Bydlo de Patrick Bouchard en ouverture de Fantasia 2012
Présenté en primeur en ouverture du festival Fantasia, à Montréal, Bydlo de Patrick Bouchard est une interprétation personnelle d’une œuvre du compositeur russe Modeste Moussorgski en animation image par image. À la veille de la première du film, j’ai interviewé le cinéaste de 37 ans pour discuter avec lui de techniques d’animation, du travail d’équipe et de musique classique.
J’ai rencontré Patrick à l’ONF, où il travaille depuis les 10 dernières années. Diplômé de l’UQAC d’un baccalauréat interdisciplinaire en Arts, où il a étudié à la fois la peinture, la sculpture et le cinéma, c’est en animation qu’il a redécouvert son interdisciplinarité et son attrait pour les travers de l’humain et les univers glauques. Entrevue avec un père de famille qui ne fait pas dans les films d’animation pour enfants.
Catherine Perreault : Fantasia est un festival de cinéma de genre. Ton œuvre s’inscrit bien dans cette mouvance. Les ramoneurs cérébraux (Jutra du meilleur film d’animation 2003), Révérence et Bydlo sont trois films noirs, avec une esthétique un peu sombre, des personnages sans visages, des bruits grinçants (crépitements, distorsion, respirations) et des thématiques qui tournent autour de la tragédie humaine. Qu’est-ce qui t’attire vers ce type de réalisation?
Patrick Bouchard : C’est une question difficile à répondre pour moi, parce que je ne sais pas trop ce qui m’attire dans tout ça. Je travaille par instinct, donc tout me vient assez naturellement. Ce n’est pas commandé par une longue réflexion. Il y a des cinéastes qui font dans l’humour, je pense notamment à Claude Cloutier qui aime bien faire rire avec ses films. Il porte en quelque sorte le rire en lui. De mon côté, je porte peut-être autre chose. Il doit y avoir une partie de moi qui est un peu triste, un peu fâchée, et c’est cette partie qui déborde dans mes films.
J’ai toujours été porté à explorer des sujets assez lourds qui tournent autour des travers de l’humain, des injustices et des abus de pouvoir, comme dans Révérence par exemple. Lorsqu’on choisit des sujets plus lourds, il y a une esthétique qui se joint à ça. Je n’aurais pas pu faire une comédie sur une chanson Dehors novembre des Colocs par exemple.
Naturellement, lorsque j’éclaire mes scènes ou que je fabrique mes décors, je suis porté vers les textures et les éclairages très coupés et contrastés. Ça contribue à une esthétique un peu noire. C’est la même chose pour le son. Je travaille beaucoup avec une texture forte.
D’où vient l’idée de faire un film à partir de l’œuvre Bydlo de Moussorgski?
Lorsque j’étais jeune, ma mère écoutait beaucoup de musique classique. Elle aimait les grands compositeurs, comme Mozart, Chopin et Tchaïkovski. J’avais donc déjà été initié aux Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski lorsqu’une de mes professeurs à l’école nous avait demandé d’interpréter l’un des 10 tableaux de l’œuvre pour nous faire comprendre ce qu’était un poème symphonique.
Pour la petite histoire, Moussorgski a composé ses Tableaux d’une exposition en 1874, après avoir visité une exposition en l’honneur d’un de ses amis décédé un an plus tôt, le peintre Victor Hartmann (1834-1873). Composés comme une suite pour piano, les 10 tableaux en musique s’inspirent de 10 des 400 tableaux peints par Hartmann qui étaient exposés lors de l’exposition commémorative. Moussorgski a composé son œuvre en suivant le parcours d’une exposition et l’état psychologique du spectateur lorsqu’il se promène d’une toile à l’autre. Il a donc composé des interludes en guise de promenades entre les tableaux.
Même si le tableau Bydlo, qui veut dire « bétail » en polonais, n’a jamais été retrouvé – seuls 6 des 10 tableaux subsistent de nos jours – j’ai pu lire quelques correspondances de Moussorgski à ce sujet et m’imaginer cette scène du bœuf sous le joug et de la charrette polonaise.
Peu populaires au 19e siècle, les Tableaux d’une exposition ont été réorchestrés par plusieurs musiciens depuis. La version la plus connue à ce jour est celle de Maurice Ravel, orchestrée en 1922.
Quelle version avez-vous choisie pour la musique du film?
On est partie de la version orchestrée. J’ai travaillé avec le chef d’orchestre et compositeur de talent Robert Marcel Lepage. Il était la personne toute indiquée pour travailler sur ce projet de musique classique. Il a repris la même orchestration que Ravel, tout en l’a réarrangeant légèrement selon notre interprétation. Ce fût d’ailleurs toute une expérience pour moi. J’avais régulièrement des frissons pendant les sessions d’enregistrements en studio. L’orchestre de Robert Marcel Lepage comptait une quinzaine de musiciens. Ils ont tous été d’une grande générosité.
J’ai eu la chance de visiter le studio d’animation dans lequel tu as tourné Bydlo lors des Portes ouvertes des studios d’animation en 2010. Je me souviens avoir été très impressionnée par l’ampleur et la dimension des décors et de certains des artefacts. Pourrais-tu nous expliquer comment tu t’es pris pour aménager ton espace de travail et nous dire quels matériaux tu as utilisés pour construire les décors et les marionnettes?
