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Enseignement supérieur | Le son des Français d’Amérique

Enseignement supérieur | Le son des Français d’Amérique

Enseignement supérieur | Le son des Français d’Amérique

On parle souvent de traditions populaires au sujet de l’artisanat ou des savoir-faire anciens. Elles sont aisément perçues comme désuètes ou poussiéreuses. Pourtant, elles sont une source de grande fierté pour les gens qui les portent à bout de bras, et représentent une manière de survivre pour plusieurs communautés.

Les sociétés les plus vulnérables restent souvent attachées à leurs coutumes et à leurs traditions, comme à un filet social ou à une bouée qui les ancre. Le son des Français d’Amérique est une série de 27 courts métrages qui parlent de culture, de langue maternelle et de mémoire. Ce cinéma direct nous fait entendre des gens riches de leurs traditions, qui portent à leur tour toute la responsabilité de la transmission. Si ces films peuvent présenter un intérêt pour la grande majorité des étudiants et étudiantes, les facultés de musique (dans l’enseignement de la littérature musicale, par exemple), d’histoire, de lettres, de sociologie, d’anthropologie ou de philosophie pourraient y trouver de la matière inédite à discussion.

Normalement issues de l’oralité, la chanson et la musique traditionnelles font l’objet de passations invisibles, aussi appelées patrimoine immatériel. Réelle machine à voyager dans le temps, la tradition est une façon toute naturelle d’assurer la survie de son peuple, de son village ou de sa famille. Une manière de se connaître et de se reconnaître. Les traditions sont donc gardiennes du passé, mais elles se forgent, se déforment et se transforment aussi au fil des rencontres, des métissages, des défaites et des victoires.

Toutes ces images, ces visages et ces rivages sont aujourd’hui accessibles dans leur lumière initiale grâce à un grand travail de restauration des bandes originales. Appuyés par l’UNESCO et de généreux donateurs, le projet Éléphant, la Cinémathèque québécoise et l’ONF ont, avec l’aide d’André Gladu et d’une équipe passionnée, redonné à voir et permis de préserver ces œuvres emblématiques.

L’histoire à dormir debout

Ces films offrent une lecture unique des événements historiques qui ont conduit des francophones aux quatre coins du monde : des Bretons au Canada, des Acadiens au Québec, en France, en Louisiane, ou même encore, après les rébellions de 1837-1839, des patriotes exilés aux États-Unis, en Angleterre et jusqu’en Australie. Ce sont aussi des témoins discrets d’un quotidien parfois rude, que les francophones ont pu supporter grâce à la mémoire de leurs traditions. Ainsi, également en mouvement, ces traditions forment un rempart contre l’assimilation et un outil essentiel d’affirmation.

Ce florilège des aventures des enfants de la Nouvelle-France porte sur celles-ci un regard étrangement rafraîchissant, et ce, même quarante ans après les tournages. Les tragédies et les joies de la vie se tiennent ici dans le couplet d’une chanson, comme autant de frêles esquifs transportant la mémoire du monde. Les exutoires quotidiens se retrouvent ainsi dans la danse du vendredi, au cours de la diffusion d’une émission de radio ou au cœur de festivals qui, grâce à la curiosité d’une nouvelle génération, définissent les contours de ce qui pourrait être appelé un peuple.

Peuple bicéphale

Ayant souvent débarqué dans le Nouveau Monde avec une vision colonialiste à la française, les premiers Canadiens se sont pourtant retrouvés minoritaires dans un pays changé par la guerre, où ils auront perdu jusqu’à leurs noms. Les liens avec les Premières Nations se sont eux aussi étiolés avec l’arrivée des Britanniques, et les francophones se sont retrouvés isolés. Cette ironie historique les place aujourd’hui dans un contexte complexe, porteur à la fois d’un héritage colonial déconfit et des conséquences de leur propre domination.

Jeux de mémoire

Si l’histoire se réfère généralement à l’écrit, l’ethnologie travaille d’abord avec la tradition orale. Par ailleurs, si les écrits restent, la mémoire d’un peuple transmise par le bouche-à-oreille, le mimétisme et la pratique laisse aussi des traces profondes. Ces savoirs, transmis de génération en génération, donnent pratiquement l’impression d’être du monde de l’inné.

Nous invitant à tendre l’oreille à la mémoire du temps, Le son des Français d’Amérique représente peut-être le plus important recensement culturel de ces francophones que le poète Gilbert Langevin avait joliment nommés les Amériquois. Les portraits ainsi rassemblés font apparaître, pour une rare fois, ces multiples traditions comme un tout, comme la naissance de ce qui pourrait être une musique nationale.

Le folklore, science des peuples, présente un éventail large et complet des connaissances acquises par la transmission orale. Par ces connaissances, nous pouvons mieux comprendre les liens entre les individus, leur mode de vie, leurs visions du partage, de l’amour ou du sens des responsabilités, et même leurs espérances profondes.

Dans ces films, on voit les maisons d’autrefois ; on assiste à la préparation du pain, à ces gestes rythmés, rattachés, en symbiose avec le quotidien ; on entend des accents devenus rares. Ces mémoires humblement fixées sur le ruban résonnent aujourd’hui comme une source incroyable de compréhension d’un peuple déraciné, hormis les assises de quelques violons, le mettant à l’abri pour un instant de plus.

Pierre angulaire de la transmission orale 

La turlute, présente dans plusieurs films de la série, est un jeu d’ornement vocal mélodique ponctuel qui rythme une ou plusieurs syllabes. Ces courts développements servent parfois de préambules, de pont musical ou carrément de refrain. Cette musique est composée de fredons (d’où le verbe fredonner), qui se caractérisent par des variations sur des motifs récurrents.

