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50 ans de production en Acadie – 1re partie (1974-1987) | Perspective du conservateur

50 ans de production en Acadie – 1re partie (1974-1987) | Perspective du conservateur

50 ans de production en Acadie – 1re partie (1974-1987) | Perspective du conservateur

L’année 2024 marque le 50e anniversaire de la mise sur pied du programme Régionalisation / Acadie (1974), un centre régional de production qui avait comme objectif de miser sur les talents acadiens pour la production de films en Acadie, et qui a mené, quelques années plus tard, à l’instauration d’un studio permanent à Moncton.

Avec la célébration de la Fête nationale de l’Acadie, le 15 août, et la tenue du Congrès mondial acadien dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse du 10 au 18 août, c’est le moment de revenir sur l’histoire de la production acadienne à l’ONF, sur la richesse et la diversité de ses films, ainsi que sur la persévérance et le dynamisme de ses créateurs et créatrices.

Mais avant de s’attarder aux circonstances qui ont mené à la régionalisation de la production, qui était jusque-là concentrée à Montréal, examinons d’abord la période qui a précédé cet important changement.

L’ONF à Ottawa

Jusqu’en 1956, le siège social de l’ONF est situé à Ottawa. Les cinéastes qui y travaillent doivent se déplacer pour tourner des sujets en région. Durant cette période, quelques films sont tournés en Acadie, mais pas par des Acadiens. Roger Blais, un Québécois, réalise deux courts métrages sur la chorale de l’Université Saint-Joseph du Nouveau-Brunswick, Voix d’Acadie (1952) et Chanteurs acadiens (1953). Il signe également une docufiction, Les aboiteaux (1955), sur la construction de digues permettant de cultiver des terres menacées par les ravages de la mer et dont les Acadiens et les Acadiennes possèdent le secret depuis plus de 300 ans. Toutefois, Blais connaît peu de choses sur l’Acadie et il doit compter sur l’aide de Léonard Forest, originaire de Moncton et venant tout juste d’être embauché à l’ONF, pour la recherche et la scénarisation.

Les aboiteaux, Roger Blais, offert par l’Office national du film du Canada

Premier film acadien

L’ampleur du film Les aboiteaux surprend, alors que près d’une centaine d’habitants et habitantes de la vallée de Memramcook y participent. Forest, qui a écrit le scénario et les dialogues et assisté Blais à la réalisation, gagne la confiance des dirigeants de l’ONF. Peu de temps après, on lui confie la scénarisation et la réalisation d’un autre projet en Acadie, Pêcheurs de Pomcoup (1956), une autre docufiction, cette fois sur un petit village de pêcheurs acadiens en Nouvelle-Écosse. Il s’agit du premier film sur l’Acadie tourné par un Acadien.

Pêcheurs de Pomcoup, Léonard Forest, offert par l’Office national du film du Canada

L’ONF à Montréal

À l’été 1956, l’ONF installe son siège social à Montréal. Ce déménagement dynamise la production française, qui peu à peu prend sa place dans un ONF qui était, jusque-là, dominé par les anglophones. Une équipe de cinéastes se consolide autour de quelques producteurs francophones, invente une nouvelle façon de faire du documentaire (le cinéma direct) et remet en question les normes établies, dans le contexte bouillonnant de la Révolution tranquille. Ce nouveau type de cinéma se pratique à Montréal et dans les régions du Québec par des cinéastes majoritairement québécois. Il y a donc peu ou pas de place pour l’Acadie.

Le retour de Léonard Forest

Dans les années 1960, la production française, qui obtient son autonomie en 1964, est marquée par une vague nationaliste qui déferle sur tout le Québec. Les cinéastes francophones de l’ONF n’y échappent pas. Les sujets de films tournent surtout autour du Québec. L’Acadie semble avoir complètement disparu des radars. Il est vrai que Michel Brault tourne Éloge du chiac (1969), puis L’Acadie, l’Acadie!?! (1971) avec Pierre Perrault, mais il s’agit, malgré la qualité et l’importance des deux films, d’un regard québécois sur des réalités acadiennes. Pour autant, le cinéma acadien à l’ONF n’est pas mort. À la fin des années 1960, Léonard Forest revient en force à la réalisation, après avoir occupé le poste de producteur à partir de 1957. Il tournera par la suite trois films importants en Acadie, qui feront renaître les espoirs d’un véritable cinéma acadien à l’ONF : Les Acadiens de la dispersion (1968), La noce est pas finie (1971) et Un soleil pas comme ailleurs (1972).

