Avenue Zéro – La traite de personnes « dans ma cour »?
Collaboration spéciale de Tanya Koivusalo.
Le sinistre commerce de la traite de personnes passe souvent inaperçu au Canada et cela, même s’il se déroule dans bien des cas sous nos yeux. Dans son documentaire Avenue Zéro, la réalisatrice Hélène Choquette ose aller au-delà des apparences pour examiner le sujet au grand jour. Je lui ai posé quelques questions sur la façon dont elle a vécu ce tournage.
Tanya Koivusalo : Songiez-vous au départ à tourner un film sur la traite de personnes? Comment le film est-il né?
Hélène Choquette : Une sociologue m’a parlé de la traite de personnes au Canada en 2005, au moment où je tournais Bonnes à tout faire, un documentaire portant sur les aides familiales étrangères à l’emploi de familles canadiennes. Elle m’a notamment parlé de la situation des femmes autochtones amenées dans les grandes villes canadiennes pour être exploitées à des fins sexuelles. Ça m’a donné froid dans le dos. Elle a conclu notre rencontre en lançant que ça devrait être ça le sujet de mon prochain film. À l’époque, je n’étais pas prête à me lancer dans un tel projet; comment traiter d’un sujet invisible dans une œuvre reposant principalement sur l’image et des victimes réelles? J’ai donc laissé mûrir l’idée, tout en restant à l’affût de ce qui s’écrivait sur le sujet. Il m’a fallu deux ans de réflexion avant de coucher une proposition de film sur papier.
Y a-t-il des histoires qui vous ont touchée mais que vous n’avez pu intégrer au film?
Il y en a plusieurs! Mais celle qui suit m’habite encore aujourd’hui. C’est l’histoire d’une femme, originaire des pays de l’Est, réfugiée dans un centre venant en aide aux travailleurs migrants. Des agents de la GRC l’y ont emmenée sans donner plus d’informations sur sa situation. Les intervenants du refuge comprennent rapidement qu’elle est gardée à distance de ses exploiteurs. La jeune et ravissante femme blonde détonne au milieu d’une majorité de travailleurs agricoles mexicains. Aucun intervenant ne sait ce qu’elle a vécu, personne ne parle sa langue. Résultat : nul n’est en mesure de lui apporter l’aide nécessaire. Anonyme, la victime s’évapore quelques jours plus tard. On peut comprendre le sentiment de frustration que ressentent des intervenants confrontés à de telles situations. Les organismes qui viennent en aide aux victimes de la traite de personnes réclament des centres qui leur soient dédiés. J’aurais voulu aborder le cas de ces filles des pays de l’Est, mais leurs trafiquants sont particulièrement dangereux et les gens rencontrés lors de mes recherches craignaient pour leur sécurité et la mienne.
Comment l’auditoire a-t-il réagi au film?
Lors des représentations auxquelles j’ai assisté, quelques personnes ont trouvé certains témoignages insoutenables, d’autres ont été choquées de reconnaître une rue ou une station de métro située à deux pas de chez eux. Aujourd’hui, beaucoup de gens concernés ou confrontés à cette réalité visionnent le film. S’ensuivent échanges, débats et réflexions. En dépeignant à la fois la réalité des victimes, des organismes leur venant en aide et celle des forces policières chargées d’arrêter les trafiquants, le film facilite le dialogue entre ces différents acteurs du milieu.
Avenue Zéro sera présenté le jeudi 3 février à 19 h 30 à la Médiathèque ONF (150, rue John à Toronto) et est également offert sur DVD.
Hélène Choquette et l’un des participants du film, Francisco Rico Martinez, ancien directeur du Conseil canadien pour les réfugiés, répondront aux questions du public après la projection.