Les phonèmes répondent alors à des critères esthétiques et jonglent avec les mariages de sons connexes, un peu comme des rimes. On peut aussi jouer avec des mots, dont le sens devient secondaire, s’inscrivant simplement dans un geste artistique et ludique. Cette technique très ancienne, dont les traces remontent au moins au Moyen Âge, a jadis donné naissance à tout un système d’enseignement de la musique.

Le système italien : Le musicien Francesco Rognoni Taeggio a publié, au début des années 1600, La Selva de varii passaggi. Cet ouvrage décrit en détail les techniques vocales utilisées pour apprendre la musique par l’utilisation d’onomatopées, présentant ainsi les gestes comme des nuances et des ornementations. Turluter pour apprendre, comprendre et transmettre.

Le système allemand : L’ouvrage italien avait toutefois ses limites chez les germanophones et les Anglo-Saxons, car les sons R, TU ou DU étaient pour eux bien difficiles à articuler. C’est donc plus d’un siècle plus tard, dans le Versuch einer Anweisung die Flöte traversiere zu spielen, qu’une méthode adaptée remplaça les turlutes latines par des « Did’ll » ou des « Didelam ». Ce traité musical fut signé par le compositeur et flûtiste Johann Joachim Quantz.

Les universités au secours de l’oralité 

C’est en Norvège que j’ai découvert un pavillon d’enseignement supérieur où tous les étudiants et étudiantes en musique du pays, et ce, peu importe leurs disciplines, devaient séjourner pour obtenir leurs crédits en trad. De cette manière, toutes les générations d’artistes peuvent connaître et reconnaître la musique issue de leur nation pour s’en inspirer ou inspirer d’autres personnes à leur tour. Cette charmante idée semble être le fait d’une société mature. À quand un Département d’enseignement des musiques traditionnelles dans les universités du Québec ? Pourrait-on inventer un mode d’enseignement basé sur l’idée de turlute et d’onomatopées pour saisir les inflexions et les subtilités de notre musique traditionnelle ?

Je peux aisément imaginer que la diffusion d’épisodes de cette série dans des programmes musicaux partout au pays pourrait donner lieu à de riches discussions et réflexions sur l’héritage et le rôle actuel de la musique traditionnelle et du folklore. Voici quelques questions, à discuter entre pairs, qui me viennent à l’esprit :

  • Quels seraient pour vous des exemples de patrimoine culturel immatériel ?
  • Comment la musique traditionnelle du Québec s’inscrit-elle dans ce concept ?
  • Dans quelles circonstances historiques les musiques traditionnelles s’inscrivent-elles ?
  • Quels parallèles pourrions-nous faire entre la naissance et la transmission du jazz américain et le trad québécois ?
  • Quels sont les différents rôles que jouaient les arts traditionnels pour les générations précédentes ?
  • Ces rôles existent-ils encore ou ont-ils changé aujourd’hui ?
  • Quelles influences ont coloré la musique, le chant et la danse dans nos communautés ?
  • Ces influences sont-elles particulières aux francophones d’Amérique ?
  • Dans quelle mesure l’identité francophone nord-américaine est-elle collective ?
  • Quelles principales caractéristiques la définissent ?
  • Comment la tradition orale façonne-t-elle le sentiment d’appartenance culturelle ?
  • Comment la tradition orale peut-elle survivre dans notre monde moderne ?

Conclusion sans fin

Les traditions étant ancrées dans les gestes du quotidien, il faudra réinventer du sens et du contexte pour préserver des chansons qui vivaient au rythme de métiers et de gestes aujourd’hui bien souvent disparus. Les 27 courts métrages de la série sont autant de cris du cœur pour nous faire comprendre l’importance de chacun des maillons de notre histoire. Nous avons donc la responsabilité de prendre conscience de ces legs pour pouvoir, en toute connaissance de cause, décider collectivement de leur sort. Je vais d’ailleurs m’assurer de présenter ces films le plus souvent possible, notamment lors du Festival Chants de Vielles, dont je suis le président, et dans le cadre de concerts, avec mes partenaires du groupe Le Vent du Nord. Nous avons un devoir de mémoire face aux messages et aux messagers de ces courts métrages.

Le romantisme de la résistance

La tradition, comme les saisons fidèles mais changeantes, organise le temps et procure un sentiment particulièrement rassurant. Si les générations actuelles délaissent, sciemment ou pas, certaines particularités des artisans et artisanes qui les ont précédées, elles peuvent aussi faire évoluer les techniques et les pratiques, en y ajoutant leurs idées, leurs visions.

Bon visionnement, bonnes réflexions, et que nos mémoires soient longues !

D’abord étudiant en piano jazz et luthier amateur de vielle à roue, Nicolas Boulerice amorce sa carrière à la fin des années 1990 avec la formation Ad Vielle que Pourra, puis avec la fondation du groupe Le Vent du Nord, au sein duquel il a, à ce jour, produit 12 albums et participé à 2200 concerts. Il a aussi fait paraître trois disques solos, entre le répertoire d’auteur-compositeur et la relecture dite « Cool Trad » de la chanson traditionnelle. Il est également membre de la Compagnie du Nord et président du Festival Chants de Vielles. Amoureux des mots, il a publié un recueil de poésie chez Triptyque et cosigné avec Normand Baillargeon la préface d’En montant la rivière, un essai sur l’histoire de la chanson traditionnelle, paru aux éditions Mémoire d’encrier. Il est aussi conférencier, rédacteur et animateur.

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