La régionalisation

Pendant ce temps, l’idée d’une régionalisation de la production à l’ONF fait son chemin autant du côté anglais que français. En 1972, désireux de démocratiser et de décentraliser la culture, le gouvernement canadien annonce une nouvelle politique nationale du film, en suggérant la création de centres régionaux. Les objectifs de cette initiative sont de favoriser le recrutement de jeunes cinéastes et de développer la production locale. En 1969, l’ONF avait déjà amorcé une décentralisation de sa production, mais avait dû l’interrompre en raison de restrictions budgétaires. Cette fois, le projet obtient le plein soutien du gouvernement et va de l’avant. De 1974 à 1976, l’organisme ouvre plusieurs bureaux anglophones de production à travers le pays. Le secteur français n’est pas en reste. Winnipeg, Toronto et Moncton auront aussi leurs centres de production. Pendant un certain temps, il est question de rattacher la production française dans les maritimes au bureau anglophone d’Halifax, mais Léonard Forest intervient dans le débat, plaidant que les Acadiens et les Acadiennes, tout comme les autres francophones du pays, ont droit à leur propre structure de production.

Premiers films dans un climat d’opposition

À l’été 1974, le centre de Moncton met ses activités en branle. Le producteur délégué Paul-Eugène LeBlanc en assure la supervision. En collaboration avec un comité d’action régional, il a la tâche de recruter des cinéastes, de les former et de mettre sur pied une production artisanale. Le premier film est tourné le 8 mars 1975 lors d’une nuit de la poésie qui a lieu à l’Université de Moncton. La nuit du 8, un court métrage documentaire qui sera lancé l’année suivante, est une œuvre collective.

La nuit du 8, , offert par l’Office national du film du Canada

Suivront ensuite Une simple journée (1975) de Charles Thériault, un court métrage de fiction qui raconte la journée d’un étudiant à l’école, Y’a du bois dans ma cour (1976) de Luc Albert, un documentaire sur l’industrie forestière dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick, Abandounée (1977) d’Anna Girouard, une fiction sur la vie d’une famille acadienne dans les années 1930, et La confession (1977) de Claude Renaud, une courte fiction sur l’omniprésence de la religion catholique dans la vie des femmes acadiennes. Il est intéressant de noter que trois films sur cinq sont des fictions. Une tendance qui se poursuivra en Acadie jusqu’à la fin des années 1970 et que l’on observe également dans les centres francophones de l’Ontario et de l’Ouest.

Abandounée, Anna Girouard, offert par l’Office national du film du Canada

Les premières années sont somme toute positives pour les jeunes créateurs et créatrices de l’Acadie. Avec les conseils et l’aide de professionnels du siège social à Montréal, ils continuent de se familiariser avec les outils et les différents métiers du cinéma, et leurs noms apparaissent enfin aux génériques des films. Le producteur Paul-Eugène LeBlanc et ses cinéastes revendiquent déjà plus d’indépendance par rapport au Comité du programme français à Montréal, refusant de voir leurs choix dictés par le bureau central. Toutefois, les dirigeants de la production française, à Montréal, ne voient pas les choses du même œil. Pour eux, la production en Acadie reste un cinéma amateur tourné avec des outils professionnels, et dont on ne peut assurer la continuité ni la relève étant donné la faible densité de la population. À quoi bon une régionalisation de la production ? se demandent-ils. Il faudra l’intervention du commissaire André Lamy pour calmer le jeu et rappeler que la régionalisation est une priorité pour l’ONF, mais que la production en Acadie devra tout de même continuer de profiter de l’expertise de Montréal.

