Gaston retrouvé | Perspective du conservateur
Au début des années 1970, alors que le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau fait du bilinguisme une de ses priorités, le Programme français de l’ONF se voit confier la tâche de produire des films permettant aux anglophones du pays d’apprendre le français.
Les artisans responsables du projet écartent d’emblée l’idée de réaliser de simples films didactiques. Une langue, arguent-ils, s’inscrit toujours dans un contexte social, culturel, économique et politique. Les films seront de bons outils pédagogiques s’ils reflètent ces différents aspects. En 1973-1974, l’ONF lance donc une série de courts métrages bien ancrés dans la réalité québécoise, Toulmonde parle français, destinée aux élèves anglophones de tout le pays.
Les films n’auront pas l’effet escompté, mais ils connaîtront beaucoup de succès auprès du jeune public francophone québécois de l’époque! Leurs nombreuses diffusions à la télévision ne sont certainement pas étrangères à ce succès. Les tacots, « Les Oreilles » mène l’enquête et Le violon de Gaston, trois courts métrages écrits et réalisés par le cinéaste André Melançon, deviendront des classiques pour toute une génération de jeunes téléspectateurs!
J’ai adoré ces films! Je me souviens de les avoir vus et revus durant mon enfance. Des films qui auraient pu se passer dans mon quartier, qui mettaient en scène des personnages qui me ressemblaient et dont les péripéties auraient pu être les miennes.
Eh bien, plus de quarante ans après, le hasard allait me faire rencontrer un de ces personnages, du moins le comédien qui l’incarnait, dans des circonstances plutôt inusitées. Laissez-moi vous raconter.
Je l’avoue, avec le temps, je suis devenu paresseux. Je ne me donne plus la peine de déneiger moi-même mon entrée de garage en hiver ni d’entretenir ma pelouse en été. Un soir de novembre, tandis que je réglais les derniers détails d’un contrat de déneigement, le type de la compagnie m’a lancé, en regardant ma carte d’employé que j’avais négligemment laissé trainer sur la table de la cuisine :
« Tu travailles pour l’ONF! Mon frère a joué dans un de vos films!
— Ah bon, lequel?
— Le violon de Gaston.
— C’est qui, ton frère?
— Claude Jolicoeur. Il travaille avec moi dans le déneigement! »
Je l’ai regardé, bouche bée. Le petit Gaston du Violon de Gaston, le joueur de hockey coincé entre une importante partie de hockey et un récital de violon… déneigeur… de mon entrée de garage! Et il portait le même nom que l’actuel commissaire de l’ONF! Je n’arrivais pas à y croire! C’est alors que l’idée de ce billet a commencé à germer dans mon esprit. Il fallait que je rencontre Gaston! L’occasion était trop belle d’en savoir plus sur le tournage du film, la façon de travailler d’André Melançon et de voir, en chair et en os, un personnage qui avait marqué mon enfance!
Je me suis donc retrouvé, quelques semaines plus tard, assis en face de Gaston/Claude Jolicoeur. Nous nous étions donné rendez-vous dans un restaurant d’un complexe sportif de Laval. Lorsque je l’ai vu, ce qui m’a frappé, c’est qu’il avait changé, certes, mais gardé le même regard doux, timide, presque triste du petit Gaston. Voici le compte rendu de notre entretien.
Comment as-tu obtenu le rôle de Gaston?
Je jouais au hockey avec le neveu d’André Melançon. En fait, André s’en venait voir son neveu jouer au hockey. Et possiblement lui offrir un rôle dans le film. Mais ça ne faisait pas. Son neveu était trop nonchalant. C’est là qu’il m’a vu et qu’il est venu me voir après pour me jaser un peu, après avoir demandé la permission au coach. C’est là qu’il m’a dit : « Ça te tenterait-tu de faire partie d’un film, pour aider les gens à apprendre le français? C’est un film où tu jouerais au hockey et on aurait des cours de violon à te donner. » Moi, j’étais ben enthousiaste. C’est comme ça que ça s’est fait.
Et cette première rencontre s’est passée où?
À Pointe-aux-Trembles, à l’aréna Rodrigue-Gilbert. Après ça, y’avait sept gars qui pouvaient avoir le rôle de Gaston. Y’a fallu passer une petite audition. On est tous venus à l’ONF, et c’est moi qui ai été choisi pour jouer Gaston. Les autres ont participé au film, en faisant partie de l’équipe de hockey. J’ai dû suivre des cours de violon. C’était loin de chez moi. C’était au centre-ville. Malgré toute ma volonté, le maximum que j’ai pu faire, c’est apprendre à bien tenir le violon! Je suis un sportif. Ce n’était pas inné en moi de prendre un violon dans mes mains.
Quand André Melançon t’a proposé le rôle, as-tu hésité? Tu n’avais jamais fait de cinéma avant.
Non, pas du tout! Entendre ça, une offre semblable, pour moi ça a été… tabarnouche! C’est quoi ça? Wow! Beaucoup d’enthousiasme! J’ai donné le meilleur de moi-même. J’ai embarqué à fond. J’ai toujours été une personne qui se donne à fond. J’étais comme ça au hockey aussi. C’est comme ça que Melançon m’a remarqué. Pis, quand il est venu me voir, ce n’était même pas une game, mais une pratique! Il a trouvé que même dans une pratique, j’me donnais à fond, j’étais intense.
