’explique certaines choses,[ii] de Rodrigo González-Rojas (entièrement tourné en espagnol), montre un rassemblement authentique de personnes exilées du Chili, avec des débats arrosés de vin et des airs de guitare fougueux. Lentement, de Marilú Mallet, est le chapitre le plus raffiné du point de vue cinématographique : la cinéaste recourt à des techniques narratives innovantes pour illustrer la confusion des premiers jours d’exil d’une Chilienne. Et Jours de fer (Steel Blues), de Jorge Fajardo, décrit la réalité tragique de l’intelligentsia déplacée — pas seulement issue de la population du Chili, mais de toute la classe instruite d’Amérique latine —, réduite à exercer un travail manuel qui a érodé son identité et son avenir. Chacun de ces segments est un classique latino-canadien à voir absolument !

Steel Blues, Jorge Fajardo, offert par l’ Office national du film du Canada

Il n’y a pas d’oubli est un chef-d’œuvre méconnu (un digne héritier du Troisième Cinéma), et il vaut la peine de découvrir les cinéastes d’origine chilienne canadienne provenant du théâtre, de la littérature et du cinéma qui l’ont réalisé. Artiste multidisciplinaire, dramaturge et romancier prolifique, Rodrigo González-Rojas a dynamisé la scène théâtrale latino-québécoise de Montréal. Marilú Mallet, maintes fois primée et pionnière du récit de la diaspora, a réalisé des dizaines de films en 50 ans. Quant à Jorge Fajardo, ingénieur civil devenu cinéaste iconoclaste, il a réalisé 15 films (1975-2002) qui demeurent sous-estimés, malgré leurs récits essentiels et leurs expérimentations formelles.

La Familia Latina (1986), un jalon

Outre les cinéastes dont il vient d’être question, le seul autre réalisateur latino-canadien à avoir tourné pour l’ONF dans les années 1980 a été Germán Gutiérrez. D’origine colombienne, ce cinéaste latino-canadien a été le plus prolifique de l’ONF : il a réalisé 18 films et en a tourné 20 autres, dont des œuvres phares comme La Familia Latina, une incontournable chronique des débuts de la diaspora latine et de sa dissidence.

La Familia Latina est d’ailleurs un autre chef-d’œuvre méconnu : c’est le premier film de l’ONF (et j’oserais dire le premier au Canada) qui a compris et examiné la communauté latino-canadienne en tant que partie intégrante de la mosaïque du pays. Dans les années 1970 et 1980, le concept même de « Latino-Canadienne ou Latino-Canadien » était encore relativement nouveau, et les films réalisés par des cinéastes de cette origine étaient plutôt rares, et ceux qui existaient n’étaient donc pas largement diffusés. La Familia Latina, de Germán Gutiérrez, une œuvre marquante du cinéma latino-canadien, a été projetée dans six festivals en Amérique du Nord, en Afrique et en Europe, et a remporté le prix Golden Sheaf au Festival du film de Yorkton, en Saskatchewan. Mais aucun festival de films latino-américains n’existait à l’époque pour célébrer cette œuvre révolutionnaire.

La Familia Latina, Germán Gutiérrez, offert par l’ Office national du film du Canada

La percée : franchir les frontières dans les années 1990

En novembre 1993, un groupe de cinéastes d’origine latino-américaine organisait à Toronto la première conférence Cruzando Fronteras (Crossing Borders ou « Franchir les frontières »), qui réunissait 39 artistes et présentait plus de 30 films et vidéos indépendants. Cet événement marquant a enfin permis de faire valoir le talent des esprits créatifs latino-américains auprès du public canadien[iii]. Parallèlement, des films phares comme Chili : la mémoire obstinée, du réalisateur visionnaire Patricio Guzmán, ont mis en lumière l’urgence de créer des festivals consacrés aux cinéastes, aux expériences et aux points de vue issus de l’Amérique latine. Malgré sa sélection dans 31 festivals, ce film primé n’a pas bénéficié d’une plateforme festivalière latino-canadienne pour amplifier sa portée au sein des communautés hispanophones du Canada.

