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Le grand Jack ou les 100 ans de Kerouac | Perspective du conservateur

Le grand Jack ou les 100 ans de Kerouac | Perspective du conservateur

Le grand Jack ou les 100 ans de Kerouac | Perspective du conservateur

Auteur américain parmi les plus importants du XXe siècle, écrivain mythique, figure iconique, roi, pape de la Beat Generation, poète de jazz (jazz poet) — comme il aimait se qualifier lui-même —, Franco-Américain exilé, déraciné, engagé dans une quête incessante de ses origines : les qualificatifs ne manquent pas pour décrire Kerouac.

Né à Lowell, au Massachusetts, en 1922, dans une famille canadienne-française, Jean-Louis « Ti-Jean » Kérouac, dit Jack Kerouac, aurait eu 100 ans le 12 mars 2022.

Le grand Jack

En 1987, le cinéaste acadien Herménégilde Chiasson lui consacrait un film, Le grand Jack. Ce documentaire fait partie d’une série de cinq films, intitulée L’américanité, qui s’interroge justement sur la part d’américanité du Québec. Kerouac est issu de parents québécois, qui ont grandi dans la région du Bas-Saint-Laurent et sont partis s’installer aux États-Unis au début du XXe siècle. Jusqu’à l’âge de six ans, Ti-Jean ne parle que le français à la maison. Ce n’est qu’une fois à l’école qu’il apprend l’anglais. Le personnage cadre parfaitement avec les intentions de la série, et Chiasson, qui a tôt fait de convaincre les membres du Comité du Programme français de la pertinence de son sujet, entame le tournage de son film à l’automne 1986.

Jack Kerouac (Photographe inconnu)

Francophones d’Amérique

Le cinéaste veut raconter l’histoire de Kerouac, mais aussi, par le fait même, celle de tous les francophones d’Amérique, qu’ils soient québécois, acadiens, franco-américains ou francophones d’autres provinces canadiennes. Tout comme Kerouac, les francophones d’Amérique ont une identité marginale, problématique, qui s’inscrit dans la quête d’un imaginaire collectif, d’un rêve, d’une complicité, d’une sorte de continent perdu, pense Herménégilde Chiasson. L’histoire de Jack, qui a vécu sa vie à la fois en marge et à l’intérieur de la société américaine, c’est aussi l’histoire de tous les francophones du continent nord-américain. L’histoire d’une francophonie menacée, rêvée et idéalisée.

Le film veut d’abord et avant tout mettre en lumière la dimension francophone de l’américanité de l’auteur de On the Road et non proposer sa biographie complète. Pour ce faire, le cinéaste utilise trois procédés : le témoignage, la fiction et la narration. Trois approches qui s’entrecroisent tout au long du film, de l’enfance de l’auteur à Lowell jusqu’à sa mort en Floride en 1969, en passant par ses années à New York et ses pérégrinations à travers les États-Unis.

Les témoignages

Ces témoignages, ce sont d’abord ceux de Québécois, qui, tout comme la famille Kérouac, sont allés s’installer en Nouvelle-Angleterre au début du XXe siècle. Il faut savoir que, de 1870 à 1930, près d’un million de Canadiens français[1], comme on les appelle à l’époque, prennent le chemin du Maine, du Vermont, du New Hampshire, du Rhode Island et du Massachusetts. De ce nombre, un peu plus de 400 000 s’y installeront définitivement. La situation économique est très difficile au Québec. L’accroissement rapide de la population complique également les choses. Les terres agricoles ne suffisent plus à nourrir tout le monde et les grandes villes, comme Montréal, sont surpeuplées. Ces nombreux exilés espèrent une vie meilleure de l’autre côté de la frontière.

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Tournage du film Le grand Jack (Crédit photos : Ronald Goguen)

ONF

Ces témoignages, ce sont aussi ceux des amis de Jack de la Beat Generation, comme Allen Ginsberg, célèbre poète et cofondateur avec Kerouac du mouvement Beat, et Lawrence Ferlinghetti, poète, ami et éditeur de ses œuvres. Ce sont également ceux de Jean-Claude Germain et de Gilles Archambault, deux écrivains québécois, qui nous rappellent la filiation de Kerouac avec le Québec.

Mais, parmi ces témoignages, on retient surtout celui de Kerouac lui-même ! En effet, Herménégilde Chiasson utilise avec brio — et c’est sans contredit une grande force de son film — des extraits d’une entrevue que l’écrivain avait accordée en français à Fernand Seguin dans le cadre de l’émission Le sel de la semaine, enregistrée le 7 mars 1967, puis diffusée sur les ondes de Radio-Canada. Kerouac y parle de ses parents, de sa sœur Caroline et de son frère Gérard, de son enfance à Lowell, de son goût pour les voyages, de l’écriture de On the Road, de la prose spontanée et de la manière dont lui est venue l’idée de la Beat Generation.

Voyez l’entrevue complète ici.

Du documentaire à la fiction

Le cinéaste utilise un deuxième procédé, celui de la fiction, surtout pour illustrer l’enfance de Kerouac à Lowell. Il met en scène la visite de « Ti-Jean » chez son oncle Mike (le plus triste des Kérouac, écrira plus tard Jack), sa relation avec son père, et l’impact qu’a eu la mort de son frère Gérard, qui n’avait que neuf ans, alors que lui n’en avait que quatre. De plus, Chiasson s’en sert pour illustrer la fin de la vie de Kerouac, une vie qui n’est plus que fuite en avant, alors que Jack cherche dans l’alcool une solution que l’alcool ne peut lui donner. Il devient celui qui va et vient, qui ne va nulle part, condamné à l’errance, car désormais incapable d’écrire et parce qu’il n’y a plus nulle part où aller. Une vie qui ressemble de plus en plus à un suicide consenti, une course vers la mort, comme le dit dans le film l’écrivain Gilles Archambault. Si le jeu des comédiens et comédiennes qui interprètent les membres de la famille Kérouac n’est pas toujours convaincant, ces passages nous aident tout de même à mieux comprendre la vie intime de Jack.

Une double narration

Enfin, Herménégilde Chiasson a recours à la narration. La sienne d’abord, qui est parsemée de réflexions sur la vie de Kerouac, son parcours, son écriture, son projet littéraire. Puis, celle de Kerouac lui-même, qui constitue sans doute un deuxième point fort du film. En effet, le cinéaste utilise plusieurs passages de l’œuvre de Kerouac, brillamment interprétés par le comédien Guy Nadon (il s’agit bien d’une interprétation et non d’une simple lecture), qui viennent appuyer ou renchérir ce que montrent les passages fictionnels et font entendre les témoignages, tout en montrant que l’œuvre du grand Jack est intimement liée à sa vie et à ses origines. Une citation de Kerouac, en exergue, nous le rappelle d’ailleurs dès le début du film : « Tout mon savoir provient de mes origines canadiennes-françaises. »

Afin de célébrer le centenaire de la naissance de Kerouac, je vous invite à découvrir ce film :

Le grand Jack, Herménégilde Chiasson, offert par l’Office national du film du Canada

Lisez ici mon billet sur la série L’américanité.

Découvrez ici une sélection de films d’Herménégilde Chiasson.


[1] Les statistiques mentionnées dans ce texte proviennent d’un rapport de recherche dans le dossier de production du film.

Photo d’en-tête : Jack Kerouac devant Tompkins Square, Lower East Side, New York, 1953. Photo prise par Allen Ginsberg.

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