Enseignement supérieur | Maisonneuve

Le contexte de la série

En 2015, 11 étudiants et étudiantes du Collège de Maisonneuve, situé dans l’est de Montréal, ont été arrêtés pour avoir tenté de rejoindre les rangs du groupe armé État islamique. Cet événement souligne les défis potentiels associés à l’implémentation de l’éducation interculturelle dans un établissement collégial caractérisé par une population étudiante dite des « diversités ». La série a été tournée en deux temps : les premières images ont été captées en 2017, à la suite des événements de 2015, alors que de nouvelles entrevues tournées en 2022 invitent les protagonistes à revenir sur les cinq dernières années, en lien avec leur passage au Collège de Maisonneuve. Les six épisodes (d’environ 25 minutes chacun) proposent une réflexion sur différentes tensions au sein de l’établissement collégial, particulièrement entre des étudiants et étudiantes et l’association étudiante ou la direction, mais aussi sur des enjeux citoyens soulevés dans les années qui ont suivi.

C’est autour de la question identitaire que se construit la série. L’identité, sous toutes ses formes, expose la complexité de ce milieu collégial, qui représente, au fond, un certain miroir de la société dans laquelle les protagonistes de la série, étudiants et étudiantes ou membres du personnel, évoluent.

La série comme outil pédagogique au collégial

En tant que femme racisée, professeure de littérature au Collège de Maisonneuve et anciennement étudiante au même collège, le regard que je pose sur la série est ancré à la fois dans une perspective d’enseignement et dans une dimension affective, celle de mon expérience personnelle. Dans le cadre des cours de littérature que je donne, j’ancre ma démarche d’enseignement dans une perspective de décolonisation des savoirs. Cette série propose de mettre en lumière des récits qui divergent du discours dominant, alors que, comme je le constate, le milieu de l’enseignement tend encore à reconduire des mécanismes coloniaux.

Chaque épisode est une occasion de caractériser l’expérience étudiante au collégial. En ce sens, des thèmes comme l’identité, la culture, l’intégration, la représentativité ou encore l’interculturalité peuvent être analysés en classe par la lentille de différentes disciplines. En effet, la série met de l’avant plusieurs enjeux. Par exemple, on y observe l’insatisfaction d’étudiants et étudiantes d’origine arabo-musulmane qui n’ont pas l’impression d’avoir une voix au sein de leur collège et de leur association étudiante. Les membres de celle-ci expriment un inconfort devant la revendication d’une représentativité plus juste dans l’exécutif de l’association. Ces étudiantes et étudiants blancs, qui se targuent pourtant d’être équitables et impliqués dans une démarche de justice sociale, révèlent leur fragilité lorsqu’on les critique.

Notons aussi le cas des étudiants et étudiantes en techniques policières qui découvrent de nouvelles réalités et qui rencontrent des défis lors de leur passage dans la communauté autochtone de Kitcisakik. Bref, des fossés semblent se creuser entre certaines réalités au Collège de Maisonneuve. Il s’agit d’enjeux intéressants à discuter en classe, la série pouvant donc servir d’outil pédagogique riche en réflexions dans plusieurs disciplines.

En sciences sociales : tout au long de la série, plusieurs protagonistes dénoncent des rapports de pouvoir inégaux. Ainsi, les personnes issues de groupes minoritaires sont parfois habitées par un sentiment d’injustice, qui s’inscrit dans une dynamique systémique. En classe, il serait pertinent de s’intéresser aux mécanismes de pouvoir au collégial, mais aussi dans les discours tenus par des personnes en position d’autorité.

En littérature : pour qui enseigne la littérature, les discours sont riches à analyser. Chaque protagoniste s’adresse aux autres ainsi qu’à la caméra avec une intention et en ciblant un public. Les composantes du schéma de la communication peuvent être des clés pour mieux comprendre le récit narratif que portent les protagonistes.

En études cinématographiques : on peut s’intéresser au traitement du récit, à la façon dont la narration se construit seulement à partir des entretiens et des images captées entre les murs du Collège de Maisonneuve. Il est également possible d’explorer comment le montage influence l’interprétation des événements.

Pour un espace de courage

Dans un contexte d’enseignement, la série documentaire Maisonneuve est une ressource riche qui offre la possibilité de s’interroger sur de nombreux sujets, comme la question de l’autre et de notre rapport à l’altérité. Elle peut être utilisée en classe pour mener des ateliers de réflexion en équipe, mais aussi pour amener les étudiants et étudiantes à penser à l’impact de leur environnement éducatif sur leur propre parcours.
Dans une salle de classe, le visionnement de la série peut mener à de nombreuses discussions à partir des questions suivantes :

• Quels étaient les défis que les protagonistes rencontraient en 2017, et étaient-ils toujours présents en 2022 ?
• Quelles sont les différentes perspectives des protagonistes sur le fait québécois, en particulier en ce qui concerne la relation à la religion et à l’interprétation de la laïcité ?
• De quelle manière le système éducatif influence-t-il le sentiment d’appartenance ou d’exclusion ressenti par certaines personnes par rapport à la société québécoise ?
• Dans quelle mesure les discours des protagonistes peuvent-ils s’inscrire dans une perspective de collectivité ?

Aspirer à mieux

La série Maisonneuve offre une porte d’entrée dans un univers marqué par les diversités, les rapports de pouvoir et les dilemmes identitaires. On y observe les limites de la « bonne volonté » pour atteindre le « vivre-ensemble ». Le milieu collégial ne se limite pas à l’enseignement. Les étudiants et étudiantes sont des êtres socialisés, qui cheminent tout au long de leur parcours, et comme le suggère avec justesse un intervenant de la série, il est important que les adultes qui interviennent dans le système éducatif puissent accueillir les discours des jeunes et laisser l’espace à ces individus en construction pour vivre les événements selon leur propre cheminement. D’ailleurs, les pensées évoluent, et la série le montre avec brio en accordant un recul critique aux protagonistes. Avec humilité, ils et elles reviennent sur leurs propos et sur leurs actions, tout en réfléchissant à la responsabilité d’un système qui les dépasse.

Dans une salle de classe, le professeur ou la professeure ne doit pas craindre de se retirer pour laisser la place à des ressources documentaires utilisées comme outils pédagogiques. Il s’agit d’exploiter les richesses de tels documents et de laisser les étudiants et étudiantes se prononcer sur ce qu’ils et elles y voient. La classe pensée comme un lieu d’échange n’est pas à l’abri du risque de voir des pensées s’affronter, mais il importe de toujours maintenir un climat de respect et de bienveillance.

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Eang-Nay Theam est professeure de littérature au Collège de Maisonneuve, où elle a étudié en sciences humaines. Enfant de parents réfugiés, elle tente de mieux comprendre les dynamiques coloniales dans les textes des diversités et des Premiers Peuples. Ses études en pédagogie l’amènent à réfléchir à la pertinence de l’utilisation de documents en classe. Elle s’intéresse notamment à la littérature comme moyen d’exister à travers un discours construit de manière légitime dans une volonté de réappropriation identitaire.

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