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Tournée ONF : Regina

Tournée ONF : Regina

Tournée ONF : Regina

*Ce billet est une traduction de l’anglais.

Nous sommes conduits de Saskatoon à Regina par un homme très gentil prénommé Amin (« vous savez, comme lorsque vous priez », dit-il en se couvrant doucement le visage de ses deux paumes). Je suppose qu’il ne s’agit pas d’un blizzard à proprement parler, mais j’ai tout de même l’impression que nous avançons à l’intérieur d’une version « Prairies extrêmes » de ces boules de verre que l’on secoue pour faire voler tous les flocons qu’elles contiennent.

Quand les vents s’apaisent assez longtemps pour me permettre de distinguer quoi que ce soit, je trouve le paysage drôlement beau. Entre des collines paresseuses et des fermes dissimulées sous une épaisse couche de neige, des champs semblent s’étendre à l’infini, ponctués de petites touffes de hautes herbes et de pâturages à vaches clôturés qui me rappellent ces villages romains des bandes dessinées d’Astérix. Et nous poursuivons notre route.

À Regina, le vent hurle. Dans le hall de l’hôtel, lorsque je demande aux gens s’il est illusoire de croire que je peux marcher jusqu’à ce buffet éthiopien situé une dizaine de pâtés de maisons plus loin, l’une des filles m’assure que ça devrait aller puisque j’aurai le vent dans le dos. « Mais rentrer à pied risque d’être plus compliqué, dit-elle d’un air sérieux. Vraiment plus compliqué. »

J’arrive au restaurant Selam les joues rouges et affamée. Heureusement, c’est ouvert et on sert encore le repas de midi. Devant un exceptionnel repas composé d’une injera (cette crêpe à base de farine de tef utilisée comme ustensile) et d’un choix incroyable de huit ragoûts (lentilles, bœuf haché, agneau, haricots verts, poulet et œufs, etc.), je fais connaissance avec Tigist, le cuisinier, et Alex, le propriétaire, qui me parlent un peu de leur restaurant et de la communauté éthiopienne de Regina.

Alex a ouvert le Selam il y a sept ans et raconte avoir passé les trois premières années à travailler vingt-quatre heures par jour et sept jours par semaine (« ni Noël, ni Pâques, ni aucune fête ») parce qu’aucune banque n’acceptait de lui prêter. Un restaurant éthiopien à Regina? Mais à quoi pensait-il? Avait-il perdu la tête?

Contrairement aux prévisions des financiers, les affaires se sont révélées florissantes (et ce n’est pas sans raison : la cuisine de Tigist est absolument géniale). L’année suivante, Alex a ouvert un bar reggae au sous-sol, un endroit qui selon ses dires grouille de monde le week-end et où bien des artistes de l’extérieur (dont la sensation torontoise du soul Jully Black) viennent se produire en spectacle. Il y a six mois, à l’étage, il a ajouté à ce mélange un coin détente meublé avec goût et où l’on peut fumer le narguilé.

« Ici, beaucoup d’étudiants qui fréquentent l’université viennent du Moyen-Orient, des Émirats, dit-il. Il est tellement important pour eux de pouvoir relaxer et socialiser autour d’un narguilé après l’université ou le travail. Il n’existait rien de ce genre pour eux ici à Regina, dit-il d’un air profondément compatissant. Quand quelque chose fait à ce point partie de notre culture et qu’on en est soudain privé, c’est comme si on nous retirait l’eau ou la nourriture. » Dès mon retour à l’hôtel, une recherche rapide me confirme qu’Alex semble savoir de quoi il parle. Sur Facebook seulement, le seul et unique salon de narguilé que possède Regina compte largement plus d’un millier d’amis.

Outre la nourriture, la chaleur et la générosité d’Alex contribuent assurément à la mystique du Selam. Depuis des années maintenant, il mène sa croisade afin de renseigner les gens de la région sur l’Éthiopie et de les séduire non seulement par l’estomac, mais également par l’oreille. Bien qu’il s’entretienne volontiers avec quiconque manifeste de l’intérêt (moi, par exemple), ses efforts s’orientent plus précisément sur les quelque 300 enfants éthiopiens qu’ont adoptés les familles canadiennes du secteur et qui, à leur arrivée, sont souvent trop jeunes pour se rappeler vraiment de leur pays d’origine. « Ils viennent ici et quand je présente des vidéos musicaux sur les écrans, des vidéos musicaux d’Éthiopie en amharique, ils sont si fascinés qu’ils en oublient complètement leur assiette », dit-il.

