Une réflexion personnelle sur le film Les femmes arabes disent ÇA ?
« Mon visage au grand écran ? Quelle idée terrifiante ! » C’est ce que je me suis écriée lorsque mon amie Nisreen Baker m’a parlé de son dernier projet, Les femmes arabes disent ÇA ?. Nous étions alors en 2018. Je ne me doutais pas que l’aventure partagée avec mes amies allait durer cinq ans. Je ne m’attendais pas non plus à l’impact profond que le documentaire allait avoir sur moi et, je l’espère, sur l’auditoire.
Je connaissais personnellement Nisreen et j’avais regardé ses films précédents avec beaucoup d’intérêt, y compris Chez le barbier, réflexions d’hommes arabes. Je savais donc que, par sa vision, elle déconstruisait les stéréotypes en invitant amicalement l’auditoire à entrer dans la vie, le foyer et les pensées de personnes souvent marginalisées. C’est ce qui m’a convaincue de participer à son projet, malgré la terreur et l’énorme responsabilité que j’ai immédiatement ressentie de devoir rester fidèle à mes convictions. Non seulement je me représenterais moi-même dans le documentaire, mais je représenterais aussi une femme arabe — une identité qui a largement influencé ma perception du monde et la perception que les autres ont de moi. Savoir que Nedra, Sanaa, Tereza, Aya, Hala, Carmen et Leylan seraient de la partie m’a rassurée, et persuadée que le contenu serait riche et divertissant. Si nous avions à être terrifiées, au moins, nous le serions ensemble.
Cela dit, Nisreen a calmé nos appréhensions en nous présentant « Narges », la caméra, comme notre nouvelle amie. Nous nous sommes accoutumées à sa présence ; elle s’est insinuée en douceur dans nos rencontres tandis que nous partagions nos histoires dans le rire et, à l’occasion, les larmes.
Représenter l’identité arabe ne va pas de soi. C’est qu’il y a 22 pays arabes en Afrique et en Asie, avec une multitude de traditions et de patrimoines culturels. Lors de nos réunions, nous nous amusions souvent des grandes différences entre nos dialectes respectifs. Oui, nous parlons toutes arabe, mais la langue de chacune est teintée des nuances linguistiques du lieu où elle a grandi : un de ces pays nichés entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe, où les voies commerciales ont refaçonné la culture et où le colonialisme — histoire tristement complexe — a tiré parti de ces lieux stratégiques et de leur grande richesse culturelle.
Un jour, un homme qui ne savait pas que j’étais Arabe m’a dit : « Savais-tu que les musulmanes n’ont pas le droit d’aller à l’école ? Qu’on leur interdit de prendre le volant ? » Pareilles réflexions donnent à réfléchir. Ces perceptions erronées, transmises avec assurance, traduisent une ignorance et la méconnaissance d’une culture avec laquelle on n’a pas été en contact. De telles interactions confirment l’importance cruciale du documentaire de Nisreen afin de remettre en question ces lieux communs issus d’un manque d’information. Les femmes arabes sont bien plus que ces images superficielles de tapis magiques, d’encens et de danse du ventre pratiquée au son « exotique » de la flûte et sur un arrière-plan de chameaux au Sahara. Nous comprenions que nos conversations devaient trouver un écho auprès de l’auditoire, même si cela signifiait que nous allions devoir exprimer nos peurs les plus viscérales et nos aspirations intimes, et aborder la définition complexe du « chez soi ».
Visionner le documentaire lors de la première s’est avéré une expérience surréaliste, qui nous a rappelé nos rires, nos larmes et nos moments d’introspection. Le partage du repas est un élément central de la culture arabe, et durant le ramadan, c’est encore plus vrai. À mes yeux, le festin du ramadan a été le clou du documentaire, car il a capté la spontanéité de nos échanges à un moment de l’année où nous éprouvons de la nostalgie pour notre pays d’origine et pour les grands rassemblements familiaux et amicaux. Comme à tous les rassemblements du genre, la politique s’est immanquablement invitée dans les conversations, influencées par notre conscience aiguë de la géopolitique régionale et, pour certaines, par l’expérience de la guerre. Nous voir discuter à l’écran des bombardements dans la bande de Gaza, alors que Gaza subissait de nouveaux assauts au moment de la première du documentaire… quel choc ! Par ailleurs, chaque scène était pour nous comme un album d’instantanés évoquant nos sentiments et notre état d’esprit du moment.
Alors que le générique défilait, je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir reconnaissante d’avoir fait partie d’un projet si transformateur. Les femmes arabes disent ÇA ? n’est pas qu’un simple documentaire ; c’est une célébration de la résilience, de la sororité et du pouvoir d’un récit authentique. En réfléchissant à cette aventure, je me dis que nos voix ont du poids, que nos histoires méritent d’être entendues et que nos identités aux mille facettes défient les stéréotypes réducteurs. Malgré la frousse que j’ai éprouvée au début, je suis fière d’avoir figuré dans ce film, auprès de mes amies intelligentes, éloquentes, courageuses, bonnes, généreuses et aux personnalités remarquables. Je me dis aussi que l’acceptation de notre vulnérabilité s’est révélée pour nous une source de force et d’esprit de corps où nous avons puisé le courage de remettre en question les perceptions — une conversation à la fois.
Visionnez Les femmes arabes disent ÇA ? :
Les femmes arabes disent ÇA ?, Nisreen Baker, offert par l’Office national du film du Canada