Projet Unikkausivut : des artisans de l’ombre… et du froid
Si la plupart d’entre vous avez déjà visionné notre légendaire court métrage Comment construire votre iglou, peu connaissent l’ampleur de la collection de films sur les Inuits de l’ONF. Documentant la vie dans l’Arctique canadien depuis plus de 70 ans, l’ONF conserve aujourd’hui 110 films uniques dépeignant ce peuple nordique – soit la collection la plus importante au monde sur le sujet.
Comment construire votre iglou, Douglas Wilkinson, offert par l’Office national du film du Canada
Afin d’éviter que ces trésors ne sommeillent dans nos voûtes, un chic projet verra bientôt le jour. Lancée en partenariat avec le Secrétariat des relations avec les Inuit et le Gouvernement du Nunavut (ministère de l’Éducation), cette initiative, intitulée Unikkausivut (« transmettre nos histoires » en inuktitut), vise à célébrer la culture inuite par ses histoires et son cinéma.
Unikkausivut se déclinera en plusieurs phases. À terme, l’ONF souhaite ajouter tous les films de son fonds d’archives à l’Espace de visionnage en ligne ONF.ca, mais dans l’immédiat, c’est le lancement d’un coffret DVD, prévu pour le 2 novembre prochain, à Ottawa, qui retient notre attention.
Le coffret lui-même est une petite merveille. Regroupant des films réalisés sur 7 décennies, il comprend 24 films présentés en 3 versions : français, anglais et inuktitut. Le coffret dans son ensemble retrace l’essentiel de l’engagement de l’ONF dans l’Arctique, des premiers comptes rendus ethnographiques des années 1940 aux récents films réalisés par des cinéastes inuits.
Comme j’ai pu le constater la semaine dernière en discutant avec les artisans du projet, la réalisation du coffret Unikkausivut a représenté un défi de taille.
L’ONF avait déjà démontré son savoir-faire dans la production de grands coffrets (comme ceux rassemblant les œuvres de Brault, Perrault, Arcand ou McLaren), mais cette fois-ci, l’entreprise comportait de nombreux éléments uniques et nouveaux, en plus d’être liée à de sérieuses contraintes de temps.
Après un inventaire exhaustif des éléments à sa disposition pour chacun des films du coffret (son, image, langue de tournage, sous-titres, droits de diffusion, alouette), l’équipe a vite réalisé la complexité de la tâche à abattre. En résumé, la liste ne comportait pas deux titres identiques et chacun s’avéra être un cas spécial.
C’est au niveau du son que la débrouillardise de chacun a été mise à contribution.
Le coffret devait inclure des films sur quatre grands territoires inuits – le Nunavut, le Nunatsiavut (Labrador), le Nunavik (Nord du Québec) et la région désignée des Inuvialuit (Territoires du Nord-Ouest), un territoire commun que les Inuits du Canada appellent Inuit Nunangat. Le coffret Unikkausivut devait aussi représenter les quatre langues inuits les plus parlées. Mais quand est venu le temps de doubler deux films du Nunatsiavut, l’équipe technique a constaté qu’on y parlait un dialecte différent de celui du Nunavut. Qui fournirait donc les voix des personnages des films?
Au total, ces films requéraient sept voix différentes. Comme il aurait été trop coûteux de faire venir sept personnes du Labrador aux studios de l’ONF pour procéder aux enregistrements, on a fait appel à OK Society (OKâlaKatiget Society), une boîte de production située à Nain, au Labrador, pour faire l’enregistrement des voix sur place. Heureusement pour tous, après beaucoup d’échanges et de transferts de fichiers, les personnages des deux films ont finalement retrouvé la voix.
Pour le reste, c’est aux studios de son de l’ONF à Montréal que les dialogues inuits ont été enregistrés. Sur place, l’équipe a pu bénéficier de l’aide et de la grande sagesse de Martha Flaherty, la petite-fille du célèbre cinéaste Robert Flaherty (Nanook of the North), qui comprend bien les quatre langues inuites.
Personnage principal du documentaire Martha qui vient du froid, de Marquise Lepage, Martha Flaherty a agi comme consultante tout au long du projet. Elle a assisté et contribué aux enregistrements à Montréal, qui de l’avis de tous ont été de beaux moments de contact.
Par exemple, Martha s’est dite surprise de voir comment se pratiquait la chasse au phoque dans sa région, comme le montrait les documentaire de 1976 : Stalking Seal On the Spring Ice. Et que dire de Peter Irniq, premier commissaire du Nunavut et spécialiste du dialecte netsilik, qui a reconnu dans un film auquel il prêtait sa voix des membres de sa propre famille!
C’est au studio qu’on a remarqué une très grande disparité phonétique entre le français et l’inuktitut. Si dans la version française, par exemple, un personnage dit : « Salut », la version inuktitut dira quelque chose comme l’équivalent (en longueur) de « Salut comment ça va? As-tu passé une bonne journée? ». Pas toujours évident pour synchroniser le son et l’image…
Au final, l’équipe de production d’Unikkausivut s’entend pour dire que le jeu en valait la chandelle. Dans son ensemble, le projet est un très bel exemple de préservation linguistique et culturelle, à une époque où langues, dialectes et artéfacts culturels disparaissent à vue d’œil.
Le coffret Unikkausivut sera lancé le 2 novembre à Ottawa à l’occasion des célébrations du 40e anniversaire du Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), l’organisation nationale inuite du Canada, en présence de sa présidente, Mary Simon.
Par la suite, 2000 copies du coffret seront distribuées dans 53 communautés des 4 grands territoires inuits décrits plus haut ainsi que dans les grands centres urbains du pays, où vivent près de 10 000 Inuits. Enfin, une sélection de plus de 40 titres de la collection de films inuits sera mise en ligne sur ONF.ca et sera accessibles gratuitement aux internautes. Des ressources éducatives en ligne seront également offertes.
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