Le tournage a duré combien de temps?
Près de deux semaines, deux semaines et demie. Ça a été assez long. C’était des longues journées aussi! Tellement que c’est venu me chercher! J’pensais pas que ça serait aussi difficile. Surtout les scènes dans la cuisine avec ma mère qui ne veut pas que j’aille jouer ma partie de hockey. La troisième journée de tournage, le soir, quand je suis arrivé chez nous, j’étais tellement épuisé que j’ai dit à ma mère : «j’veux pus y aller!»
Qu’est-ce qui t’a poussé à continuer?
Les mots de mes parents, pis mon fond intérieur. Je suis un gars qui ne lâche pas. Mes parents se sont servis de ça. Ça m’a recrinqué, pis j’suis reparti. André a été excessivement bon, parce que cette journée-là, y’a vu que ça n’allait pas. Y m’a pris à part. Y m’a dit: «Écoute, Claude, qu’est-ce qui s’passe? Va te reposer un peu.» C’est un gars qui était très calme, un vrai gentleman. J’avais apprécié qu’il m’ait pris à part, qu’il m’ait mis à l’aise. Quand je suis revenu, j’avais une nouvelle énergie. André, c’était un motivateur sur le plateau. Le plus grand défi, ça a été ça. Aujourd’hui, quand je regarde un film, je ne le vois pas de la même façon, je sais tout le travail qu’il y a derrière.
Comment ça se passait sur le plateau avec le réalisateur?
André était excessivement présent. C’est lui qui avait le contrôle total. Pendant qu’on tournait la scène de la cuisine, il me disait : «Demande-toi comment tu peux vraiment convaincre ta mère de te laisser jouer ta partie de hockey.» Il fallait que je puise dans mes idées pour convaincre ma mère. Il nous avait fait un résumé de ce qu’était le film. Il nous mettait vraiment dedans.
Avais-tu lu le scénario avant?
Non. André ne voulait pas qu’on lise le script. Le matin quand on arrivait, il nous résumait la scène qu’on allait tourner. Tout se faisait sur place. Je n’avais rien à lire chez nous. Il y avait quelques lignes par cœur que je devais dire, il y avait un peu d’improvisation, mais fallait quand même respecter les dialogues. C’est pour ça que ça a été long. Ce n’était pas de longs dialogues, mais il fallait quand même que je dise mon texte. Si je ne disais pas précisément ce qui était écrit, mais que c’était bon, il le gardait pareil. Il travaillait comme ça avec les jeunes comédiens. Ça m’a fait quelque chose quand j’ai su qu’André Melançon était décédé. Même si je l’ai vu pendant un mois et demi seulement dans ma vie… Y’a des gens comme ça qui te marquent dans ta vie… On parle d’André Melançon, pas de n’importe qui. J’suis fier de dire que j’ai tourné un film avec lui.
Qu’est-ce qui s’est passé après le tournage?
On a été invités à l’ONF pour voir le film. Mes parents sont venus. J’ai revu le film quelques fois à la télé. Je me souviens de mon cachet. Un gros montant pour moi! Dans ce temps-là, je passais les journaux le dimanche matin et je faisais quatre ou cinq piasses par semaine. J’étais fier de dire à mes parents: «Je vais vous acheter un petit quelque chose avec ça.» Je trouvais que mes parents avaient beaucoup de mérite dans cette histoire-là, d’avoir accepté, de m’avoir encouragé dans les moments difficiles. Et je l’ai fait! Je leur ai fait un cadeau.
As-tu voulu continuer là-dedans après, dans les arts, le cinéma?
Ça a été une opportunité, mais j’étais plus attiré vers le sport. Dans ma tête, je voulais être un prof d’éducation physique. C’est ça que je visais, même jeune, très jeune. Je m’entraînais, je jouais au hockey. Je voulais être un prof d’éduc. Les arts… non.
Es-tu devenu prof, finalement?
Je suis allé voir un orienteur. Il m’a dit que quand j’allais sortir de l’école, le domaine allait être hyper saturé, que je ne trouverais pas de job. Ça m’a découragé, puis finalement, j’ai travaillé dans les assurances. J’ai aimé ça. J’ai eu une belle vie.
Gaston… euh… désolé! Claude n’est pas devenu professeur d’éducation physique ni vedette de cinéma, mais il aura marqué l’imaginaire de bien des jeunes téléspectateurs de l’époque avec son personnage. Merci, Claude!
Je vous invite à voir ou à revoir Le violon de Gaston. Un petit bijou! Un classique signé André Melançon!
Le violon de Gaston, André Melançon, offert par l’Office national du film du Canada
Merci pour cet article/entretien. Je ne connaissais pas ce film. J’ai beaucoup aimé. Et comme je vis à l’étranger, ce court-métrage m’a remplie de nostalgie pour le Québec…
Merci Marc d’avoir pris le temps de faire une entretien avec Claude. Super billet, Le violon de Gaston a toujours été mon préféré de la série Toulmonde parle français.