La 30e commémoration du génocide du peuple tutsi au Rwanda
Un devoir de mémoire
L’année 2024 marque la 30e commémoration du génocide du peuple tutsi au Rwanda. C’est un moment important pour se souvenir des événements tragiques de 1994, pour honorer la mémoire des victimes, pour penser à l’avenir et pour réfléchir au slogan « Plus jamais ça », encore une fois.
Les trois films de l’ONF dont il sera ici question rappellent la honte et l’obscurité dans laquelle l’humanité a alors plongé, une fois de plus. Elle offre au personnel éducatif spécialisé dans les études sur la paix et les conflits, le droit international et d’autres disciplines connexes l’occasion de réfléchir avec les élèves aux germes du génocideE observant les événements qui se déroulent aujourd’hui dans le monde et en examinant le passé, les élèves auront l’occasion de comprendre les caractéristiques d’un génocide.
Les germes du drame
Quand j’ai commencé l’école primaire, la division des enfants en groupes hutus et tutsis était une pratique obligatoire, et les commentaires désobligeants des enseignants et enseignantes hutus envers les enfants tutsis étaient monnaie courante. C’est donc à l’école, du haut de mes sept ans, que j’ai appris que j’étais Tutsie. Je n’y comprenais rien et je n’aimais pas être traitée d’insecte. De plus, à partir de 16 ans, la carte d’identité indiquait l’appartenance ethnique des individus et, de facto, servait à discriminer les Tutsis dans toutes les sphères de la vie publique. L’entrée à l’école secondaire, à l’université et dans la fonction publique était très difficile, voire impossible pour les Tutsis. Le système politique en place les considérait comme des citoyens et citoyennes de seconde zone, des non-humains, ce qui a facilité leur élimination.
Le film Chronique d’un génocide annoncé, partie 1 : Le sang coulait comme une rivière montre combien le monde a fermé les yeux devant un des pires crimes contre l’humanité. Il révèle ce que l’œil ne devrait pas voir et ce que l’oreille humaine ne devrait jamais entendre. Une preuve irréfutable de la faillite humaine et humanitaire. C’est une torture de voir des rescapés raconter cette histoire, cette souffrance sans nom.
Chronique d’un génocide annoncé – partie 1 – Le sang coulait comme une rivière, Danièle Lacourse et Yvan Patry, offert par l’Office national du film du Canada
Pistes de discussion
Sur la base des caractéristiques du génocide présentées par les Nations Unies (https ://www.un.org/fr/genocideprevention/genocide.shtml) et d’une compréhension du génocide du peuple tutsi à travers des films, les élèves peuvent délibérer sur un certain nombre de crises et d’événements mondiaux et sur la manière dont des efforts ont été déployés pour éradiquer différentes populations.
Du désespoir à la volonté d’agir
J’ai été témoin de la discrimination et de la montée fulgurante de la haine envers les Tutsis jusqu’au génocide, qui a tout emporté de ma vie d’avant. J’ai survécu à ce drame, mais ma souffrance et mon désespoir étaient tels que je ne pouvais m’imaginer avoir la force de revivre. Une scène qui me revenait sans cesse est celle du jour où, au couvent du Centre pastoral Saint-Paul, à Kigali, nous étions assis par terre, des armes pointées sur nous. Un enfant est passé, portant une ceinture de cartouches. Il accompagnait les militaires et la milice qui allaient nous tuer. Son enseignante tutsie était assise à côté de moi. L’enfant l’a reconnue et a compris qu’elle aussi allait être fusillée. Les balles qu’il transportait allaient tuer son enseignante (voir mon récit dans mon livre On n’oublie jamais rien : le génocide comme je l’ai vécu, publié en 2019 aux Éditions Hurtubise). En repensant à cet enfant, je voyais toute une génération, tous les jeunes qui avaient été rendus meurtriers, toute leur innocence sacrifiée. Je me disais qu’on ne naît pas génocidaire, qu’on le devient à cause de la manipulation, du discours de la haine, de l’endoctrinement d’une population ignorante, prise en otage par des politiciens hutus extrémistes, animés par le racisme envers les Tutsis et le désir d’effectuer une purification ethnique.
Ayant fait mes études en sciences de l’éducation, je fus alors animée par le désir de contribuer à renverser la vapeur, d’utiliser ma volonté et mes connaissances pour promouvoir l’éducation à la culture de la paix à travers mes travaux de recherches, mes conférences et mon engagement auprès des organismes communautaires. Comme la haine est apprise, la paix peut aussi l’être.
Le camp de la honte
Le génocide rwandais a été planifié, préparé et exécuté sous le regard du monde entier. De la même manière que d’autres génocides, la discrimination et la déshumanisation du peuple tutsi en étaient la première étape.
Ce génocide pouvait être empêché, mais il a été consommé jusqu’à la fin. Les forces des Nations Unies présentes au Rwanda furent rappelées, laissant un peuple innocent, hommes, femmes, enfants et personnes âgées, à la merci des génocidaires. Le monde a fermé les yeux devant l’un des plus grands crimes contre l’humanité, un demi-siècle seulement après la Shoah.
