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Une fille tranquille, ou la difficile tâche d’exhumer les secrets de famille

Une fille tranquille, ou la difficile tâche d’exhumer les secrets de famille

Une fille tranquille, ou la difficile tâche d’exhumer les secrets de famille

Déterrer des secrets de famille est un travail solitaire, surtout si, comme dans mon cas, le secret, c’est vous.

J’ai rencontré pour la première fois la branche paternelle de ma famille à l’âge de 16 ans. Certains membres ignoraient que j’existais jusqu’à peu de temps avant ma première visite, en 1993. Ils avaient entendu des choses, mais ils attendaient que mon père soit prêt à révéler mon existence. Lorsqu’il l’a enfin fait, je n’avais que des questions sur la moitié qui manquait à l’histoire de ma famille.

Le problème, c’est que papa avait du mal à parler de sa famille. Mon grand-père, son père, avait été un alcoolique invétéré pendant la majeure partie de sa vie, et il était encore en train de départager ses sentiments à ce sujet.

Je me suis donc tournée vers ma grand-mère, la mère de mon père, pour obtenir des réponses. Elle m’a patiemment expliqué qui était chacun des proches représentés sur chaque photo que j’avais vue. J’ai même découvert quelque chose qu’elle n’avait dit à aucun membre de sa famille, malgré les preuves photographiques : elle avait été amoureuse d’un grand Irlandais au teint pâle avant de rencontrer et d’épouser mon grand-père italien, petit et basané.

Lorsque je l’ai finalement interrogée sur mon grand-père, elle a sorti deux poèmes d’un tiroir : l’un écrit par ma tante et l’autre par lui, tous deux traitant de son alcoolisme et de sa sobriété acquise. Elle pensait que le poème de mon grand-père était une sorte d’excuse pour sa consommation d’alcool et les dégâts qu’elle avait causés.

J’ai immédiatement transcrit les poèmes et les ai envoyés à mon père. Il m’a appelé en larmes. Apparemment, ma grand-mère ne les avait divulgués à personne avant que je ne m’y intéresse.

D’une certaine manière, le fait d’être le secret de ma famille m’a rendu si curieuse de celle-ci que j’en suis devenue par inadvertance la conteuse, l’historienne et l’archiviste.

Une fille tranquille, Adrian Wills, offert par l'Office national du film du Canada

Ainsi, lorsque j’ai visionné le documentaire Une fille tranquille, d’Adrian Wills, j’ai été envahie par un sentiment de déjà vu, pas nécessairement parce que nos histoires sont similaires (les circonstances sont très différentes), mais en raison du travail que représente son enquête, des surprises qui sont révélées et des reliques qu’il recueille en cours de route.

Dans Une fille tranquille, Adrian Wills voyage de Montréal à Terre-Neuve sur la piste de sa mère biologique, qui l’a confié en adoption lorsqu’il était bébé, en 1972. Il découvre d’abord qu’il fait partie d’une triste statistique. On estime qu’au Canada, environ 300 000 bébés ont été donnés en adoption entre les années 1940 et 1970, souvent parce que les jeunes mères étaient célibataires, ce qui était tabou dans certaines communautés religieuses.

Il retrouve, non sans stupeur, la fille de la femme qui l’a recueilli entre sa naissance et son adoption définitive. Elle lui montre une boîte remplie de bracelets d’hôpital portant l’identité des nombreux enfants que sa mère a accueillis pendant cette période. Cette découverte est superbement mise en scène dans un plan où l’on voit les bracelets tomber de haut en se dispersant, la caméra se comportant comme la surface sur laquelle ils atterrissent.

La mère adoptive d’Adrian a conservé tous les bracelets d’hôpital des nombreux enfants qu’elle a accueillis.

Mais l’interview d’Adrian avec la fille de sa mère adoptive est significative pour une autre raison. Au départ, elle n’avait pas consenti à être interviewée devant une caméra; elle avait seulement accepté qu’il filme les bracelets. Mais lorsqu’il s’est présenté chez elle, elle a décidé de se montrer à la caméra. « Je le fais pour vous, pas pour le film », lui dit-elle.

Cela se produit une autre fois dans Une fille tranquille, lorsqu’Adrian rencontre sa tante, la sœur de sa mère biologique, qui accepte d’abord d’être enregistrée, mais ne veut pas être filmée. Vers la fin du documentaire, lorsqu’il l’interroge à nouveau, elle apparaît à l’écran.

Le travail d’exhumation des secrets de famille en est un inconfortable. Les personnes qui partagent des informations avec vous s’aventurent sur un terrain inconnu et potentiellement intrusif. J’ai eu l’avantage de poser des questions à ma grand-mère en privé, sans que la caméra ne tourne. Mais comment Adrian a-t-il fait pour que les gens se sentent plus à l’aise lorsqu’ils racontent leur histoire devant une caméra?

Pour lui, cela se résume à deux choses : la transparence et la générosité.

La transparence s’opère à plusieurs niveaux. Elle réside dans le fait qu’il a choisi de ne pas influencer le déroulement de l’histoire, ce qui explique que l’on n’entende que rarement une voix hors champ.

« Ce que dit une voix hors champ est écrit après que les faits se sont produits, et je voulais qu’on soit continuellement dans l’instant », m’a dit Adrian.

Et on l’est vraiment, dans l’instant, au point de découvrir des choses sur la famille d’Adrian en même temps que lui. Au fur et à mesure, il tenait les personnes qui l’informaient au courant des nouveaux détails de son enquête. Il était donc transparent avec elles et, par conséquent, avec le public.

Et puis il y a la générosité, et c’est là que se trouve le cœur du film. Il y a la générosité de ceux et celles qui racontent leur histoire à Adrian, et celle qu’il témoigne en leur rendant la pareille.

C’est grâce à cette générosité qu’Une fille tranquille n’apparaît jamais comme un film choquant ou qui exploite des gens. En fait, Adrian s’est particulièrement préoccupé de l’éthique tout au long du tournage.

« Les gens donnent de leur temps, de leurs secrets, de leurs histoires personnelles, et ces histoires signifient beaucoup, dit-il. Ce sont des aspects auxquels les gens doivent réfléchir – en tant que cinéastes et dans la manière dont nous faisons des films avec d’autres personnes – afin de comprendre ce que nous prenons réellement aux autres. »

Adrian ne se contente pas de demander des informations à sa famille nouvellement découverte, il noue également des relations avec elle. Cette démarche était cruciale pour lui qui souhaitait rester en contact avec elle après le tournage. Mais comme elle en savait beaucoup sur ce qu’il découvrait en cours de route, lorsque sa famille a vu le documentaire terminé, sa seule surprise a été vis-à-vis son esthétisme.

Car ce film est magnifique. J’ai été particulièrement captivée par les images des petites villes de Terre-Neuve, avec leurs vagues déchaînées s’écrasant contre les côtes rocheuses. Pour Adrian, celles-ci résument parfaitement le chemin qu’il a parcouru pour réaliser Une fille tranquille.

« Il y a la sensation de l’eau, du tumulte et de l’ondulation constante, et cette sorte de sentiment que rien n’est vraiment fixe et que tout suit son propre cours. Il y a un adage qui dit qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve; et cela me fait penser à la puissance émanant de ce fait : on ne peut pas le contrôler ni stopper ses flots pour en laver ses fautes, tout comme on ne peut rendre la vie et les hommes immuables. Ni l’un ni l’autre n’est possible. »

Un peu comme avec la famille.

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