Une production sur fond de crise

À l’été 1978, l’ONF est frappé par d’importantes restrictions budgétaires. La production française doit réduire son budget de 25 %. La direction décide d’abolir les programmes de régionalisation de l’Ouest et de l’Ontario, de conserver celui de l’Acadie, mais de geler ses fonds et de nommer un producteur de Montréal qui aura désormais la charge du programme. Les trois régions réagissent rapidement et font front commun contre cette décision. Les comités d’action régionaux (CAR) de l’Acadie, de l’Ontario et de l’Ouest, la Fédération des francophones hors Québec et les artisans des bureaux francophones de Winnipeg, de Toronto et de Moncton montent aux barricades et réclament l’annulation des coupes imposées à l’ONF. Les CAR mobilisent la population, suscitent des appuis et font pression sur les politiciens. Devant l’inaction du gouvernement, les producteurs délégués de l’Ontario (Georges-André Prud’homme) et de l’Acadie (Paul-Eugène LeBlanc) remettent leur démission.

C’est dans ce contexte, pour le moins mouvementé, que plusieurs cinéastes poursuivent leur projet de film. Phil Comeau, originaire de Saulnierville à la baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse, qui deviendra par la suite un pilier du cinéma acadien à l’ONF et dans le secteur privé, signe deux films de fiction : La cabane (1978), sur un groupe de jeunes qui revendiquent le droit de vivre comme ils l’entendent, et Les gossipeuses (1978), qui met en scène trois commères de village.

Les gossipeuses, Phil Comeau, offert par l’Office national du film du Canada

Robert Haché tourne lui aussi une fiction, Au boutte du quai (1978), qui raconte l’histoire d’une femme qui prend toute la mesure de sa condition d’Acadienne. Le cinéaste Claude Renaud, qui avait réalisé La confession deux ans plus tôt, renoue avec la fiction en tournant Souvenir d’un écolier (1979), qui aborde, comme dans son film précédent, le thème de l’omniprésence de la religion catholique dans la société acadienne.

Au boutte du quai, Robert Haché, offert par l’Office national du film du Canada

Bien que la fiction semble dominer la production, des documentaires sont également tournés durant cette période. Mentionnons Kouchibouguac (1978), une œuvre collective qui raconte la lutte de Jackie Vautour pour empêcher le gouvernement fédéral d’exproprier ses terres, et celles de ses voisins et voisines, afin d’en faire un parc national. Laurent Comeau, Marc Paulin et Suzanne Dussault tournent Le frolic cé pour ayder (1979), un long métrage documentaire sur le « frolic », une vieille tradition acadienne qui prenait la forme d’une corvée de travail doublée d’une grande fête. Le film nous transporte en plein frolic au village de Cap-Pelé (aujourd’hui Cap-Acadie), en nous présentant des performances de musique traditionnelle et des entrevues avec ceux et celles qui ont connu les frolics d’autrefois.

Le frolic cé pour ayder, Laurent Comeau, Marc Paulin et Suzanne Dussault, offert par l’Office national du film du Canada

Un conflit qui s’envenime

Pendant ce temps, les pressions des CAR finissent par donner des résultats. En décembre 1979, le conseil d’administration de l’ONF, malgré les coupes, annonce son intention d’assurer la continuité des activités des régions francophones hors Québec. Rhéal Drisdell devient le nouveau producteur délégué en Acadie. Contre toute attente, le conflit entre Montréal et Moncton s’envenime. Les producteurs délégués de l’Acadie, de l’Ontario et de l’Ouest réclament haut et fort une plus grande autonomie, c’est-à-dire des bureaux régionaux qui relèveraient directement du commissaire et non du Programme français. De son côté, la direction de l’ONF tient à ce que les régions restent sous le contrôle de la production française. En mai 1980, elle crée un studio voué à la régionalisation, le Studio E, qui sera dirigé par Raymond H. Gauthier, qui ne vient pas du Québec. Le nouveau studio précise son mandat, définit les règles et émet des directives en ce qui concerne la production. Le CAR-Acadie rejette unanimement toutes ces nouvelles décisions. L’opposition est si vive qu’elle contraint le directeur de la production française, Jean-Marc Garand, de congédier le producteur Rhéal Drisdell, membre du CAR-Acadie, et de fermer temporairement le bureau de Moncton.

