Leçon de cinéma avec Gerald Potterton
Le conservateur de la collection de l’ONF Albert Ohayon s’est récemment entretenu avec le cinéaste Gerald Potterton (The Railrodder, The Quiet Racket) afin d’en apprendre davantage, de la bouche même de ce candidat aux Oscars, sur sa brillante carrière.
Depuis l’animation d’une publicité télévisée annonçant une bijouterie jusqu’à une collaboration avec le légendaire Buster Keaton, les riches et divertissantes archives historiques que constitue la somme des expériences de Potterton passionneront les cinéastes aussi bien que le public.
L’arrivée au pays et l’entrée à l’ONF
Originaire du Royaume-Uni, Gerald Potterton sert durant deux ans dans la force aérienne britannique. Son premier emploi l’amène à réaliser des cravates peintes à la main dans le quartier londonien de Soho. « Croyez-le ou non, je peignais des nus sur les cravates, se rappelle-t-il, amusé. Et figurez-vous qu’elles se vendaient! » Il fréquente la Hammersmith Art School, puis décroche finalement un travail d’aide-animateur auprès d’un créateur d’arrière-plans pour longs métrages d’animation.
Potterton raconte avoir vu à Picadilly Circus le court métrage d’animation Sports et transports, conçu en 1952 par Colin Low. Le film était « si moderne, si différent, dit-il. Et il illustrait formidablement bien le Canada. Lorsqu’on le revoit aujourd’hui, il est toujours aussi chouette. »
Sports et transports!, Colin Low, offert par l’Office national du film du Canada
Gerald Potterton décide alors de s’installer au Canada et obtient un emploi à l’ONF. Dès son arrivée à Ottawa, on lui confie l’animation d’une publicité télévisée, mais à son grand plaisir, il croise un jour Colin Low, lequel accepte de l’embaucher.
« J’ai eu de la chance, estime Potterton. J’adorais également le film Voisins, et j’ai eu le bonheur de faire la connaissance de Wolf [Koenig] et de Roman [Kroitor]. Quelle chance! »
Gerald Potterton se remémore d’ailleurs son arrivée au Studio d’animation de l’ONF, et certaines de ses incursions dans le domaine du film tourné en réel, dans cette courte entrevue réalisée par Joanne Robertson :
Une histoire du cinéma : Gerald Potterton, Joanne Robertson, offert par l’Office national du film du Canada
Une « liberté incroyable » à l’ONF… et une candidature aux Oscars!
Le premier film que réalise Potterton à l’ONF s’intitule À bout de souffle. Cette œuvre d’animation produite sur une note humoristique pour l’Aviation royale canadienne a pour but de sensibiliser les troupes au grave problème de l’hyperventilation en haute altitude. Potterton conçoit le scénario et l’animation en collaboration avec Grant Munro et le tournage donne vraisemblablement lieu à des situations plutôt abracadabrantes! Le cinéaste évoque une certaine balade en CF100 à laquelle Munro a eu droit : complètement terrorisé et sens dessus dessous, ce dernier a rendu son petit déjeuner à sept reprises!
Potterton réalise peu après Ma carrière financière, une courte animation inspirée d’un récit de Stephen Leacock. « Au Service de l’animation, nous avons toujours disposé d’une liberté incroyable quant au choix de nos sujets, souligne-t-il. J’avais lu quelques histoires de Leacock et je me suis dit qu’elles feraient de bons petits films. À cette époque, j’avais peur des banques… et c’est encore le cas! » Le film est mis en candidature dans la catégorie du meilleur court métrage d’animation à la 36e cérémonie de remise des Oscars, en 1962.
Ma carrière financière, Gerald Potterton, offert par l’Office national du film du Canada
Le retour au Canada : La course
En 1960, Potterton s’installe à New York. « Je suis rentré [au Canada] après un an, surtout parce que c’était affreusement bruyant, se remémore-t-il. Je travaillais sur Madison Avenue à réaliser des messages publicitaires et je me rappelle avoir pensé que tout ça, c’était de la foutaise! J’aurais sans doute été écrabouillé depuis longtemps par un camion sur Madison Avenue! »
Après sa réussite en animation, Potterton souhaite faire l’essai du cinéma direct. « Bien des années auparavant, j’avais participé à des films tournés en direct, explique-t-il. À 16 ans, j’avais fait de la figuration. J’aimais penser qu’en mettant la caméra en marche, on pouvait filmer en douceur et rapidement. Alors qu’en animation, il y a de quoi devenir dingue! »
Potterton aborde le cinéma direct en signant un court métrage intitulé La course, qui relate l’histoire d’un snob riche et inconscient lancé sans même s’en rendre compte dans une folle équipée en traîneau. Potterton tient lui-même le rôle du conducteur – un film à voir!
