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5 conseils pour la création d’un cinéma documentaire éthique

5 conseils pour la création d’un cinéma documentaire éthique

5 conseils pour la création d’un cinéma documentaire éthique

Que d’enthousiasme et d’idées novatrices à la Doc Conference du Festival international du film de Toronto 2014! Nous vous avons d’ores et déjà présenté l’hilarant, mais non moins pertinent Manifeste en 13 points pour la production documentaire de Michael Moore et nous récidivons aujourd’hui avec un autre sujet propice à la réflexion : l’éthique en matière de cinéma documentaire.

Le documentaire est une bête délicate. Les notions de vérité, de responsabilité et d’éthique se trouvent au cœur de cette forme d’art souvent tournée vers des enjeux controversés. Dans la suite du présent billet, des cinéastes, dont Joshua Oppenheimer (The Act of Killing), des intervenants de l’industrie, des commissaires de festival et des critiques se penchent sur l’éthique actuelle et future en matière de cinéma documentaire.

Qu’est-ce qu’un bon documentaire?

Au cours de la Doc Conference, un commentaire de Jed Weintrob, directeur de la production de la société Condé Nast Entertainment, m’a particulièrement frappé : « une approche documentaire du récit doit susciter la conversation ».

Bien que Jed Weintrob soit issu du secteur privé, le cinéaste indépendant Joshua Oppenheimer (dont le controversé The Act of Killing, paru en 2012, a fait couler beaucoup d’encre) appuie son commentaire. Le film d’Oppenheimer porte sur l’assassinat de quelque 500 000 Indonésiens au cours des purges financées par l’État. Le cinéaste fait remarquer non sans fierté que cette production a contribué à « enclencher un processus de transformation quant au discours que tient le pays sur son passé ».

Le public de l’ONF a pour sa part beaucoup échangé en ligne sur une foule de sujets controversés et de réflexions. En 2012, la parution de Nous n’étions que des enfants, un film sur la violence qu’ont subie les enfants des Premières Nations dans le système des pensionnats du gouvernement canadien, nous a valu un nombre sans précédent de commentaires et de réactions.

Pour visionner deux extraits, cliquez ici. Le film est offert en location et en téléchargement.

Nous n’étions que des enfants… – (Extrait 1), Tim Wolochatiuk, offert par l’Office national du film du Canada

Au cours d’une réunion d’experts sur l’état de la production documentaire au Canada tenue dans le cadre de la Doc Conference, la réputée cinéaste des Premières Nations Alanis Obomsawin (Kanehsatake, 270 ans de résistance) a indiqué que ses films ont pour effet de représenter « la voix de [notre] peuple, réduite au silence depuis des centaines d’années ».

Sturla Gunnarsson a quant à lui souligné que le documentaire consiste à son avis à présenter « la forme d’expression la plus personnelle qui soit ». Il doit venir du cœur, correspondre à un thème que l’on souhaite profondément explorer. Faisant référence à son film Une force de la nature, paru en 2010, Gunnarsson affirme : « Suzuki comptait parmi mes héros. Nous avions tous deux ces racines profondément païennes nous rattachant au paysage de la Colombie-Britannique. C’est un scientifique, mais doublé d’un mystique. » Cette constatation l’a personnellement inspiré, à tel point qu’il a entrepris la réalisation du film.

Visionnez la bande-annonce, puis téléchargez le film pour le visionner.

Une force de la nature – (Bande-annonce), Sturla Gunnarsson, offert par l’Office national du film du Canada

Que peut ou que devrait faire un documentaire? Prêter une voix à ceux qui n’en ont pas? Réécrire l’Histoire? Changer le monde? Faites-nous parvenir vos commentaires sur le sujet!

