Premières armes : une discussion avec Jean-François Caissy
Premières armes : une discussion avec Jean-François Caissy
Après avoir été invité au prestigieux Festival international du film de Berlin, dans la section Forum, et fait le tour de plusieurs festivals, y récoltant, au passage, quelques prix, le tout dernier film de Jean-François Caissy, Premières armes, est maintenant offert gratuitement sur notre site.
À l’occasion de cette sortie en ligne, le cinéaste originaire de Saint-Omer, en Gaspésie, a bien voulu nous parler de son film.
VISIONNEZ LE DOCUMENTAIRE PREMIÈRES ARMES
Premières armes s’inscrit dans un projet plus vaste, c’est-à-dire dans une série de films documentaires sur les étapes marquantes de la vie. Comment en es-tu venu à cette idée?
C’est un concours de circonstances. Quand j’ai tourné La belle visite (2009), un film sur les personnes âgées, la moyenne d’âge des participants était de 85 ans! J’avais des personnes qui avaient 98 ans. Après avoir tourné ça pendant deux ans, j’avais le goût de travailler avec un autre groupe d’âge, de me donner d’autres possibilités, de me permettre d’explorer de nouvelles avenues. L’adolescence m’a tout de suite intéressé. J’ai fait La marche à suivre (2014) avec un groupe d’adolescents dans une polyvalente en Gaspésie. À la présentation du film au Festival de Berlin, on m’a demandé quel allait être le prochain groupe d’âge pour mon film suivant. Je n’avais jamais imaginé faire une grande série sur les différentes étapes de la vie, mais je trouvais l’idée intéressante, inspirante. Ça m’enlevait aussi le syndrome de la page blanche! Ça n’était pas conscient au début. Ça s’est construit progressivement. Je le vois comme une chance de poursuivre une lignée, de faire un corpus d’œuvres qui se tiennent.
Après avoir parlé de l’adolescence avec La marche à suivre, tu t’es tourné vers le début de l’âge adulte pour ton film suivant. Pourquoi avoir choisi l’armée?
J’aurais pu me lancer dans plusieurs directions. Pour moi, le premier stress que j’ai eu comme jeune adulte, c’était de faire un choix de carrière. Je trouvais que c’était intéressant d’explorer cette avenue-là pour le début de l’âge adulte. J’ai fait de la recherche et, de fil en aiguille, j’avais l’impression que de mettre l’accent sur un parcours militaire, ça pouvait être riche. Et ça m’impressionnait aussi. Mon propre frère a fait le collège militaire dans les années 1990. Les histoires qu’il nous racontait, quand il nous appelait pendant sa formation en Colombie-Britannique, ont laissé une forte impression sur moi. Ça a marqué le jeune homme de 15 ans que j’étais. L’autre aspect que je trouvais intéressant dans la formation des recrues, c’est qu’ils vivent tous ensemble pendant 12 semaines. Ils ne sortent à peu près pas. Ils sont reclus. Je trouvais ça intéressant. Ça me permettait de les observer et de voir une évolution au fil du temps. Ils sont un peu en captivité! Je trouvais aussi que c’était un sujet particulièrement riche. On a tous une opinion sur l’armée, les militaires. Au Québec, c’est rarement positif. Mais j’ai abordé le sujet de la même manière que mes autres films, sans porter de jugement.
Tu ne voulais pas avoir de parti pris.
Exactement. C’est un sujet qui polarise. Je trouvais ça intéressant de l’aborder simplement du point de vue humain, de filmer ces jeunes adultes dans cette aventure sans porter de jugement et en laissant aux spectateurs le soin de se faire leur propre opinion, de tirer leurs propres conclusions.
Tu as une démarche, une façon de travailler très précise. Peux-tu nous en parler?
