Premières images de Papillioplastie, un film troublant sur la chirurgie esthétique
Tout est la faute de ce prof cool du secondaire!
Doué en mathématiques et en physique, David Barlow-Krelina semble voué d’emblée à une carrière en sciences pures. Or, durant la dernière année de ses études secondaires, un professeur de graphisme lui ouvre de tout autres perspectives.
Une dizaine d’années plus tard, voilà le scientifique en puissance concentré sur son travail… au Studio d’animation de l’ONF! Il s’emploie à régler les derniers détails de Papillioplastie, un récit fascinant, élaboré avec le plus grand soin, sur la modification corporelle, la technologie médicale et la transcendance.
Papillioplastie, David Barlow-Krelina, offert par l’Office national du film du Canada
Au moyen d’un ensemble d’outils d’animation 3D, le cinéaste a façonné un univers onirique troublant et séduisant. Dans un vaste spa aux allures de temple, des clients se soumettent à de sombres et mystérieuses interventions, livrés aux mains d’un chirurgien décharné aux intentions louches et au sourire de sphinx.
« J’aime jouer avec les attentes narratives, dit l’animateur. Mon principal protagoniste se rend à cet endroit pour recevoir un traitement. Nous ne savons pas exactement lequel : sans doute une quelconque intervention ‘de pointe’. Et puis l’étrangeté de la situation s’accroît avec chaque scène. L’idée de la chirurgie plastique n’a constitué qu’un point de départ. »
« Ce que j’aime vraiment, c’est caricaturer, dessiner et déformer les personnages. Prendre ce que l’on considère comme naturel et le trafiquer. La caricature est déjà un genre de chirurgie plastique et grâce à l’animation 3D, on peut créer le sentiment viscéral de la peau véritable – avec son hydratation et sa texture – et ensuite la modifier. On peut s’amuser avec les proportions, ajouter ou soustraire, et obtenir ces résultats vraiment étranges et intéressants. »
La vie, la mort… et Ren & Stimpy
Comme le suggère le titre du film, les images d’insectes occupent ici une place de choix. « Ma grand-mère était entomologiste et je me rappelle avec nostalgie avoir vu des plateaux de papillons dans son atelier. Mais plus récemment, alors que j’écoutais des balados en travaillant, l’un d’eux m’a vraiment frappé. Il y était question de métamorphose, du fait que les chenilles se fondent en une masse visqueuse à l’intérieur de la chrysalide, puis reviennent au monde. C’est le principe de la vie et de la renaissance, un thème récurrent dans diverses religions. »
Cet ancien participant de Hothouse – le programme de mentorat en animation de l’ONF qui en est maintenant à sa douzième année – tire son inspiration d’une multitude de sources : aussi bien Timothy Leary, Carl Sagan et 2001, l’Odyssée de l’espace que Ren & Stimpy, une série culte reconnue au même titre que South Park pour son animation audacieuse et avant-gardiste.
« J’adorais les clips, en particulier ceux de Chris Cunningham, qui a fait des choses remarquables avec la robotique, le maquillage et les prothèses et la capture du mouvement dans les débuts des effets visuels », dit David Barlow-Krelina, citant en exemple Come to Daddy. Dans cette vidéo réalisée pour le pionnier de la scène electronica Aphex Twin, Cunningham superpose sur chacun des visages des membres d’un menaçant gang de rue celui du chanteur Richard James (alias Aphex Twin).
« Cela produisait un effet qui était à ce moment-là complètement nouveau, à la fine pointe. J’aime aussi cette façon qu’a Cunningham d’effectuer le montage en se coordonnant à la musique. Ses vidéos commencent souvent par une narration traditionnelle, mais lorsque la musique démarre, elles se muent en ces expériences super intenses de type synesthésique. »
L’art de la « transluminescence »
La productrice Jelena Popović s’intéresse au travail de David Barlow-Krelina depuis qu’elle a vu ses premiers films d’étudiant. Elle a d’abord et été attiré par son sens du timing et son montage rythmé en travaillant avec la musique. Papillioplastie reprend tous les éléments de ses œuvres précédentes – intégration fluide du son et de l’image – et plonge encore plus profondément dans une forme étrange de réalisme numérique fantastique.
« Je me rappelle m’être dit : ‘Mais QUI c’est, ce gars-là?’ C’est un artiste extraordinaire, un vrai perfectionniste. Il traite et polit chaque surface, met en lumière chacune des couches l’une après l’autre et l’effet est remarquable. »
David Barlow-Krelina maîtrise l’art de la « transluminescence », un ensemble de techniques d’infographie dont on se sert pour capter le jeu de la lumière sur des surfaces translucides ou semi-translucides, par exemple le lait, la cire… ou la peau. Dans ce récit qui touche de si près la chair et sa métamorphose, le recours à cette technique produit un effet des plus surréalistes et sinistres.
