Retour sur la conférence d’Alexandre Brachet aux Rendez-vous du cinéma québécois
J’ai eu la chance d’assister hier au lancement des Journées Transmédia des Rendez-vous du cinéma québécois, un échange entre professionnels que je crois nécessaire vu l’importance que prend la production de documentaires Web au Québec. Ces rencontres ont commencé par une courte conférence d’une demi-heure de la part d’Alexandre Brachet, un pionnier avec sa compagnie Upian du documentaire Web. C’était l’occasion d’entendre ce créateur et de poser certaines questions essentielles entourant la création de ce type de projets.
Qui est Alexandre Brachet?
Alexandre Brachet est reconnu en France comme étant l’un des pionniers du Web français, dont l’influence dépasse les frontières. Il a fondé sa société de production interactive, Upian, en 1998. Depuis, celle-ci a produit ou co-produit plusieurs documentaires Web, tels que La cité des mortes, Thanatorama, Gaza-Sderot et Prison Valley en 2010 (un de mes préférés).
Parallèlement à ces productions, Upian fait aussi «du Web», c’est à dire qu’elle aide des médias à faire leur déploiement sur Internet. La société a ainsi travaillé avec de magnifiques marques du Web français, comme Rue89, France Inter ou encore Les Inrocks.
Brachet a fondé Upian avec l’idée de créer des programmes spécifiquement pour le Web, de la même manière que les producteurs de cinéma produisent des films. Puis, une fois le virage technologique du Web accompli (autour de 2002), il devint possible de faire passer des émotions (autre que l’humour) via l’écran. C’est pour cette raison, et à l’inverse de bien des gens, que Brachet s’est mis à considérer le Web comme étant un «média du réel«.
L’arrivée de Joël Ronez chez ARTE en 2007 a été, selon Brachet, un tournant à la fois pour la production et la diffusion. C’est à ce moment-là que les sites Web des grandes sociétés médiatiques ont arrêté d’être de gigantesques guides de programmation, pour enfin être des producteurs de contenus pour le Web.
Comment produit-on chez Upian ?
Cette question est assez simple à répondre pour Brachet. Il veut provoquer des rencontres avec des auteurs. Il tient également à reproduire la magie de la création à laquelle on assiste sur un plateau de cinéma. Pour lui, Internet est le plus grand espace de création. Tous les métiers sont alors les bienvenus. Nous sommes enfin rendus à l’époque où la technologie ne limite plus (sur le Web) notre créativité. Bref, c’est la liberté de la création, soit un véritable affranchissement.
L’autre aspect très présent chez Alexandre Brachet est cette recherche d’une logique de diffusion, car «la magie d’Internet, c’est d’être en contact permanent avec l’audience.» Il veut également changer la vision qu’ont certains professionnels du Web. La Toile est un espace de création qui ne retire pas de valeur, mais qui en créée.
Pourquoi produire sur le Web ? Qu’est-ce qu’un bon sujet ?
La première question à se poser avant de concevoir est celle de l’interactivité : Que peut-on faire avec l’interactivité que l’on ne pourrait pas faire avec les autres écrans? Brachet pense judicieusement que certains sujets seront meilleurs pour le cinéma ou pour la télévision. Internet est un média de niche et non un média de masse, il faut positionner le programme Web là où sont les audiences pour ce sujet.
Selon lui, l’autre question fondamentale de la scénarisation d’un documentaire Web est la notion du temps réel. Tout projet doit en contenir. C’est le moyen le plus fort de faire ressentir l’interaction à l’internaute. Brachet conseille aussi de donner un rôle (petit ou grand) à cet internaute et surtout, de lui laisser trouver sa place tout seul dans ce nouvel univers. D’enquêteur, l’usager devient un contributeur et sera de plus en plus un diffuseur de contenu (notamment avec l’usage des blogues et des réseaux sociaux).
Qu’est-ce qu’un bon format Web ?
J’ai adoré qu’il aborde ce sujet, car très souvent, nous devons répondre à la question de la longueur des formats. Pour lui, ce n’est pas important. Cela dépend du sujet et comment il a été scénarisé : est-ce une succession de programmes courts qui forment un tout ou un récit plus linéaire qui sert de socle à la création de la verticalité (comme dans l’excellent Prison Valley)? Non, la question primordiale est celle de l’interface, qui dès le premier coup d’œil, doit raconter une partie de l’histoire. Cette interface doit porter le récit. Le documentaire Web Gaza-Sderot illustre parfaitement bien cette affirmation avec cette ligne qui divise l’écran. Tout de suite on est capable d’imaginer la frontière israelo-palestinienne et de jouer avec elle.
Qu’est-ce qu’un bon modèle économique pour la production de documentaires Web?
J’ai bien aimé l’intégrité que porte Alexandre Brachet pour le Web. Et sa réponse est tout à fait propre au format : «Il y a autant de réponses que de logique créative.» Ainsi, chaque programme apporte son lot de questionnements qui permettra de concevoir un modèle viable. Mais, nous prévient-il : «n’imaginer pas engranger des revenus d’exploitation pour un documentaire Web«. La clé réside bien dans le financement du projet et non dans son exploitation : «On cherche l’audience sur le Web, on ne cherche pas l’argent.»
Le Web permet cependant de concevoir des façons de diffuser le projet que les autres écrans n’offraient pas. Il faut que le producteur s’y implique contrairement au cinéma, où l’on délègue la distribution et l’exploitation du film. Cette étape permet de faciliter le déploiement du projet notamment pour sa diffusion. Un exemple serait celui des blogues, où l’on peut offrir du contenu qui peut s’intégrer, comme Upian l’avait fait pour Gaza-Sderot.
La création de partenariats de diffusion permet aussi d’atteindre d’autres cibles (il spécifie : pas juste un logo dans le bas de la page d’un projet!). On l’a vu pour Prison Valley, où avec le journal Libération. Le quotidien français qui s’intéresse depuis longtemps au sujet de la gestion carcérale a organisé des sessions de clavardage avec ses lecteurs et a diffusé des segments du documentaire, qui étaient indépendants du projet Web.
En conclusion, je vous invite à suivre les futurs projets d’Alexandre Brachet et d’Upian en France. Il existe une belle complicité en ce moment entre le Canada et la France et les deux pays se positionnent de plus en plus comme étant des exemples à suivre. De toutes façons on n’a pas le choix, on réinvente constamment les possibilités et c’est ce qui est fascinant.
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