La course, Gerald Potterton, offert par l’Office national du film du Canada
L’éclat de rire : « C’est de la comédie pure lorsque des choses terribles arrivent aux gens! »
Quelles ont été les sources d’inspiration de Potterton au moment du tournage de la comédie La course? « J’ai toujours beaucoup aimé les Keystone Cops. Il nous arrive à tous d’éclater un jour d’un bon gros rire gras, mais ça ne se produit pas tous les jours. La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était il y a trois mois, au cours d’un épisode de l’émission de Rick Mercer [Rick Mercer Report]. Ça, c’est de la comédie pure! C’est de la comédie pure lorsque des choses terribles arrivent aux gens! »
Potterton cite d’autres influences en matière de comédie : Richard Pryor, Buster Keaton, Bob Newhart, Laurel et Hardy, ainsi que des films comme Le Dentiste, dans lequel WC Fields extrait les dents des patients d’une façon absolument hilarante. De l’avis du cinéaste, ce sont là des exemples de comédie pure à son meilleur. Et d’évoquer également le grand Jacques Tati, bien sûr, ainsi que Mon oncle Antoine, une œuvre de l’ONF.
Au chapitre de la comédie, la principale réalisation de Potterton est somme toute The Railrodder. Le film met en vedette le légendaire Buster Keaton dans le rôle d’un aventurier un peu maboul qui traverse le Canada d’un océan à l’autre, filant sur la voie ferrée à bord d’une draisine. Cliquez sur le lien pour visionner le film et obtenir quelques bribes d’information de la part de Potterton lui-même.
The Railrodder, Gerald Potterton, offert par l’Office national du film du Canada
Buster Keaton : « Il serait parfait pour le rôle, mais il est mort, non? »
Un jour, Potterton remarque l’une de ces petites draisines et se dit spontanément qu’il serait amusant de faire quelque chose avec ce machin-là. Il raconte : « Je ne sais comment, mais le nom de Buster [Keaton] a été prononcé et j’ai dit ‘Eh bien, il serait parfait pour le rôle, mais il est mort, non?’ Et quelqu’un a répondu qu’il était à New York! Alors, sans faire ni une, ni deux, j’ai rédigé une demi-page sur l’histoire d’un type qui sort de l’océan, monte à bord de ce truc et entreprend de traverser le Canada. L’instant d’après, je rencontrais Buster sur la 56e rue, vue sur Central Park, muni d’un scénario d’une demi-page. Et il a accepté! »
Le documentaire révélateur de John Spotton Buster Keaton Rides Again (1965) fait état du quotidien durant le tournage de The Railrodder. Keaton y raconte en toute candeur sa vie et sa carrière entre deux prises de vues. Potterton révèle également que ses plans se sont trouvés sérieusement bousculés :
« J’avais établi le scénarimage d’une scène drôle qui devait se dérouler sur la Voie maritime du Saint-Laurent, mais les responsables ont refusé en déclarant qu’il était hors de question de mettre un vieux sur ce pont! »
Buster Keaton Rides Again, John Spotton, offert par l’Office national du film du Canada
De la ville à la campagne : The Quiet Racket
Poursuivant sur sa fructueuse lancée, Potterton privilégie de nouveau la comédie dans la désopilante production The Quiet Racket, qui relate les efforts désespérés du protagoniste pour échapper au vacarme de la ville. Mais y parviendra-t-il?
« La perspective de fuir la ville m’a toujours souri, dit Potterton. C’est d’ailleurs pour cette raison que je vis à la ferme depuis 1972. Le type [dans The Quiet Racket] est Jonny Jellybean, de CFCF [une station de télévision régionale]. Il animait une émission pour les tout-petits en fin de matinée et j’ai été sidéré quand il m’a dit que le budget mensuel dont il disposait pour les accessoires était de 25 $. Les salaires n’étaient sans doute pas faramineux, à l’époque. On creusait [alors] la tranchée qui allait devenir le boulevard Décarie », et quelques images de cette construction figurent dans le film.
The Quiet Racket, Gerald Potterton, provided by the National Film Board of Canada
La vie après l’ONF : Yellow Submarine et Heavy Metal
À la fin des années 1960, Potterton quitte l’ONF et travaille en qualité d’animateur au film iconique des Beatles Yellow Submarine (1968), réalisant ses séquences depuis son bureau de la Place Bonaventure (à Montréal). « J’ai collaboré à certains plans de la séquence de Liverpool illustrant le capitaine et la course incessante. C’est drôle, on nous a récemment présenté la toute nouvelle version, à Knowlton [Québec], et elle est très bonne. Ce film a été créé en un an et à peu de frais, mais la musique des Beatles ressort vraiment. Ils ont fait une nouvelle version formidable et c’est très bon. »
En 1981, Potterton réalise le film de science-fiction animé Heavy Metal, devenu depuis une production culte partout au monde. « Un jour, Ivan Reitman m’appelle. Pour une raison que j’ignore, il s’est tourné vers l’animation, [même s’] il a toujours été un adepte du direct. » Reitman souhaite participer à Heavy Metal… et on connaît la suite! Le film est une anthologie de plusieurs récits adaptés de la revue Heavy Metal. « Et John Bruno [qui a collaboré au film] compte aujourd’hui parmi les grands spécialistes des effets spéciaux à Hollywood », souligne Potterton.
Voilà qui conclut le présent billet sur la vie et la carrière aventureuses de Gerald Potterton racontées par l’homme lui-même! Nous espérons que ses films vous plairont.