« Les concepteurs de ces progiciels de rendu en 3D sont parvenus à décomposer la vision humaine en curseurs et en boutons précis qu’on peut régler à volonté, explique l’animateur. Et plus vous travaillez avec leurs logiciels, plus vous en apprenez sur votre propre perception et sur votre sens de l’esthétique. Vous en arrivez à déconstruire l’univers visuel pour ensuite le reconstruire. Il y a tellement de combinaisons possibles, qu’on s’y perd. Et sur ce point, la démarche se compare à celle de la chirurgie plastique : vous tentez toujours d’atteindre ce qui vous paraît magnifique, mais sans jamais vraiment y parvenir. »
Jessy Veilleux et François Beaudry, de la société montréalaise d’infographie et d’animation Digital Dimension, ont agi en qualité d’experts-conseils afin de trouver des solutions de rendu correspondant aux besoins particuliers du projet. Ils ont notamment créé des modèles de nuanceurs (shaders) que l’animateur a ensuite personnalisés selon ses propres visées.
Alors que l’animation 3D par ordinateur autorise pratiquement tous les mouvements de caméra, David Barlow-Krelina préfère s’en tenir à certaines traditions cinématographiques. Il consulte le cinéaste Luka Sanader, spécialiste du réel, afin de créer une mise en scène et une chorégraphie détaillées destinées à la caméra numérique.
« Nous avons orchestré chaque plan comme si nous tournions en réel, dit-il. J’estimais important de respecter le langage cinématographique conventionnel, d’éviter de donner au film un aspect trop informatisé ou trop lisse, ou de placer la caméra à des endroits invraisemblables dans la vraie vie. Je voulais produire l’effet d’un véritable tournage, de prises de vues réalisées à l’aide d’une caméra fixe ou de travellings et donner l’impression que les plans étaient filmés dans des lieux réels. »
Dana Darie, spécialiste de l’animation 3D, a aidé le cinéaste à réaliser le « squelettage » (rigging) et les armatures des personnages. Une équipe hautement qualifiée en matière de 3D et composée de Patrick Rouleau, Patricia Granato, Tulia Dicaire-Acosta, Laurence Grégoire et Alexandre Francoeur-Barbeau a pour sa part travaillé à l’animation des personnages et à la construction du décor.
« J’ai écouté beaucoup de vaporwave »
Sur une piste-son sans dialogue, la conception musicale et sonore joue un rôle primordial si l’on souhaite établir une ambiance glauque empreinte d’un optimisme inquiétant. « J’ai écouté beaucoup de vaporwave, ce genre qui se compose d’extraits musicaux des années 1980 et 1990 – smooth jazz, musique d’ascenseur, sons de jeux vidéo, ce genre de trucs – que des jeunes mettent en ligne et qu’ils trafiquent. Cette musique me donne une impression de souvenirs chaleureux et flous que j’associe à la musique entendue dans mon enfance. Je me suis dit que ça pourrait fonctionner pour mon film. Alors par ironie, nous ouvrons avec ce genre de musique aseptisée de centres commerciaux, mais l’orientons dans d’autres directions. »
L’artiste canadien Blank Banshee a été l’un des pionniers du vaporwave.
David Barlow-Krelina a travaillé avec le compositeur Vid Cousins et le concepteur du son Greg Debicki. Cofondateur du Monkey Puzzle Sound Studio, Cousins a collaboré avec Arcade Fire, Kronos Quartet et Kid Koala. Debicki conçoit quant à lui des logiciels de musique générative, compose de la musique « glitch » sous le pseudonyme de Woulg et enseigne la production de musique électronique par l’intermédiaire de sa propre entreprise, le Studio Marie Anne.
On doit en outre à Debicki la trame sonore du court métrage Bless You, produit par David Barlow-Krelina à titre indépendant en 2013. L’œuvre a remporté un franc succès sur le circuit international des festivals de films d’animation et figure parmi les choix de l’équipe de Vimeo.
Hothouse : rampe de lancement de l’animation d’auteur
David Barlow-Krelina a étudié les arts numériques et l’animation à l’Université Concordia. En 2012, il prend part au programme Hothouse. Depuis l’établissement du programme, plus de vingt anciens stagiaires sont revenus à l’ONF pour travailler à des projets d’animation plus ambitieux, et seize d’entre eux ont réalisé leurs propres films.
David Barlow-Krelina est de ce nombre. Comme Paloma Dawkins, Alexandra Lemay et Alex Boya, il s’emploie actuellement à concrétiser ses projets d’animation d’auteur à l’ONF. Voici Le visiteur, le film qu’il avait réalisé dans le cadre de sa participation à Hothouse en 2012…
The Visitor, David Barlow-Krelina, provided by the National Film Board of Canada
Caterpillarplasty/Papillioplastie est une production du Studio d’animation de l’ONF. David Barlow-Krelina en signe la réalisation, Jelena Popović, la production et Michael Fukushima en est le producteur exécutif. Le lancement du film est prévu en 2018.