À la rencontre de Riopelle en quatre films | Perspective du conservateur
L’année 2023 marque le centième anniversaire de naissance du peintre, graveur et sculpteur Jean Paul Riopelle, né le 7 octobre 1923 à Montréal.
Jusqu’à maintenant, les célébrations n’ont pas manqué. Il y a eu des expositions, bien sûr, une murale, une programmation spéciale à la télévision, un Riopelle symphonique, des courts métrages, un spectacle « pyromusical », de la poésie, du cirque, une pièce de théâtre signée Robert Lepage et même des expériences gastronomiques !
À l’ONF, nous ne sommes pas en reste ! La présence de Riopelle se fait sentir dans plusieurs de nos films. Ce billet vous propose d’aller à sa rencontre, à différentes époques de sa vie, par le biais de quatre de nos œuvres.
Les débuts
Dès son jeune âge, Riopelle suit des cours de dessin et de peinture[1]. À 19 ans, il entre à l’École polytechnique de Montréal, tout en continuant de dessiner. Il étudie également l’architecture par correspondance et fait de la photographie. Un an plus tard, il suit quelques cours à l’École des beaux-arts, puis s’inscrit à l’École du meuble. C’est là qu’il fait la rencontre du peintre et professeur Paul-Émile Borduas, auprès de qui il crée ses premières œuvres abstraites. Il y fait également la connaissance de plusieurs camarades de classe, comme Marcel Barbeau, Fernand Leduc, Pierre Gauvreau, Marcelle Ferron, Muriel Guilbault et Jean-Paul Mousseau. Ensemble, ils et elles formeront un groupe de 15 jeunes artistes nommé « les automatistes ». Tous et toutes signeront le manifeste Refus global, écrit par Borduas et paru en 1948[2].
Les automatistes à Montréal
Nous retrouvons des membres du groupe des automatistes dans un reportage réalisé par une petite équipe de la production anglaise de l’ONF dans les années 1950, dans le cadre d’une série pour la télévision diffusée sur les ondes de la CBC et intitulée On the Spot. Artiste à Montréal (1954) présente quelques artistes de la métropole québécoise. La séquence tournée à L’Échouerie (un petit café de l’avenue des Pins, aujourd’hui disparu, où le groupe avait l’habitude de se réunir) nous permet de voir et d’entendre Jean-Paul Mousseau, Pierre Gauvreau, Claude Gauvreau et Fernand Leduc expliquer, dans un anglais plutôt approximatif, leur approche de l’art.
Artiste à Montréal, Jean Palardy, offert par l’Office national du film du Canada
Mais, au moment du tournage de ce reportage, Riopelle n’est déjà plus à Montréal. Il vit à Paris et travaille dans un atelier de Montmartre. Il est un peintre reconnu qui expose en France et à New York. Toutefois, à la fin du reportage, Robert Hubbard, le conservateur en chef du Musée des beaux-arts à l’époque, parle de façon élogieuse de l’œuvre de Riopelle et présente un de ses tableaux. Ce premier rendez-vous avec Riopelle dans les films de l’ONF est en quelque sorte un rendez-vous manqué !
Un Canadien à Londres
Il faut attendre deux ans avant de voir Riopelle en chair et en os. Et c’est le film Canadiens errants (1956), tourné à Paris et à Londres, et présenté par Gérard Pelletier, qui nous en donne l’occasion. Ce reportage d’une trentaine de minutes s’intéresse à la vie de quelques Canadiens qui se sont installés dans l’une ou l’autre de ces deux capitales européennes.
Riopelle vit à Paris, mais il va dans toutes les grandes villes qui accueillent ses œuvres. On le retrouve donc à la Galerie Gimpel à Londres, au moment de sa première exposition en Angleterre, en compagnie du présentateur Gérard Pelletier. L’entrevue qu’il accorde est courte, mais on apprend beaucoup de choses sur ses débuts à Montréal, les raisons qui l’ont poussé à venir s’établir à Paris, son succès et ses expositions à venir. Il est intéressant de noter la forme que prend cet entretien, alors que les deux hommes sont détendus et discutent confortablement installés devant une toile du peintre. Riopelle est assis sur un fauteuil bas, tandis que Pelletier est assis par terre ! Ce qui est rare à une époque où les entrevues sont plutôt formelles.
Canadiens errants, Don Haldane, offert par l’Office national du film du Canada
L’homme derrière l’artiste
À la fin des années 1970, le cinéaste Gilles Gascon veut consacrer un documentaire à Riopelle. Il entre en contact avec lui afin de lui parler de son projet. Mais, avant de commencer le tournage, le réalisateur veut établir une relation avec le sujet de son prochain film. Il multiplie les rencontres avec l’artiste. L’important est de créer un climat de confiance entre eux, de développer une complicité. Riopelle a la réputation d’être un être secret, insaisissable. Gascon veut percer ce mystère, se rapprocher de l’homme derrière l’artiste, du génie créateur derrière l’œuvre. C’est ce qu’il compte montrer à l’écran.