Fin de crise

C’est finalement le commissaire adjoint, François Macerola, qui réussira à calmer le jeu, en allant rencontrer à Moncton les protestataires et les groupes qui les appuient. La rencontre a lieu en juin 1981. Macerola explique que, jusque-là, le cinéma en Acadie était un cinéma de « formation ». Le producteur et le réalisateur décidaient des sujets et de la façon de les aborder en accord avec la production française. Désormais, les choses vont changer. Un dialogue positif doit s’établir entre le Comité du programme et le bureau de Moncton. Pour Macerola, les Acadiens et les Acadiennes demeurent les véritables initiateurs et les principaux artisans de leur cinéma. Toutes les avenues pouvant favoriser l’éclosion d’un cinéma professionnel en Acadie leur sont maintenant ouvertes. Il termine la rencontre en annonçant qu’un nouveau producteur acadien devrait être nommé à l’automne.

Un second souffle

Le bureau de Moncton reprend ses activités en janvier 1982. Il s’appelle dorénavant Production française/Acadie. Éric Michel en devient le producteur. Originaire de France, Michel réside à Moncton depuis plusieurs années et possède une longue expérience de producteur et de réalisateur. Son arrivée va sans contredit donner un second souffle à la production. Il restera en poste jusqu’en 1987.

Cette période est marquée par une collaboration saine et plus étroite entre les équipes de Montréal et celles de Moncton. Cela contribuera grandement à améliorer la qualité des films. On note également un abandon de la fiction au profit du documentaire. Michel croit fermement, comme le montre d’ailleurs la production acadienne antérieure, que la fiction sert bien le propos des cinéastes en Acadie. Un des premiers films qu’il produira sera d’ailleurs un court métrage de fiction : Massabielle (1983) de Jacques Savoie. Mais un contexte budgétaire difficile le forcera à se tourner vers le documentaire, qui coûte moins cher. Ce qui n’est pas plus mal, puisque d’excellents films de ce genre seront produits.

Cette époque est également marquée par une présence importante de femmes cinéastes. On pense à Claudette Lajoie-Chiasson, qui réalise quatre documentaires : Une sagesse ordinaire (1983), sur une sage-femme peu ordinaire de Paquetville, Une faim qui vient de loin (1985), qui s’intéresse au problème de l’obésité, Les femmes aux filets (1987) et Crab-O-Tango (1987), deux documentaires consacrés aux travailleuses saisonnières dans les usines de transformation du poisson de la péninsule acadienne.

Une sagesse ordinaire, Claudette Lajoie-Chiasson, offert par l’Office national du film du Canada

Nous pouvons également mentionner Bateau bleu, maison verte (1985) de Bettie Arseneault et Maille Maille (1987), le tout premier film d’animation produit par le centre régional de Moncton, réalisé par Anne-Marie Sirois et scénarisé par Monique LeBlanc.

Maille Maille, Anne-Marie Sirois, offert par l’Office national du film du Canada

Enfin, l’ère Éric Michel correspond à l’arrivée d’Herménégilde Chiasson, un artiste multidisciplinaire reconnu dans son milieu, bien enraciné dans sa collectivité et qui a déjà fait du cinéma en amateur. Chiasson deviendra un pilier de la production en Acadie, et demeure, à ce jour, le cinéaste acadien le plus prolifique à l’ONF. Son premier film, Toutes les photos finissent par se ressembler (1985), dans lequel il parle de la naissance de la littérature acadienne moderne et des parallèles à faire entre cette littérature et le combat politique des Acadiens et des Acadiennes, attire l’attention. Il tournera par la suite un documentaire fascinant sur la vie et l’œuvre de l’écrivain franco-américain Jack Kerouac, Le grand Jack (1987). Ce film, également produit par Éric Michel, ne compte pas parmi la production acadienne au sens strict, puisqu’il fait partie d’une série de documentaires, intitulée L’américanité, mise sur pied par le Programme français à Montréal. Mais il reste tout de même un film acadien, parce qu’il est réalisé par un cinéaste de l’Acadie.

Le grand Jack, Herménégilde Chiasson, offert par l’Office national du film du Canada

Les années subséquentes verront la consolidation de la production acadienne et l’établissement d’un noyau fort de créateurs et de créatrices. Dans les années 2000, le Studio Acadie atteindra la maturité. Des cinéastes d’expérience poursuivront leurs œuvres tandis que des programmes de financement appuyant le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire viendront assurer une relève nombreuse et dynamique. À partir du milieu des années 2010, la production en Acadie sera marquée par de nombreuses restructurations, tout en affichant une certaine continuité. Voilà les sujets qui sont abordés dans la deuxième partie de ce billet.

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