Cinq conseils pour la création d’un cinéma documentaire éthique 

J’ai recueilli auprès des participants à la réunion d’experts de la Doc Conference quelques conseils éclairés sur la marche à suivre pour devenir un documentariste responsable et respectueux de l’éthique. Voici les principaux :

1. Garder le contrôle du contenu. Certains critiques ont accusé The Act of Killing de fournir une tribune aux auteurs des crimes horribles commis en Indonésie. Mais Oppenheimer n’est pas de cet avis : « Je n’ai fourni aucune tribune aux meurtriers, affirme-t-il. Jamais ces hommes n’ont eu le contrôle sur les images et ils savaient qu’ils ne l’auraient pas. J’ai conservé le contrôle et finalement, je ne crois pas que les spectateurs sortent de la projection en se disant que les tueurs sont des héros. Le pays, ses médias, son système politique : c’est ça, la tribune des tueurs. Et d’ajouter : mon film rend leurs mensonges insoutenables. »

2. Travailler avec des partenaires qui vous appuient. « En matière de distribution documentaire, explique Lisa Nishimura, vice-présidente de la programmation documentaire originale à Netflix, l’un des défis consiste à atteindre certains résultats en très peu de temps (par exemple la vente de billets pendant la diffusion en salle ou l’ajout de dollars dans le cadre de la diffusion télévisuelle). Comme Netflix ne présente aucune publicité, nous ne sommes redevables qu’à un groupe, celui de nos abonnés. Nous n’avons pas à craindre d’offusquer un commanditaire. » Les cinéastes en devenir tiennent peut-être une solution : Netflix pourrait se révéler le diffuseur rêvé de leurs films controversés (dans la mesure où ceux-ci plairont aux abonnés de Netflix, bien sûr).

3. Laisser aux protagonistes l’orientation du processus. Cette année, le Festival a présenté en première The Look of Silence, l’œuvre la plus récente d’Oppenheimer. Il s’agit en quelque sorte de la suite de The Act of Killing, mais cette fois, le film adopte le point de vue d’Adi, un homme dont le frère aîné a été assassiné il y a cinquante ans au cours des tueries massives financées par l’État indonésien. Oppenehimer raconte ce que lui a demandé Adi : « Je veux connaître les auteurs des crimes. Je veux voir s’ils reconnaissent ce qu’ils ont fait et s’ils savent que c’est mal. » Jamais Oppenheimer n’aurait placé son protagoniste dans une telle situation. C’est Adi lui-même qui a lancé le processus.

Le film de l’ONF Fat Chance (en anglais seulement) illustre d’ailleurs fort bien ce dernier point. Il présente des activistes du mouvement de la « fierté grasse » vaquant à leurs occupations quotidiennes et racontant spontanément leur expérience de vie. Les protagonistes convaincants dont nous faisons la connaissance se trouvent au cœur même de cette inspirante production.

Fat Chance, Jeff McKay, offert par l’Office national du film du Canada

4. Privilégier la sécurité. Adi, le protagoniste d’Oppenheimer, s’exposait au danger en faisant face aux auteurs du meurtre de son frère. « C’était inimaginable qu’il souhaite affronter les meurtriers, de dire  Oppenheimer. [Le fait que l’on affronte les auteurs de crimes alors qu’ils sont toujours au pouvoir] est sans précédent dans l’histoire du cinéma documentaire. Nous nous sommes demandé comment nous pourrions assurer la sécurité de la famille, le cas échéant. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec elle à son relogement dans un endroit plus sûr en Indonésie. Elle avait également la possibilité de partir afin de ne pas demeurer prisonnière [à l’intérieur du pays]. »

5. Être Canadien (sic). Sturla Gunnarsson fait remarquer, à juste titre, que le documentaire constitue « la seule forme d’art non autochtone propre au Canada. Il s’agit du seul genre cinématographique dans lequel nous sommes passés maîtres, dit-il. Du seul genre qui nous vaut une reconnaissance internationale. Nous avons un pays qui convient à la forme documentaire. Nous nous méfions des idéologies et des idées grandioses. Nous essayons sans cesse de faire la lumière sur les choses et de comprendre ce qui se passe réellement. »

Image de l’en-tête : tirée du film The Act of Killing

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