Chili : la mémoire obstinée, Patricio Guzman, offert par l’Office national du film du Canada

En novembre 1995, le collectif torontois Cruzando Fronteras a créé un festival de courts métrages et de vidéos qui proposait également des discussions et des conférences ayant pour but de permettre aux gens qui y participaient de tisser des liens entre eux[iv]iii. Cet événement a jeté les bases du premier festival de cinéma latino-canadien à Toronto, AluCine Latin Film + Media Arts[v], lancé en 2000.

Sanctuaires cinématographiques latino-canadiens : festivals d’art et de cinéma au pays

Les années 2000 ont constitué une période transformatrice pour le cinéma latino-canadien. D’une part, les cinéastes d’origine latino-américaine ont abandonné les principes du Troisième Cinéma et commencé à explorer d’autres avenues (voir, par exemple, Secrets de polichinelle de José Torrealba [2003] ou Taxi libre de Kaveh Nabatian [2011]). D’autre part, des festivals et des événements culturels locaux ont vu le jour partout au pays pour mettre en évidence nos histoires. Ces espaces, comme AluCine, le Festival du film latino-américain de Vancouver (lancé en 2003)[vi] et LatinArte à Montréal[vii] (lancé en 2009), sont devenus des plateformes essentielles où des cinéastes marginaux comme moi ont pu présenter leurs œuvres en avant-première, souvent devant un public voyant leurs propres expériences à l’écran pour la première fois. Pour nombre d’artistes d’origine latino-canadienne, ces espaces ont permis de valoriser nos voix et de nous connecter à un réseau de pairs partageant les difficultés de naviguer dans une industrie qui accordait rarement une place centrale à nos récits.

Sanctuary, Jamie Escallon-Buraglia, provided by the National Film Board of Canada

Ces festivals ont dès lors façonné l’identité culturelle des communautés hispanophones du Canada, en proposant des films sur les thèmes de la migration, des identités hybrides et des traumatismes intergénérationnels, et en transformant les salles de cinéma en sanctuaires permettant de renouer avec ses racines. Les cinéastes avant-gardistes du Chili et de la Colombie disposaient enfin d’espaces pour présenter leurs œuvres. Parmi celles-ci, de nouveaux films, dont Sanctuary (2005), de Jamie Escallon-Buraglia, qui raconte l’histoire d’un immigrant sur le point d’être expulsé de Toronto. Ces œuvres pouvaient désormais toucher plus de gens confrontés aux mêmes difficultés dans une même ville !

De la marge jusqu’au grand public : le combat victorieux pour la diffusion du cinéma latino-canadien

Aujourd’hui, les cinéastes d’origine latino-canadienne de tout le pays diversifient leurs récits, faisant découvrir les expériences et les perspectives latino-canadiennes aux publics d’ici et d’ailleurs (par exemple, les films Samedi, la nuit, de Rosana Matecki, et Alchimie moderne, de Bren López Zepeda, sortis en 2022). Des dizaines de festivals mettent en valeur la culture latino-américaine et les créations latino-canadiennes au Canada (auxquels s’ajoutent le FCLM[viii], le LATAM[ix], le VLACC[x], le HFF[xi], le LATAM/CLAFF[xii] et le LAFF[xiii]), et l’intérêt pour le cinéma latino-canadien ne cesse de croître.

Samedi, la nuit, Rosana Matecki, offert par l’ Office national du film du Canada

En octobre 2022, j’ai commissarié pour la première fois deux chaînes de l’ONF consacrées au cinéma latino-canadien : Latinx-Canadian Cinema et NFB Abroad : Latin America on Screen. J’ai également publié un billet de blogue visant à présenter les différentes périodes de production des films de l’ONF réalisés en Amérique latine ou par des personnes latino-américaines, de 1945 à nos jours (vous pouvez le lire ici).