Le documentaire La part de Dieu, la part du diable présente un portrait saisissant du rôle peu flatteur de l’Église catholique et de l’aide internationale. Il porte un regard critique sur le rôle qu’ont joué la communauté religieuse canadienne qui a fondé l’Université nationale du Rwanda et certains membres de l’élite intellectuelle hutue dans la planification du génocide.
La part de Dieu, la part du diable, Yvan Patry, Sam Grana et Danièle Lacourse, offert par l’Office national du film du Canada
Plus jamais ça ?
Cinquante ans avant les événements au Rwanda, le monde entier a assisté à l’extermination de six millions de Juifs en Europe. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, devant une telle horreur, la communauté internationale a décidé d’une même voix qu’un génocide n’allait plus jamais se reproduire. Le slogan « Plus jamais ça » était un cri de ralliement pour mettre l’humanité à l’abri d’autres crimes de ce genre. Cependant, le monstre qui loge au fond de l’être humain a continué à gronder et à faire des . Est-ce dû à un manque de volonté politique ou à une incapacité à matérialiser une déclaration comme « Plus jamais ça » en soutien structurel, en sanctions et en processus ? Jusqu’à présent en tout cas, ce slogan demeure vain et vide de sens, puisque d’autres génocides ont eu .
Le film Pris au piège expose l’impuissance de la communauté internationale devant le nombre colossal de personnes réfugiées prises en otage par le gouvernement génocidaire. À défaut d’intervenir à temps, elle a nourri et soutenu les criminels, car il lui était difficile de les différencier des innocents. Elle a laissé passer les armes qui dégoulinaient encore de sang.
Pris au piège, Danièle Lacourse, offert par l’Office national du film du Canada
Pistes de discussion
Voici des questions à poser après le visionnement des films mentionnés plus haut :
- Quels sont les protagonistes qui composent la communauté internationale ?
- Quelles mesures auraient pu être prises pour prévenir ou arrêter le génocide des Tutsis au Rwanda ?
- Qu’est-ce qui a empêché la communauté internationale de prendre ces mesures ?
- Qu’est-ce qui empêche la communauté internationale de donner suite à des déclarations telles que « Plus jamais ça » ? Qu’est-ce qui lui permettrait de le faire ?
Éducation à la paix
La commémoration des événements de 1994 est une occasion de réaffirmer notre engagement envers la prévention des génocides, la justice, la réconciliation et la construction d’un avenir basé sur la paix et le respect mutuel. Elle permet également de rappeler que nos acquis sont fragiles et que nous devons faire preuve de vigilance. Se souvenir est indispensable. « Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le répéter », disait le philosophe George Santayana. Nous devons porter la mémoire pour transmettre un espoir en l’avenir et en l’être humain, pour combattre la haine et s’enrichir des différences.
La haine, le fondamentalisme, l’intolérance et la violence de toute sorte prolifèrent. Les médias sociaux représentent, plus que jamais, un véhicule dangereux et efficace de tout ce qui menace notre humanité. Tous ensemble, nous sommes responsables de veiller les uns sur les autres et de lancer l’alerte face au danger de l’intolérance.
La transmission de la mémoire n’a pas pour but de perpétuer le souvenir de l’horreur. Elle vise plutôt à apprendre au monde, et surtout aux jeunes, à être vigilant, à défendre les valeurs humaines et à combattre toute division. Elle permet d’éveiller les nouvelles générations aux dangers que représente la haine de l’autre, en leur montrant que la guerre et les génocides peuvent être évités. L’histoire du génocide ainsi que les étapes qui y mènent et ses conséquences devraient être enseignées dans les écoles. Les gouvernements et les institutions nationales et internationales doivent se rappeler que le génocide est le résultat des discours de haine et de division et qu’il peut survenir n’importe où et à n’importe quel moment. C’est par l’éducation que nous pourrons comprendre le passé, éviter de reproduire les erreurs commises et nous engager pour demain. Selon le préambule de Un paradigme dans lequel les individus et les institutions placent la justice et l’unité de l’humanité au premier plan et ont la volonté d’agir sans crainte pour les soutenir.
Pistes de discussion
- Quelles mesures prenez-vous déjà ou pourriez-vous envisager de prendre pour minimiser l’aliénation, les préjugés et le fondamentalisme dans votre communauté ?
- Quelles mesures pouvez-vous prendre en ce sens lorsque vous consultez ou créez du contenu sur les médias sociaux ?
- Quels seraient les éléments d’un futur modèle de pensée favorisant une paix et une sécurité durables pour tous les peuples ?
Marie-Josée Gicali, docteure en sciences de l’éducation, est une survivante du génocide commis contre les Tutsis en 1994. Elle a écrit le livre On n’oublie jamais rien (Hurtubise, 2019).
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