La série Rwanda et la barbarie de l’homme | Perspective du conservateur
En avril 1994, au Rwanda, des extrémistes hutus se livrent à des tueries de masse sur la population tutsie du pays. Des Hutus modérés, qui s’opposent au régime en place et à la violence, sont également tués en très grand nombre. Ces massacres se poursuivent jusqu’en juillet de la même année, plongeant le pays dans le chaos et l’horreur. Un génocide qui fera, selon les chiffres de l’ONU, 800 000 morts. Certains parlent d’un million de victimes.
Afin de commémorer l’anniversaire de ces événements tragiques, nous vous offrons gratuitement et en exclusivité sur le site de l’ONF une série de trois documentaires-chocs tournés peu de temps après les tueries : La part de Dieu, la part du diable (1995), Pris au piège (1996) et Chronique d’un génocide annoncé (1996), présenté en trois parties.
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Genèse d’un projet documentaire
Au printemps 1994, comme la plupart d’entre nous, les cinéastes Yvan Patry et Danièle Lacourse voient à la télévision les premières images du génocide. La réaction du couple est immédiate.
« Pour nous, ces images de massacres en gros plan, de corps mutilés étaient indécentes, quasi pornographiques. Elles étaient impersonnelles. Elles montraient les victimes comme des corps anonymes, des objets inanimés jonchant les routes. Jamais nous n’entendions la voix des gens », m’expliquait Danièle Lacourse lors d’un entretien qu’elle m’a accordé plus tôt cette semaine.
L’idée d’un documentaire germe alors dans l’esprit des deux cinéastes.
« Nous voulions comprendre ce qui se passait là-bas. Mais surtout recueillir la parole des survivants, raconter l’histoire des événements à travers les gens qui les avaient vécus. Les reportages à la télévision disaient que c’était Hutus contre Tutsis, mais nous soupçonnions qu’il y avait une autre histoire qui se cachait derrière », m’a dit Danièle Lacourse.
Un tournage difficile
En juillet 1994, tout juste après les événements, le couple se rend sur place. Il s’agit d’une des premières équipes de tournage étrangères à se rendre sur les lieux.
Accompagnés par une petite équipe technique, les cinéastes feront, entre 1994 et 1996, trois séjours au Rwanda, où ils feront la rencontre de militants rwandais des droits de l’homme et de survivants du génocide, tous affligés par la perte d’êtres chers dans les massacres. Les conditions de tournage sont extrêmement difficiles.
« Nous n’avions pas d’électricité. Nous devions avoir notre propre génératrice. L’eau potable et la nourriture étaient difficiles à trouver. Il fallait prévoir d’avance. Mais ce sont surtout les conditions psychologiques, émotives qui étaient difficiles à supporter. Voir le traumatisme des gens. Quand des survivants se rencontraient par hasard, ils s’étonnaient de se voir, les uns et les autres, encore vivants. Des scènes qui me donnent encore la chair de poule », m’a raconté avec émotion Mme Lacourse.
Histoire d’un génocide et de ses répercussions
Les images tournées au Rwanda constituent la matière principale de Chronique d’un génocide annoncé (1996), de Danièle Lacourse et Yvan Patry. Le film donne la parole aux survivants, mais il explique aussi le contexte social et politique qui a mené au génocide. Il met en évidence la machine de propagande hutue, qui a conduit de simples citoyens, aidés par les milices extrémistes, à perpétrer des massacres.
Il nous apprend que les tueries se sont poursuivies après le génocide. Les soldats du Front patriotique rwandais (FPR) ont tué, sans autre forme de procès, des centaines de milliers de Hutus (leur nombre reste encore à déterminer) qu’ils tenaient responsables du génocide.
Enfin, le film nous rappelle l’indifférence de la communauté internationale au moment des événements et l’impuissance et la lâcheté, diront certains, des forces onusiennes en place.
Les images du Rwanda serviront également à La part de Dieu, la part du diable (1995), de Sam Grana, Danièle Lacourse et Yvan Patry. Le film porte sur le père Claude Simard, un missionnaire canadien installé au Rwanda, assassiné quelques mois après le génocide.
Le documentaire nous révèle la tragique histoire du père Simard, mais revient aussi sur l’aide humanitaire canadienne au Rwanda au cours des 30 dernières années. Il explique enfin les effets dévastateurs du colonialisme, à l’origine des divisions entre Hutus et Tutsis.
En 1995, l’équipe tourne également au Zaïre, dans un camp de réfugiés où s’entassent des Hutus qui ont fui leur pays et où mourront 3000 personnes par jour. Les images recueillies là-bas formeront la trame de Pris au piège (1996), de Danièle Lacourse.
Le film met en lumière les contraintes, mais surtout les limites et les contradictions de l’aide humanitaire internationale. Alors que l’aide humanitaire porte assistance aux réfugiés du camp, elle nourrit aussi des tueurs, des génocidaires, et renforce l’emprise que ces assassins ont sur les réfugiés.
Une série exceptionnelle
Les trois films qui composent la série Rwanda ont été vus par des dizaines de milliers de spectateurs, entre autres, en Europe, au Japon, aux États-Unis et au Canada, que ce soit à la télévision, dans des festivals prestigieux ou dans des salles de cinéma. Chronique d’un génocide annoncé a reçu plusieurs prix au Festival Hot Docs et un prix Gemini (ancêtre des prix Écrans canadiens pour la télévision). La part de Dieu, la part du diable a remporté le Prix du meilleur montage (Nick Hector) à Hot Docs.
Je vous invite à voir cette série exceptionnelle. Un vrai moment de cinéma. Trois documentaires qui nous rappellent que l’humanité n’est jamais à l’abri des pires dérives.
Chronique d’un génocide annoncé – partie 1 – Le sang coulait comme une rivière, Danièle Lacourse et Yvan Patry, offert par l’Office national du film du Canada