L’année suivante, la cinéaste latino-canadienne Cecilia Araneda et la chercheuse en cinéma latino-canadien Zaira Zarza ont organisé le deuxième rassemblement national des cinéastes latino-canadiens à Montréal; et, par l’intermédiaire du Winnipeg Film Group, l’organisatrice Cecilia Araneda a publié National Gathering of Latin Canadian Filmmakers: A Memoir en 2024[xiv]. À l’automne 2023, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a organisé une réception pour célébrer le 5e anniversaire du Mois du patrimoine latino-américain (MPLA). Au programme : des discours de Mme Plante et d’Angela Sierra (directrice générale de LatinArte à Montréal) sur l’importance de la communauté latino-américaine au Canada et le succès du MPLA. Plus tôt ce mois-ci, Zaira Zarza et Claudia Polledri ont organisé une conférence montréalaise intitulée « Un regard diasporique : imaginaires latinx et latinx-canadiens à l’écran », [xv] qui comprenait une courte rétrospective de l’œuvre de Marilú Mallet [xvi].

Seguridad, Tamara Segura, offert par l’ Office national du film du Canada

AluCine célèbre son 25e anniversaire cette année ! Il y a cinquante ans, la culture latino-américaine était pratiquement inconnue au Canada ; aujourd’hui, il semble que chaque événement présente un film, une pièce musicale ou un plat traditionnel à saveur latino-canadienne. Voilà le fruit des efforts inlassables qu’ont déployés bien des gens — universitaires, artistes, conservatrices et conservateurs, notamment — pour enrichir nos perspectives. Un enfant de Vancouver, de Winnipeg ou d’Halifax peut enfin voir sur grand écran, lors d’un festival artistique ou cinématographique, du contenu qui reflète sa propre expérience, le sens de l’humour, la langue et les difficultés quotidiennes de sa famille.

En octobre, nous célébrons le fait que, depuis plus d’un demi-siècle, les cinéastes canadiens originaires d’Amérique latine ont façonné l’ONF pour en faire un lieu de diffusion du patrimoine latino-américain. Je vous invite à visionner quelques-unes des œuvres de l’ONF réalisées par ces cinéastes, dont le film plusieurs fois primé Seguridad (2024), de Tamara Segura. Ces importantes productions ont aidé les communautés latino-américaines à passer du statut de populations immigrantes marginalisées à celui de personnes dont la contribution est essentielle à la société canadienne, largement multiethnique et diversifiée. Bon visionnement !

Image d’en-tête : Samedi, la nuit (2022) de Rosana Matecki


 

[i] https://ufsinfronteradotcom.wordpress.com/wp-content/uploads/2011/05/toward-a-third-cinema-getino-y-solanas-tricontinental-1969.pdf

[ii] Titre tiré du poème éponyme de Pablo Neruda, « Explico algunas cosas » (1947), de son livre Tercera Residencia. https://www.neruda.uchile.cl/obra/obraresidencia3d.html

[iii] https://www.alucinefestival.com/our-vision

[iv] Dépliant Crossing Borders/Cruzando Fronteras fourni par Sinara Rozo Perdomo, directrice du Alucine Latin Film + Media Arts Festival

[v] https://www.alucinefestival.com/

[vi] https://vlaff.org

[vii] https://latinarte.ca/

[viii] https://fclm.ca/

[ix] https://www.lataff.ca/

[x] https://vlacc.ca/

[xi] https://www.uvic.ca/humanities/sllc/community-research/hispanic-film-festival/index.php

[xii] https://latam.ca/latino-film-festival-saskatoon-y-edmonton/

[xiii] https://www.ottawafestivals.ca/post/28th-edition-of-latin-american-film-festival-laff-announced-for-april

[xiv] Comprenant des essais de Cecilia Araneda, soJin Chun, felippe, Darien S. Nicolás, Milena Salazar et Zaira Zarza

[xv] https://www.ceciliaaraneda.ca/montreal-gathering-memoir/

[xvi] Colloque international « Un regard diasporique » — Laboratoire CinéMédias avec Marilú Mallet, Arlène Dávila, Mélanie Ramirez, Emmanuelle Lafrance, Susan Lord, Gabriela Aceves Sepúlveda, Lina Rodríguez, Amalia Córdova, Diego Briceño, Jean Jean, Daniela Mujica, Analays Álvarez Hernandez, Lois Klassen, Katherine Jerkovic

 

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