L’histoire de Saint-Henri
À Saint-Henri le cinq septembre (1962) est sans doute un des films les plus connus et les plus aimés de notre collection. Depuis sa mise en ligne en 2009, sa popularité ne se dément pas. Il a même inspiré un film en 2011, À St-Henri le 26 août. Il était donc un choix un incontournable pour notre programmation de cette semaine, Vie de quartier, qui met l’accent sur les quartiers de Montréal.
Pourtant, ce moyen métrage, qui fait partie de toute une série de films réalisés pour la télévision par les artisans de l’équipe française entre 1958 et 1962 avec les techniques et les méthodes du cinéma direct, a bien failli ne pas voir le jour.
Inspiré du roman de Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion, qui se déroule dans le même quartier, le producteur Fernand Dansereau réunit la plupart des membres de l’équipe française de l’époque autour de l’idée d’un film sur Saint-Henri, tourné en 24 heures.
Hubert Aquin, réalisateur, scénariste, militant politique, personnage excentrique, qui sera consacré grand écrivain à la fin des années 1960 – il publie en 1965 son célèbre roman Prochain épisode – est chargé du projet. Une douzaine de cinéastes de l’équipe, dont certains de ses plus illustres membres, comme Claude Jutra, Michel Brault et Gilles Groulx, sont envoyés sur place et rapportent une quantité innombrable d’images.
Fidèle à sa réputation de personnage évanescent (voir la lettre de Jacques Godbout à Shannon Walsh, réalisatrice d’À St-Henri le 26 août), Hubert Aquin a déjà quitté le projet au moment où s’amorce la postproduction du film. Le montage est difficile, voire impossible. Claude Jutra, le monteur le plus doué de sa génération aux dires de Jacques Godbout, s’y attelle pendant plus de deux mois sans parvenir à en tirer un film.
Privé de son réalisateur, composé de milliers de pieds de pellicule difficilement assemblables dans un tout cohérent, le projet sur Saint-Henri est en péril! C’est finalement Jacques Godbout avec l’aide de la monteuse Monique Fortier qui terminera le film. Il opte pour un montage chronologique, c’est-à-dire en commençant avec les scènes tournées le matin pour aller vers celles tournées en soirée.
À Saint-Henri le cinq septembre, Hubert Aquin, offert par l’Office national du film du Canada
Malgré son succès aujourd’hui, À Saint-Henri le cinq septembre n’a pas reçu un bon accueil à sa sortie. Suite à sa diffusion sur les ondes de Radio-Canada, les commerçants de Saint-Henri, convaincus que le film dénigrait leur quartier, ont intenté une poursuite en diffamation contre l’ONF. De plus, lors d’une projection privée organisée pour les résidents, certains d’entre eux n’ont pas aimé l’image que donnait le film de leur quartier.
Ces réactions ont d’ailleurs mis Fernand Dansereau, le producteur, sur la piste d’une nouvelle façon de faire du documentaire, le cinéma d’intervention sociale, où les personnes filmées auraient leur mot à dire quant au montage et à la production d’un film. Mais ça, c’est une autre histoire!
Je vous invite à voir le film si vous ne l’avez pas encore vu ou à le revoir encore et encore si, comme moi, vous êtes un fan!