L’ALENA n’a pas toujours fait l’unanimité au Canada | Perspective du conservateur
La renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) est toujours au cœur de l’actualité. Les déclarations-chocs du président Trump, les sorties rassurantes de Justin Trudeau et les commentaires prudents des négociateurs canadiens font régulièrement la une.
Mais la récente imposition de tarifs douaniers sur les importations américaines d’aluminium et d’acier en provenance du Canada, du Mexique et des pays de l’Union européenne ainsi que la riposte canadienne avec des mesures semblables font, plus que jamais, craindre le pire et pourraient signifier la fin de l’accord. Les critiques de Donald Trump à l’endroit de Justin Trudeau au terme du sommet du G7 ne feront rien pour rapprocher les deux camps.
À peu près personne au Canada ne souhaite la disparition de l’ALENA ni ne peut prétendre que l’économie du pays se portera mieux sans un accord de libre-échange nord-américain, dans un monde où le commerce est de plus en plus international.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. Au moment de la ratification de l’accord, en 1992, et de son entrée en vigueur, en 1994, les réticences étaient grandes quant à une entente commerciale entre les États-Unis, le Canada et le Mexique; entente qui promettait d’abolir les tarifs douaniers, de faciliter les échanges transfrontaliers et de multiplier les occasions d’investissement chez les trois partenaires.
Le Canada en plein crise économique
Pour s’en convaincre, il faut voir le film Le nouvel habit de l’empereur (1995) de Magnus Isacsson. À l’époque, alors que le Canada est plongé dans une importante crise économique, le cinéaste s’intéresse à la fermeture prochaine de plusieurs usines de la Mauricie et au sort de milliers de travailleurs de la région dont les emplois sont menacés.
Mais peu de temps après le début du tournage, Isacsson élargit sa perspective et voit dans cette situation une conséquence directe de la signature de l’ALENA. Dans le futur, prédit le film, ce sera pire. Il faut s’attendre à plus de fermetures d’usine et de mises à pied.
Les constats et les perspectives d’avenir du cinéaste sont bien sombres. Certains intervenants du film clament que le libre-échange est une initiative du gouvernement américain, soutenue par les grandes entreprises américaines, et que seuls les États-Unis bénéficieront de l’entente.
D’autres affirment que la mondialisation des marchés n’est qu’un moyen pour le milieu des affaires de contrôler la richesse et de s’arroger le pouvoir politique. Avec cet accord, les grandes compagnies prennent le monde d’assaut. Nos institutions et nos droits sont des obstacles à l’épanouissement de leurs marchés.
Le nouvel habit de l’empereur, Magnus Isacsson, offert par l’Office national du film du Canada
Une menace pour l’environnement?
Les plus pessimistes prophétisent un démantèlement de nos programmes sociaux, tandis que d’autres prévoient que les sociétés canadiennes ne pourront pas rivaliser avec les entreprises mexicaines, là où les salaires sont moins élevés et les règles environnementales, moins strictes. L’ALENA constitue, selon eux, une menace pour nos forêts, nos sources d’énergie et notre eau.
Bien entendu, rien de cela ne s’est réellement matérialisé. Il serait facile de tourner en dérision les propos des protagonistes du film vingt-cinq ans après.
Mais qui aurait pu prévoir une telle mondialisation des marchés, une explosion du commerce en ligne, un taux de chômage au Canada inférieur à 6 % et encore moins une pénurie d’emplois dans certains secteurs de l’économie? L’idée ici est de rappeler qu’il est parfois utile de regarder en arrière afin de mieux comprendre d’où l’on vient et de mieux voir où l’on va. Et quoi de mieux qu’un documentaire pour le faire?
Si Le nouvel habit de l’empereur nous semble aujourd’hui dépassé, il n’en demeure pas moins que le film a le mérite de nous donner un portrait juste et sensible des hommes et des femmes qui, au début des années 1990, revendiquaient le droit au travail et à une vie meilleure, à une époque où la chute de l’URSS ne datait que de quelques années et où la mondialisation n’en était qu’à ses balbutiements.
Le documentaire d’Isacsson rappelle à ceux qui voudraient retourner en arrière dans l’espoir de retrouver une grandeur passée que, contrairement à ce que dit l’expression populaire, plus ça change, moins c’est pareil!
Magnus Isacsson, documentariste marquant
Ancien coprésident de Documentaristes du Canada et vice-président de l’Observatoire du documentaire, Magnus Isacsson a reçu en 2004 le prix Lumières de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec. Ce cinéaste accompli épris de justice sociale s’est employé à explorer les enjeux sociaux et politiques dans des documentaires puissants, qu’il a réalisés tant à titre indépendant qu’à l’ONF. Magnus Isacsson est décédé en 2012.