Les décors paraissaient immenses, parce que je travaillais sur différents plateaux de tournage à la fois, à différentes échelles. Le plus gros plateau mesurait 12 X 12 pieds, alors que le plus petit était de 4 X 8 pieds. J’ai tourné la majorité des scènes sur le petit, mais lorsque j’avais besoin de plus de profondeur de champ, j’utilisais le plus grand. Il y avait également une tête de bœuf presque grandeur nature et des artefacts réels, comme la roue de la charrette. J’aime beaucoup utiliser de vrais objets. Ils possèdent généralement une histoire qu’on ne pourrait réinventer. Autrement, je devais respecter une échelle pour la création des personnages. Il y en avait plus d’une centaine, alors je n’aurais pas pu les faire grandeur nature, car j’aurais manqué de place.
Au niveau des matériaux, j’ai surtout utilisé de la plastiline, ce qui est différente de la plasticine. La plastiline est une matière qui se fond, un peu comme de la cire, et qui ressemble beaucoup à de l’argile. C’est ce qui remplace la terre dans le film.
Pour les personnages, on a créé six modèles différents qu’on a ensuite reproduit à l’aide de moules. C’était plus vite que d’en modeler une centaine!
La plastiline est un matériel qui n’est pas très flexible. Elle se déchire et se brise très facilement. Pour effectuer des mouvements avec les marionnettes sans les casser, j’ai installé des armatures à l’intérieur de chaque personnage, ce qui me permettait de les plier aux articulations.
Pourquoi as-tu choisi de créer un si grand écart entre la taille du bœuf, qui est immense, et celle des hommes?
Pour mettre beaucoup d’importance sur la charrette et le bœuf. Dans mon interprétation de l’histoire du tableau, le bœuf représente la puissance de la nature. Historiquement, c’est un animal chargé de symboles. Je voulais donc mettre beaucoup d’emphase sur sa force et sur sa puissance. La roue symbolise quant à elle tout l’aspect du labeur de l’Homme. Celui-ci réussira à mettre le bœuf par terre par sa multitude et par sa capacité à s’organiser.
Quelle caméra as-tu utilisée pour tourner les scènes de Bydlo?
J’ai utilisé un appareil photo numérique standard, soit un Nikon D300. Cette caméra a ensuite été installée sur un support de caméra sur rails (un Dolly) pour faciliter le motion control. Ce support est une sorte de bras articulé sur six axes, qui permet d’effectuer des mouvements de caméra très fluides.
Tes films sont travaillés dans les moindres détails. On sent tout le travail apporté à l’habillage des images, au montage, à la conception sonore, à la musique et au bruitage. Comment as-tu conceptualisé la postproduction de ton film?
Comme pour tous mes films précédents, j’ai travaillé avec Olivier Calvert à la conception sonore. Je suis un gars fidèle dans mon travail! Lorsque j’ai tourné les scènes du film, j’entendais déjà le film. Olivier et moi avons donc construit tout l’univers sonore au fur et mesure pendant le tournage. Lorsqu’est venu le temps de travailler sur la conception sonore à la fin, nous étions déjà sur la même longueur d’onde.
Peux-tu nous présenter le reste de ton équipe de tournage?
Bien sûr, mais d’abord je dois préciser une chose : ce fût un grand travail d’équipe et j’ai vraiment senti que mon équipe était dévouée au projet pendant toutes les étapes de la production. Tout le monde a travaillé dans le même sens pour réaliser le film. J’ai été très impressionné de leur générosité et de leur humilité dans ce processus. Aucun égo n’a pris le dessus. Même les artistes qui avaient beaucoup plus d’expérience que moi se sont enlignés avec ma vision. C’était fort agréable de travailler avec eux.
Julie Roy a produit le film. Pour la scénarisation, j’ai travaillé avec Cynthia Tremblay. Je n’aime pas suivre un storyboard fixe, scène par scène, mais on a quand même écrit toutes les grandes scènes ensembles, tout en laissant de la place à l’exploration pendant le tournage.
Ensuite, j’ai fait appel à Dany Boivin pour la construction des décors et à Chantal Masson pour l’organisation du calendrier de tournage et pour mettre les assises de la production. Malheureusement, elle a été atteinte d’une grande maladie en cours de route : elle est tombée enceinte! J’ai donc fait appel ensuite au cinéaste Pierre M. Trudeau pour m’assister avec l’animation. J’ai développé une belle amitié avec Pierre. Il m’a appris une nouvelle manière et un nouveau rythme de travail. J’ai beaucoup apprécié notre complicité. C’est un homme de peu de paroles, mais qui possède un grand cœur.
C’est Benoît Chagnon qui a réalisé tout l’habillage des scènes à l’ordinateur. Il s’est occupé des effets de brume, des fonds et des différentes couches.
Enfin, pour le montage, j’ai travaillé avec Alain Baril et à Stéphane Lafleur, le musicien d’Avec pas d’casque et le réalisateur des films Continental, un film sans fusil et En terrains connus. Peu de gens savent qu’il est également un monteur très talentueux.
Ce n’est qu’une partie de mon équipe. Il y a une centaine de personnes qui ont participé au film et je suis éternellement reconnaissant de tout leur travail, de leur implication et de leur dévouement au projet.
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Vous pourrez voir Bydlo de Patrick Bouchard en ouverture du festival Fantasia, en première partie du film For Love’s Sake, ou lors de la projection du 22 juillet, en première partie de Au-delà de l’animation. Pour tous les détails : Bydlo à Fantasia.
***Bydlo remporte le prix spécial Coup de cœur animation, remis à l’occasion du Fantastique week-end du court métrage québécois, un événement thématique du Festival international de films Fantasia. Bravo au cinéaste et à toute son équipe!***