Il ne s’agit pas de faire un simple portrait du peintre, sculpteur et graveur, mais, comme il l’écrit dans un document de présentation du projet : « […] vivre Riopelle, sentir ses pulsions, comprendre son cheminement[3] ». Il ajoute : « Le film prendra la forme du personnage, et l’approche suivra sa façon de créer. Riopelle n’exécute pas son tableau, il le découvre à mesure. Il ne prémédite pas. Il est, selon les instants, spontané, intuitif.[4] » Le cinéaste veut donc rester spontané, intuitif, découvrir son personnage au fur et à mesure qu’il se dévoile : une approche qui est en parfaite adéquation avec le style du cinéma direct, que Gascon veut absolument privilégier pour le tournage.
Riopelle II
Le tournage commence en septembre 1980 à Paris, mais Gilles Gascon meurt subitement d’un arrêt cardiaque le matin du 15 dans sa chambre d’hôtel. Dans les bureaux de l’ONF, sur le chemin de la Côte-de-Liesse, c’est la consternation ! Le tournage est arrêté et le projet Riopelle, suspendu. Quelques mois plus tard, Marianne Feaver, qui était l’assistante de Gascon, et le directeur de la photographie Pierre Letarte veulent faire revivre le projet et coréaliser le film. Ils reprennent contact avec Riopelle et sa compagne, la peintre Hollis Jeffcoat. Convaincus qu’ils se doivent d’opter pour la même approche que Gascon, ils multiplient les rencontres avec le couple.
Peu à peu, le désir de poursuivre le film s’amplifie et la démarche se consolide. Après avoir retrouvé le climat qui prévalait avant la mort de Gilles Gascon, Feaver et Letarte commencent le tournage de leur film, dont le titre provisoire est Riopelle II, puisqu’il s’agit du deuxième projet sur Riopelle. Après avoir suivi Riopelle à la chasse aux oies, dans l’atelier de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, où il travaille à la conception d’un plafond de porcelaine avec le céramiste Hans Spinner et la peintre Hollis Jeffcoat, dans son atelier de Saint-Cyr-en-Arthies et au Musée du Québec, où a lieu une rétrospective de ses œuvres, le tournage s’achève à l’automne 1981. Le film, qui s’intitule désormais Riopelle (1982), puisqu’il est en fait la continuité du projet initial de Gilles Gascon, sort l’année suivante.
Riopelle, Marianne Feaver et Pierre Letarte, offert par l’Office national du film du Canada
Cette rencontre que nous proposent les cinéastes Marianne Feaver et Pierre Letarte avec un Riopelle à l’aube de la soixantaine représente sans nul doute une occasion exceptionnelle de voir l’artiste de près. Rarement aura-t-il autant parlé de sa vision de la peinture, de son approche, de son travail, lui qui n’aime pas les entrevues ni parler de ses œuvres. C’est le cas, notamment, lors d’une discussion avec Jean-Louis Prat, le directeur du musée de la Fondation Maeght. Mais surtout, rarement l’aura-t-on autant vu en action, alors que, pendant de longues séquences du film, il travaille, les mains tremblantes mais le geste précis, sur les motifs d’une murale en porcelaine, en compagnie de Hans Spinner et de Hollis Jeffcoat. Cette réussite est sans doute due au fait que les cinéastes ont réussi à établir une véritable relation avec le peintre. Cela se sent d’ailleurs quand Riopelle jette à plusieurs reprises, tout au long du film, des regards complices vers l’équipe.
Un peintre à la fin de sa vie sur son île
C’est un tout autre Riopelle que l’on retrouve presque 20 ans plus tard, à L’Isle-aux-Grues, dans le film de Manon Barbeau Les enfants de Refus global (1998). La cinéaste, dont les deux parents ont été membres du groupe des automatistes et dont le père, le peintre Marcel Barbeau, a signé Refus global, s’intéresse aux enfants de quelques signataires et aux conséquences du geste révolutionnaire de leurs parents sur eux et sur elles.
Bien qu’elle interroge surtout les fils et les filles des Barbeau, Borduas, Mousseau et Riopelle, elle rencontre également quelques parents artistes pour parler de cette époque. C’est à ce moment que Riopelle entre en jeu. On découvre un homme retiré sur une île, taciturne, troublé, dubitatif, solitaire, les cheveux hirsutes, la barbe longue, le regard fuyant, qui a perdu depuis longtemps, selon ses propres dires, le plaisir de vivre. Cette courte séquence est un moment fort du film, une entrevue en peu de mots, très émouvante, parfois malaisante, au cours de laquelle la cinéaste a eu l’excellente idée de filmer son sujet en plan très rapproché, nous permettant ainsi de voir le regard et les réactions d’un homme arrivé à la fin de sa vie.
Jean-Paul Riopelle est mort le 12 mars 2002 à Saint-Antoine-de-l’Isle-aux-Grues, quelques années après avoir accordé cette entrevue.
Les enfants de Refus global, Manon Barbeau, offert par l’Office national du film du Canada
Il ne me reste plus qu’à vous inviter à aller à la rencontre de Riopelle au moyen des films dont on vient de parler. Quatre films. Quatre Riopelle. Celui de la fin des années 1940, du mouvement automatiste, de ses débuts fulgurants à Paris ; celui du milieu des années 1950, des grandes expositions européennes ; celui du début des années 1980, en plein processus créatif ; celui de la fin des années 1990, rendu à la fin de sa vie et qui dira que tout ce qu’il aime, en somme, c’est la solitude.