Je commence toujours par faire une bonne recherche avant de commencer à tourner. Dans cette recherche-là, j’essaie de voir des films, de lire des livres, de voir plein de choses pour trouver une signature au film. Ça peut être de la musique, de la peinture. J’essaie de me stimuler d’un point de vue créatif. Dès que j’ai trouvé ça, je vais sur le terrain. Dans le cas de Premières armes, j’ai passé une quinzaine de jours avec mon appareil photo, à faire des photos d’un peloton. Je les ai suivis pendant deux semaines pour voir comment ça se passait. Ça me permettait de définir les moments clés que j’allais pouvoir filmer. Je laisse le sujet me guider. Je ne pars pas avec un point de vue déjà établi. Je ne veux pas devenir un expert sur le sujet que je vais tourner. J’aime garder une certaine naïveté et m’attarder à l’expérience humaine derrière tout ça.
Tu fais ce que tu appelles un cinéma d’observation et c’est important pour toi de te faire oublier, de faire oublier la caméra au moment du tournage. Comment est-ce que tu procèdes?
Je filme les gens au travail ou occupés à faire quelque chose. Ça peut paraître une évidence, mais je ne veux pas demander à quelqu’un de faire une action pour meubler d’un point de vue visuel. La personne est souvent mal à l’aise et ça paraît. Pour le genre de film que je veux faire, je trouve que ça ne marche pas. J’essaie de filmer les gens déjà dans l’action. Filmer des conversations ou lorsqu’il y a un enjeu dramatique. C’est là que je peux aller chercher quelque chose d’intéressant. Dans le cas des militaires, le problème n’était pas de leur trouver quelque chose à faire — ils ont un horaire plutôt chargé —, mais de filmer le plus de situations possible. Je ne fais jamais d’entrevues. Il faut que le contenu émerge de l’action.
Tu accordes beaucoup d’importance à l’image, au cadrage. Ça se voit, tes images sont toujours magnifiques! D’où cela vient-il?
Il faut savoir que j’ai d’abord étudié en photographie, pas en cinéma. Je filme sur trépied. Ce choix vient beaucoup de mon parcours de photographe. J’ai compris assez vite que c’est à peu près le seul contrôle que je peux avoir sur le contenu, soit établir le cadre. Après ça, la vie suit son cours et les gens vivent à l’écran. Le cadre, c’est comme un tableau qui s’ouvre et dans lequel tu peux définir les limites. En travaillant de cette façon, sur trépied, ça nous permet aussi, à mon directeur photo et moi, de réfléchir, de ne pas toujours être en train d’attraper quelque chose qui nous échappe. On établit des cadres, des environnements dans lesquels la vie va suivre son cours.
En terminant, je t’avais demandé de choisir trois films de l’ONF qui ont de l’importance pour toi afin d’accompagner Premières armes sur la page principale de notre site. Tu as choisi 60 cycles (1965) de Jean-Claude Labrecque, Le coureur (1962) de Don Owen et un film de propagande de la Deuxième Guerre mondiale, La guerre des airs (1944). Peux-tu nous parler de tes choix?
60 cycles, c’est un classique. Je l’adore! Je le revois chaque année! Mon directeur photo, Nicolas Canniccioni, avec qui j’ai fait tous mes films, était un cycliste professionnel quand il était plus jeune. Il était dans l’équipe nationale du Canada. On a toujours voulu faire un film de vélo ensemble. Mais ce film-là a déjà été fait, c’est 60 cycles! Le coureur, c’est d’une beauté formelle ahurissante! C’est un film que j’aime revoir aussi. C’est tout simple, mais le jeu d’ombre et de lumière, la musique, wow! C’est le genre de court film que j’adore revoir. Le dernier, le film des années 1940, ça montre un peu le type de recherche que je fais. En préparant Premières armes, je suis allé très loin dans la recherche. J’ai vu beaucoup de films et je voulais retourner aussi loin que les années 1940 et les films de propagande de cette époque. J’ai toujours aimé la facture visuelle de ces films et l’utilisation de la musique.
Je vous invite à voir Premières armes ainsi que les trois films sélectionnés par Jean-François Caissy. Vous trouverez cette programmation sur la page principale d’ONF.ca.
Image d’en-tête par Stephan Ballard
