Paternités plurielles
La vision commerciale de la Fête des Pères peut donner l’impression que le rôle est assez monolithique. Un père, en pub, c’est un homme qui a besoin d’outils pour confectionner ou perfectionner son barbecue. Bien que le chapeau puisse faire à certains géniteurs, ce portrait laisse bien peu de place à la diversité réelle du rôle.
À travers les années, l’ONF a produit plusieurs documentaires avec le père comme figure centrale de l’œuvre. Ce qu’on constate avec ces films, c’est que la paternité évolue au même titre que la technique cinématographique. Et puisqu’il est peut-être inutile de documenter le réel quand il est harmonieux, on a surtout droit à des questionnements et des angoisses, des absences et des maladresses.
De père en fils
Dans les années 1950 en région rurale au Québec, le propriétaire Joseph Valin se questionne à savoir lequel de ses trois fils héritera de ses terres. Un documentaire poli, aux normes narratives d’une époque perdue, qui n’aborde pas vraiment la question de l’héritage des filles de Valin.
De père en fils, Roger Blais, offert par l’Office national du film du Canada
Tuktu et le grand phoque
Toujours dans la tradition, mais dans le cadre d’une culture assez différente, Tuktu et le grand phoque illustre aussi la notion de transmission. Cette fois-ci il ne s’agit pas de terre qu’on hérite, mais de technique de chasse. Le père chasse le phoque, et le fils le fera également.
Tuktu et le grand phoque, Laurence Hyde, offert par l’Office national du film du Canada
Mon père
Pour son premier court métrage documentaire, le réalisateur Danic Champoux s’intéresse à son père, alors que le cinéaste affirme que celui-ci n’a pas vu ses enfants grandir, et qu’ils ne l’ont pas vu vieillir. Au boulot, de contrat en contrat, le père se voit comme un pourvoyeur matériel. Les longues absences sont justifiées par la rémunération, alors qu’il suit les chantiers et les besoins du moment, et qu’il ne semble pas prêt à s’installer. « Là où je suis, c’est chez moi », explique le père à son fils, qui tente de comprendre davantage son géniteur en plaçant la lentille de la caméra devant lui. Les moments en famille sont un peu maladroits, imparfaits, alors que l’harmonie avec les collègues semble tout à fait naturelle et harmonieuse. Hérite-t-on d’une famille, ou la construit-on?
Mon père, Danic Champoux, offert par l’Office national du film du Canada
Barbeau, libre comme l’art
Et que faire quand ton père est une légende? Manon Barbeau, réalisatrice des Enfants du Refus global, réalise le documentaire Barbeau, libre comme l’art, alors que le créateur mythique reçoit tardivement une reconnaissance institutionnelle, qu’il a toujours su mériter. Quelle différence quand un père est appelée à la shop, ou bien quand il est propulsé vers le studio? Une absence est-elle plus justifiée quand elle contribue au paysage artistique contemporain ou quand elle apporte du pain sur la table? Au-delà de ce documentaire, je vous suggère également l’entrevue réalisée avec Manon Barbeau dans le cadre d’un Long sur le web au VOIR, qui permet d’en comprendre un peu davantage sur la notion de l’absence du père.
Barbeau, libre comme l’art, Manon Barbeau, offert par l’Office national du film du Canada
Il est peut-être libérateur de savoir qu’il n’y a pas qu’une façon de réaliser sa paternité. Les exigences matérielles d’autrefois sont désormais partagées entre parents, et les routes empruntées sont multiples, variées, contradictoires même. Le documentaire saisit peut-être difficilement le rôle précis du père. Le documentariste arrivera peut-être à comprendre de qui il s’agit lorsqu’il consacre une œuvre à son géniteur, mais peut-on en tirer une conclusion universelle? Le documentaire, quand il s’agit d’un parent, se rapproche-t-il de la lettre d’amour? De la confession? De la libération? De l’inspiration?
Ou bien tente-t-on de se rapprocher d’une figure qui nous échappe en plein jour?