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Wintopia : une touchante histoire de deuil, d’amour et d’espoir

Wintopia : une touchante histoire de deuil, d’amour et d’espoir

Wintopia : une touchante histoire de deuil, d’amour et d’espoir

« Il parlait toujours de toi. Tu étais pour lui le centre du monde. Il était si fier de toi. » J’ai beaucoup entendu ces paroles lorsque mon père est mort, de la part de personnes provenant de Reykjavik, Amsterdam, Vancouver, Mumbai, Sydney… Ça me surprenait toujours un peu. Il n’avait pas l’habitude de me dire des choses pareilles, mais semblait les dire à des gens de partout dans le monde que je n’avais jamais rencontrés.

Mira Burt-Wintonick est une productrice de radio et une cinéaste primée établie à Montréal. Elle est la cocréatrice et la rédactrice principale du balado Love Me, diffusé sur les ondes de CBC, dans lequel il est question de la complexité des rapports humains.

Mon père était Peter Wintonick, l’« ambassadeur canadien du documentaire », reconnu pour son film Chomsky, les médias et les illusions nécessaires, réalisé en 1992 et fréquemment cité parmi les documentaires les plus influents de tous les temps. Il est mort soudainement, à l’âge de 60 ans, après un bref combat contre le cancer.

Lorsque mon père a appris qu’il était malade, la première chose qu’il a dite était qu’il voulait faire un dernier film. Un hommage au travail d’une vie. De temps en temps, sur une période de 15 ans, il partait seul aux quatre coins du monde pour tourner un film sur l’Utopie. Le mot est en soi une séduisante contradiction, désignant à la fois un lieu parfait et un lieu qui n’existe pas, et résoudre cette impossibilité était devenu une obsession pour mon père, qui passait de longs moments loin de chez lui. Finalement, il a été pris par d’autres projets et ses enregistrements ont fini enfouis au sous-sol. Il y avait environ 300 cassettes vidéo en tout qui, au moment de sa mort, étaient recouvertes de poussière. Bien des pères transmettent à leurs enfants leur dernière volonté, leur demandant par exemple de disperser leurs cendres dans un lieu significatif. Le mien m’a laissé la tâche de conclure son projet de vie, sa quête de l’Utopie.

« Bien des pères transmettent à leurs enfants leur dernière volonté, leur demandant par exemple de disperser leurs cendres dans un lieu significatif. Le mien m’a laissé la tâche de conclure son projet de vie, sa quête de l’Utopie. » – Mira Burt-Wintonick

Après sa mort, j’ai passé plusieurs mois à visionner le contenu des cassettes, transportée dans les profonds recoins de l’imagination de mon père. Ici, il était en Espagne, debout près d’un ancien moulin à vent, battant des bras en se prenant pour Don Quichotte. Là, il se promenait dans un écovillage en Écosse, essuyant des gouttes de pluie sur la lentille de sa caméra, son regard bleu perçant traversant le temps pour plonger dans le mien. Alors que les images défilaient sur l’écran et que je me demandais comment j’allais les assembler, le processus créatif et le processus de deuil se sont mélangés. Il est alors devenu très clair que je ne pourrais pas terminer le film de mon père, mais que je pourrais faire le mien : une tendre enquête sur la vie d’un artiste, d’un chercheur infatigable luttant pour être présent auprès des siens.

L’un des aspects les plus fascinants de ce processus a été pour moi de devoir réconcilier l’optimisme de mon père avec mon propre cynisme.

Lorsqu’il visitait des usines coopératives ou des communes de squatteurs, il y voyait la promesse d’un avenir meilleur. En regardant ses images des années plus tard, à une époque désespérément dystopique, je ne pouvais voir pour ma part que la manière dont ces endroits n’avaient pas répondu aux attentes. Mais plus je passais du temps devant ces images, tout en revisionnant sa filmographie radicale et poétique, et plus j’enregistrais des témoignages de sa famille et de ses amis cinéastes, plus la sagesse de son optimisme se révélait à moi.

Mira Burt-Wintonick (Photo : Jer Clarke)

Pour mon père, la recherche de l’Utopie ne consistait pas à trouver un endroit parfait. C’était plutôt une manière de reconnaître qu’on ne peut pas simplement découvrir un monde meilleur, mais qu’on doit le créer activement, et que le point de départ de cette quête créative réside dans la capacité d’imaginer ce qui existe au-delà du statu quo. En ce sens, Wintopia est essentiellement un film sur l’espoir. C’est un film très personnel qui traite de l’urgence de notre époque. Alors que la crise climatique et le fascisme des temps modernes portent au désespoir, mon père nous rappelle l’importance primordiale de la production consciente et délibérée de l’espoir en tant que moteur essentiel de l’action collective. Qu’arriverait-il si nous refusions d’accepter les défauts de l’époque ? Et si, au lieu de hausser les épaules devant les problèmes du monde, nous nous mettions au défi d’imaginer un avenir différent ? Comment pourrions-nous reprendre un peu la main sur les forces dominant le monde et nos vies ? Ce sont les questions que j’espère voir germer dans l’esprit des gens lorsqu’ils verront Wintopia.

Les réalisateurs Peter Wintonick et Mark Achbar devant le Castro Theatre de San Francisco pour la première de leur film Chomsky, les médias et les illusions nécessaires, en 1993. (Photo : Christine T. Anderson)

Mon père était aussi très drôle, et une de mes principales intentions lorsque j’ai monté Wintopia était de permettre à son sens de l’humour particulier de résonner tout au long du film, en soulignant les moments absurdes et en saluant sa manière enjouée de nous indiquer de ne pas tout prendre trop au sérieux. Je réalise des documentaires audio depuis 15 ans, c’est pourquoi le son et la musique jouent aussi un rôle important dans ce film, captant l’intimité d’une narration réflexive et de conversations téléphoniques personnelles.

Je ne peux pas savoir ce qu’aurait ressenti mon père en voyant comment j’ai réalisé sa dernière volonté, mais je sais ce que ça a signifié pour moi. Lorsqu’une personne meurt, notre dialogue avec elle s’éteint. Avec Wintopia, une nouvelle conversation entre mon père et moi a pu naître. Ce fut comme une dernière chance de le comprendre. D’être proche de lui. Quel cadeau !


Visionnez Wintopia :

Wintopia (Version française), Mira Burt-Wintonick, offert par l’Office national du film du Canada

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