Écologie sonore: une analyse de la perception sonore
Par Anne-Marie Lavigne
Agente d’interactivité
Lors du récent Gala Boomerang, le documentaire Web Écologie sonore a reçu les honneurs de l’industrie des communications interactives du Québec, qui a lui décerné un de ses prestigieux prix. Une double célébration, puisqu’en gagnant dans la catégorie spéciale Site Fou, mais formidable, c’est non seulement l’originalité du travail créatif qui est récompensée, mais également l’avant-gardisme de la démarche du projet.
Écologie sonore aborde la problématique croissante de la pollution par le bruit à travers une expérience sonore immersive axée sur l’identification des sources de pollution sonore dans notre quotidien. L’objectif? Favoriser la sensibilisation et faire émerger des pistes de solutions constructives pour lutter contre la pollution sonore. Une démarche documentaire pertinente, surtout si on s’immerge dans le quotidien d’un des quartiers les plus densément peuplé du pays.
Entretien avec Pierre Dodin, citoyen de l’Arrondissement du Plateau Mont-Royal à Montréal et membre du Comité Bruit de son quartier.
En tant que citoyen du Plateau Mont-Royal, avez-vous déjà expérimenté des problèmes liés au bruit ?
Oui, essentiellement le bruit routier. À Montréal, il existe un réseau appelé « artériel », où la vitesse des véhicules est importante, entre 50 et 60 km/h. Sur le Plateau, comme dans d’autres arrondissements densément peuplés, ce réseau est en fait comme un tuyau bruyant, à proximité immédiate des habitations où vivent beaucoup d’enfants et de familles. Je ne connais pas d’autres villes qui fonctionnent de cette manière. La congestion et la circulation lente font partie d’un environnement urbain normal dans beaucoup d’autres villes comme Paris, Vienne et Londres, pour ne citer qu’elles. Or une situation congestionnée est moins bruyante qu’un tuyau fluide : le bruit de roulement est directement lié à la vitesse. Bien sûr les situations congestionnées présentent d’autres problèmes, mais un tel réseau rapide en milieu dense est pour moi une curiosité (pour dire le moins), sans parler du danger omniprésent pour les piétons alentour.
Quels sont les plus fréquents types de problèmes liés au bruit vécus par les citoyens du Plateau Mont-Royal ?
On pourrait dire que le premier type de problème est celui détectable directement par le nombre de plaintes. On peut citer notamment le bruit de voisinage, provoqué soit par des fêtes entre résidents, soit par la proximité d’un établissement comme un bar ou une boite de nuit mal insonorisée, ou dont les clients à l’extérieur parlent fort, ce qui arrive naturellement quand on sort d’une salle où le niveau de bruit est très élevé. On peut citer aussi le bruit généré par les ventilations et installations mécaniques, dont les sorties sont souvent orientées côté ruelle, ou bien parfois à grande proximité des fenêtres de résidents. L’environnement calme qui entoure ces installations fait que l’émergence de bruit (ce qui sort du bruit ambiant) est très perceptible et occasionne souvent des plaintes. Les solutions passent par la pose d’écrans acoustiques, le choix de matériel à faible émission ainsi qu’une bonne disposition du matériel qui tient compte de la distance par rapport aux résidents à proximité. On peut enfin citer dans cette catégorie le bruit lié aux opérations de livraison et d’enlèvement d’ordures.
Le deuxième type de problème est le bruit qui ne génère plus de plaintes, car considéré comme « normal » ou intégré dans la réalité quotidienne. Je ferais rentrer dans cette catégorie le bruit routier. La manifestation la plus spectaculaire de ce bruit se fait pour un piéton aux heures de pointe, quand les lignes de stationnement sont retirées, et que voitures et camions circulent à seulement quelques dizaines de centimètres de lui. Il est alors très difficile de discuter avec son voisin !
Pourquoi avez-vous eu le désir de vous impliquer collectivement pour lutter contre la pollution par le bruit ?
Initialement mon désir d’implication s’est réalisé dans un comité qui désirait sensibiliser les élus à la circulation excessive dans le Plateau Mont-Royal. En tant que chercheur en traitement du signal, je me suis demandé s’il ne serait pas utile de travailler pour cette sensibilisation à des indicateurs numériques de qualité de vie. Le travail de Cartographie sonore des niveaux de décibels effectué à Paris m’a alors donné l’idée de tenter quelque chose de similaire sur le Plateau. J’ai progressivement contacté des organismes comme la Direction de la Santé Publique (DSP) et les universités, où j’ai pu rencontrer des acteurs clefs dans le domaine du bruit, dont certains font aujourd’hui partie du Comité Bruit.
