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La tempête : témoin d’une époque

La tempête : témoin d’une époque

La tempête : témoin d’une époque

Je n’en ai pas eu conscience ce jour-là, mais je me souviens très bien du moment où m’est venue l’idée de La tempête. Une femme en plein travail était arrivée à l’hôpital, son conjoint à ses côtés. Tous ensemble, avec son infirmière, nous avons guidé la venue au monde du bébé en veillant à ce qu’elle s’effectue sans encombre.

Médecin de famille et poétesse, Monica Kidd a grandi à Elnora, en Alberta. On lui doit plusieurs ouvrages de poésie, de fiction et documentaires. La tempête, maintenant accessible gratuitement, est la première œuvre dont elle signe la réalisation.

Comme tous les accouchements, celui-ci nous a fait vivre des instants d’apaisement, de gratitude et de confiance, mais il y a eu aussi des moments où la peur et la douleur étaient intenses. Une fois le nouveau-né douillettement installé dans les bras de sa maman, j’ai pris du recul et constaté que je venais d’oublier complètement le monde extérieur.

C’était d’ailleurs ce qu’il y avait de mieux à faire. Nous étions en mars 2020 et la pandémie de COVID-19 venait d’être déclarée : on ne pouvait rien faire, sinon s’inquiéter pour le monde extérieur.

La tempête

Lors des rendez-vous avec les patients, je faisais de mon mieux pour répondre à leurs questions, mais je n’avais aucune certitude quant à mes réponses. Les femmes enceintes étaient-elles plus exposées que les autres au virus ? Qu’en était-il des bébés ? Les hôpitaux allaient-ils fermer ? Les femmes pourraient-elles être accompagnées de leur conjoint ou devraient-elles accoucher toutes seules ? À quoi ressemblerait le monde après la naissance du bébé ? Il m’arrivait de sortir entre deux patients pour me tenir au courant des actualités, et de constater que les réponses que j’avais données aux patients le matin devaient changer pour ceux que je verrais l’après-midi.

Accompagner une femme qui donne la vie a le pouvoir de faire oublier tout ça. Être dans une pièce où naît un enfant et être la première personne à le toucher est un privilège que je ne tiens pas pour acquis, même après 10 ans et des centaines d’accouchements. C’est chaque fois une leçon d’humilité.

Même, et peut-être surtout, en pleine tempête.

Au moment où j’écris ces lignes, les habitants d’Ottawa sont encore en train de faire le ménage après l’occupation de leur ville par des opposants aux mesures sanitaires. Les habitants de l’Ukraine viennent de recevoir des fusils automatiques et fabriquent des cocktails Molotov pour se défendre contre l’envahisseur russe. En 2020, je pensais naïvement que notre cauchemar collectif serait bientôt terminé. Deux ans plus tard, je me demande encore quand il prendra fin.

Un de mes collègues a communiqué avec moi il y a quelques semaines. Il était journaliste en Afghanistan et avait fui Kaboul lorsque les talibans ont pris le pouvoir en août. Il me demandait de recevoir un ami à lui, également journaliste à Kaboul, qui venait d’arriver à Calgary avec sa femme et leur bambin. Nous avons pris un repas ensemble hier soir et je viens tout juste de leur faire connaître les joies des bourrasques de neige dans les Rocheuses avec un enfant qui perd tout le temps ses bottes.

Monica Kidd (Photo : Greg Locke)

Les membres de ma famille ont écouté ces nouveaux amis parler de ce qu’ils avaient supporté comme journalistes (mari et femme travaillaient tous deux pour des médias internationaux) et raconter que leurs propres familles (à présent en sécurité) avaient fui leurs maisons et étaient dispersées partout dans le monde. Ils commencent leur vie de Canadiens à partir de rien. Leur bébé, qui a maintenant de bonnes joues rondes et sa propre personnalité, est né pendant la pandémie, mais celle-ci était peut-être le dernier de leurs soucis : ils devaient affronter un autre type de tempête.

Tout cela m’a ramenée au jour où, dans la salle d’accouchement, j’ai tenu dans mes bras un bébé qui venait de naître et où j’ai constaté qu’à l’intérieur de la pièce, la pandémie avait disparu. À ce moment précis, plus rien ne comptait autant que ce petit être.

Il y aura toujours des tempêtes (nouveaux virus, haine, guerres, pandémies, changements climatiques), toutes aussi profondément terrifiantes. Mais en parallèle, de nouvelles vies, d’autres espoirs se mêleront.

Il suffit parfois de trouver un endroit paisible et d’observer. Et de s’accrocher à la vie.


Visionnez La tempête :

La tempête, Monica Kidd, offert par l’Office national du film du Canada

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