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Comment les réalisatrices de Condamnation ont tiré avantage des choix créatifs de leurs protagonistes

Comment les réalisatrices de Condamnation ont tiré avantage des choix créatifs de leurs protagonistes

Comment les réalisatrices de Condamnation ont tiré avantage des choix créatifs de leurs protagonistes

Bien des gens s’expliquent mal comment une personne peut retourner en prison après avoir été libérée. La liberté n’entraîne-t-elle pas une accoutumance ? La menace d’une nouvelle incarcération ne suffit-elle pas à dissuader de commettre d’autres infractions punissables ? Comme nous l’indique clairement le documentaire Condamnation, on ne peut pas comprendre ce cycle tant qu’on ne le vit pas de l’intérieur : le film nous montre donc ce que c’est, que d’être « en-dedans ».  

Si Nance Ackerman, Teresa MacInnes et Ariella Pahlke sont les réalisatrices de Condamnation, il n’en reste pas moins que Treena, Caitlin, Laura et Bianca, quatre détenues de l’établissement correctionnel présentées dans le documentaire, se sont vu remettre des caméras vidéo pour filmer leur vécu à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. Et que les images qu’elles ont tournées jouent un rôle prépondérant dans le film.

Condamnation, Nance Ackerman, Ariella Pahlke et Teresa MacInnes, offert par l’Office national du film du Canada

Treena, qui s’exprime franchement à propos de sa toxicomanie et de son alcoolisme, se filme au moment de sa libération, et nous ne tardons pas à constater que son milieu de vie hors de la prison a tout ce qu’il faut pour la ramener en peu de temps derrière les barreaux. Elle se remet à boire, à consommer de la drogue, et elle s’automutile. Rapidement, elle est inculpée d’actes de violence et réincarcérée. Parfaitement consciente de la source de ses problèmes, elle n’a tout simplement pas les outils nécessaires pour les résoudre. Elle n’y arrivera pas seule, c’est certain.  

Atteinte d’un trouble bipolaire, Caitlin a tendance à se couper. À un certain moment, elle nous montre son ventre, couvert des lacérations qu’elle s’est infligées. Mais caméra à la main, c’est avec une vive sensibilité artistique qu’elle capte son milieu naturel. Après son emprisonnement, on la renvoie dans sa famille, jusqu’à ce qu’une nouvelle crise liée à sa santé mentale la ramène à l’établissement carcéral.  

Laura dirige sa caméra vers une petite fissure au bas de la grande porte rouge qui la sépare du monde extérieur. Puis, elle effectue un zoom avant sur l’herbe qu’elle parvient à voir sous la porte et qui tranche avec le béton de l’intérieur. Elle note la couleur de l’herbe et indique que c’est ce qui l’aide à reconnaître la saison en cours. Elle tente de toucher l’herbe, mais n’arrive pas tout à fait à l’atteindre. « Si proche, mais si loin », fait-elle remarquer dans sa narration.  

Le parcours de Bianca est déchirant. Pour éviter de divulgâcher, disons seulement qu’il comporte une crise de nature médicale.  

« Lorsque Bianca s’est enregistrée dans la chambre d’hôpital, il n’y avait pas de cinéaste dans la pièce, dit Nance Ackerman. Cette scène aurait pu mal se dérouler, compte tenu de la dynamique de pouvoir caractéristique des cinéastes. Mais il n’y a pas eu de problème, parce qu’elle a su maîtriser la situation et raconter son histoire. »  

Ces récits auraient pu s’apparenter à de l’exploitation si on avait demandé à Treena, Caitlin, Laura et Bianca de filmer leur réalité et de remettre leurs images sans avoir la possibilité de les revoir. Mais Teresa MacInnes, qui décrit leur démarche comme un processus de « consentement continu », précise que les détenues ont été consultées à chaque étape de la production et qu’elles ont eu le feu vert pour retirer n’importe quelle image à n’importe quel moment. Parce qu’aussi fascinantes que soient les histoires présentées à l’écran, il y a cette possibilité qu’elles puissent parfois blesser les femmes qui les racontent, ou avoir des conséquences sur leurs proches, voire sur leurs perspectives d’emploi.  

« Ce qui distingue (Condamnation), c’est que le tort qu’il pourrait causer a été abordé directement, plutôt que de flotter comme une pensée perturbante, dit Teresa MacInnes. C’est une question que nous avons examinée de front avec les femmes et entre nous. »  

Comme Treena, Caitlin, Laura et Bianca n’avaient jamais utilisé de caméra, elles ont reçu des directives de base sur le cadrage, l’éclairage et le son. Les réalisatrices étaient conscientes de la part de risque que cela représentait, mais elles étaient ouvertes à l’expérimentation et ne l’ont pas regretté, bien au contraire.  

« (Les femmes) ont adopté des approches entièrement différentes les unes des autres, souligne Ariella Pahlke. L’approche de Caitlin m’a étonnée, parce qu’elle a pris des centaines de photographies abstraites de formes et de motifs. Je suis contente que nous ne les ayons pas guidées davantage en leur disant ce que nous souhaitions qu’elles fassent avec les caméras, puisque c’était pour nous une formidable surprise sur le plan de la création chaque fois que nous recevions leurs images. »  

Les réalisatrices ont également constaté que le processus se prêtait au transfert de connaissances. Par exemple, vers la fin du film, on voit Bianca rappeler à Laura comment travailler avec la vidéo, juste au moment où cette dernière est sur le point d’être libérée. Bianca transmet ainsi son savoir-faire au suivant.  

Condamnation ne se limite pas à permettre aux femmes de discuter des défis uniques qu’elles doivent affronter (logement précaire, perspectives d’emploi limitées, accès facile à la drogue et à l’alcool dans certains milieux, notamment) : il leur donne aussi l’occasion d’entrer en contact avec les responsables des politiques.  

Au cours du tournage, Kim Pate, directrice générale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry (ACSEF), a été nommée au Sénat du Canada.   

« (Kim Pate) travaillait à défendre les droits des femmes en prison, puis elle est devenue sénatrice, dit Ariella Pahlke. Donc, toute cette scène où Treena parle de ses expériences à un groupe de sénateurs, eh bien, ça n’aurait pas eu lieu. Ça augmente les chances et l’espoir de voir changer les politiques, quand on peut s’entretenir directement avec une sénatrice. »  

La démarche de collaboration s’est poursuivie bien après l’achèvement du film. Certaines des femmes qui y ont collaboré, de même que la sénatrice Pate, ont assisté aux projections, aux événements spéciaux ou même aux réunions Zoom, pour parler de leurs expériences vécues, exprimer leur point de vue et répondre aux questions.   

« (Elles) sont très intéressées à participer et ça me paraît logique, dit Ariella Pahlke. Cela signifie beaucoup, pour elles, de voir le film avec un public et de pouvoir en parler ensuite à ce public. Pour les partenaires de la communauté, c’est aussi une occasion de les appuyer, et pour le public, le fait de discuter directement avec les participantes des questions soulevées dans le film a été vraiment important. Cela maximise l’effet du film et les niveaux de collaboration engagés. »  


Voyez Condamnation, diffusé en continu sur onf.ca, ou visitez le site web du film pour assister à une projection à venir dans votre région.  

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