Comment fonctionne le Comité bruit du Plateau Mont-Royal ?
Le Comité est né dans la foulée de l’élection municipale de 2009. Durant la phase initiale de « débroussaillage », une dizaine de rencontres ont rassemblé des citoyens sensibilisés à la question du bruit : des intervenants de la DSP et du milieu universitaire en audiologie, un spécialiste de géomatique, un épidémiologiste, un avocat spécialisé dans les questions environnementales ainsi qu’un policier expert dans les questions de bruit.
À présent le Comité travaille en plus petits sous-groupes sur des questions très précises, comme la question de l’insonorisation et des niveaux sonores mesurés des bars et établissement de musique. Dans cette optique, le Comité s’est enrichi de la présence du président d’une association de musiciens et d’un acousticien de terrain, d’un professeur en acoustique et d’un architecte. Un deuxième sous-groupe sur la question des matériels mécaniques de l’arrondissement sera mis en place bientôt.
Quelles actions et stratégies sont mises en place par le Comité ?
L’influence du Comité sur le Conseil d’arrondissement est purement consultative : des propositions sont faites, puis adoptées ou non par les élus. Dans le cas des propositions émises par le Comité dans son premier rapport publié que j’ai présenté le 4 octobre dernier lors de la séance du Conseil d’arrondissement, un grand nombre de recommandations seront suivies. Pour l’instant, une seule est déjà en fonctionnement pratique, avec l’utilisation du règlement de Ville-Marie pour les niveaux d’amende.
On pourrait résumer nos actions comme suit : la collecte des données pour obtenir un portrait le plus fidèle possible (plaintes, mesures ou prédiction par modélisation) dans un premier temps, puis l’adaptation ou si nécessaire le renforcement des règlements, et enfin la recherche de moyens économiques, pratiques de correction, en concertation avec le plus d’acteurs possibles.
D’après vous, pourquoi l’implication citoyenne des habitants du quartier est importante pour lutter contre la pollution par le bruit ?
Chacun a des seuils de tolérance différents, et ceci se vérifie encore plus dans les questions reliées au bruit. Un enseignant en maternelle sera beaucoup plus sensible à toute exagération de bruit ambiant autour de chez lui parce qu’il est constamment soumis au bruit de l’école. Inversement, un clerc de notaire aura plus de chances d’apprécier la vie que cache tel ou tel bruit ambiant, voire de rechercher une ambiance bruyante. C’est le croisement de toutes ces perceptions qui permet de capturer un portrait le plus fidèle mais avant tout le plus objectif possible du problème du bruit, par définition extrêmement subjectif.
D’autre part, le Plateau est un quartier extrêmement cosmopolite : souvent les gens ont vécu ailleurs et peuvent témoigner de ce qui s’y fait dans le domaine. C’est en s’inspirant des meilleures pratiques connues qu’on peut faire progresser la législation. À titre d’anecdote, le type de règlement à l’étude régissant les installations mécaniques (ventilations, chauffage, climatisations industrielles) est largement inspiré de ce qui se fait à Hong Kong depuis plusieurs années.
Comment avez-vous découvert le projet documentaire Écologie sonore ?
J’ai découvert Écologie sonore sur le Web. Je suis très intéressé par les tentatives de parler du bruit sous d’autres aspects que purement quantitatifs, je vois cette démarche comme une première ébauche de l’approche qualitative du bruit, par cartes de sons (paysage sonore) au lieu de carte de bruits. Elle est importante, non seulement pour obtenir un répertoire des différents bruits, mais aussi pour mieux saisir le pourquoi de la gêne ou du plaisir qu’on y associe. Par conséquent la perception – subjective – peut être mieux analysée : il faut bien plus de données que l’intensité d’un bruit et sa fréquence pour être capable de comprendre la perception qu’il engendre.
Félicitations pour votre implication et votre travail. À partir de 1996 j’ai donné un cours en Communication au cégep du Vieux Montréal sur la sensibilisation au paysage sonore en partant de la pensée de R. Murray Schafer. Je pense que la perception de la dimension sonore commence à se préciser chez les citoyens. C’est le point de départ nécessaire pour son amélioration.