Être témoin d’une telle soif de savoir l’a d’ailleurs amené à diffuser une émission de radio hebdomadaire en amharique afin d’offrir aux enfants un lien concret avec certains aspects de leur culture. Mais Alex ne se contente pas de paroles : il contribue également à recueillir des fonds – des milliers de dollars – en vue d’envoyer ces jeunes en Éthiopie. Pendant que je me remets à manger, il me montre une lettre qu’une jeune femme lui a laissée récemment, le remerciant de lui avoir permis de faire son premier voyage en Éthiopie. « Je ne sais pas, dit-il. Ces choses-là me rendent heureux. »

Et est-il besoin de préciser que j’ai moi aussi été heureuse de voir cet endroit et d’entendre ces histoires. Des histoires sur les étudiants d’Abu Dhabi et d’Azerbaïdjan qui se rassemblent pour prendre le thé et fumer la pipe à eau afin d’échapper, l’espace de quelques heures, aux rues glacées de Regina. Des histoires sur les différents beats qui se déchaînent au sous-sol dans le bar reggae, et s’opposent aux sonos locales acharnées entièrement diffusées par des canadiens d’origine japonaise et chinoise. Je me dis que ce que je vois ici, c’est mon pays. Que mon pays, c’est ça! Je suis tellement ravie que je ne remarque même pas le vent qui souffle à m’en arracher le visage alors que je rentre à pied à l’hôtel.

Ce soir-là, la réunion se tient dans une galerie d’art du nom de Nouveau Gallery. C’est un endroit des plus accueillants (que les propriétaires habitent, je crois) à l’intérieur duquel il y a beaucoup à voir. Pendant que les invités entrent, j’admire un triptyque de cuirs de bison pelucheux et laineux tendus sur des toiles carrées. Il s’intitule Bison postmoderne (génial!). En haut, à la mezzanine, je trouve deux toiles plus petites de Joe Fafard (le type des vaches). Quelqu’un à qui je parle après la rencontre m’apprend que Nouveau compte parmi les galeries les plus prospères de la province.

Une fois la présentation terminée, un blogueur local très connu dont le sobriquet en ligne est « saskboy » s’adresse à l’assemblée. Il explique qu’il est originaire du village de Saskatchewan où le documentaire Grain Elevator (en anglais) a été tourné en 1981. Il veut, poursuit-il, que nous sachions à quel point nos vidéos sont difficiles à incorporer aux blogues et qu’il a essayé en vain d’incorporer Grain Elevator à son propre blogue. « Je blogue depuis 2002 et je me considère comme un spécialiste, dit-il. Si moi, j’ai du mal à comprendre comment il faut incorporer les vidéos, alors d’autres ont sans doute la même difficulté. » Il ajoute que si l’ONF souhaite rayonner davantage et amener les gens à visionner ses films, il doit veiller à ce que ses vidéos soient au moins aussi faciles à partager que celles de Youtube. « Parce que si j’ai plus de facilité à incorporer et à partager de stupides vidéos de chats téléchargées sur Youtube par des enfants de 13 ans en Californie, il y a un problème », affirme-t-il.

Près de lui, un homme raconte qu’il arrive d’une réunion sur les refuges destinés aux sans-abri  et s’attaque lui aussi à la question du fossé numérique, mais « vue de l’autre bout du spectre –  l’analogique ». Il fait remarquer que la télévision devient de plus en plus morne, qu’on ne raconte plus les histoires locales et que tout le monde ne possède pas Internet haute vitesse et demande en conséquence s’il serait possible d’ouvrir un café ONF 24 heures à l’intention des sans-abri. « Vous savez, un endroit où l’on pourrait présenter des films toute la journée et où les gens pourraient entrer et regarder en sirotant un café… »

Plus tard, un homme du nom de Richard dit avoir aimé la présentation de Tom et son ouverture d’esprit. « C’est bien que vous soyez venu ici pour soulever des questions et non pas forcément pour y répondre », souligne-t-il. Il ajoute que les médias traversent actuellement une période de fluctuation, maintenant que « cette même vieille enveloppe de ressources que nous possédions auparavant a disparu. Comment allons-nous avancer? », demande-t-il. S’il déplore jusqu’à un certain point de voir les anciennes structures s’effondrer, il estime par ailleurs que toutes les nouvelles possibilités suscitent beaucoup d’enthousiasme. « Je suis vieux, dit-il. Je ne contribuerai pas à apporter de solutions. Je ne verrai pas le nouvel ordre mondial. Mais je sais qu’il est pour bientôt. »

Lorsqu’on lui demande s’il aimerait faire part des réalités particulières à Regina, un homme déclare que selon lui, la question n’est pas que l’on ne raconte plus les histoires locales, mais plutôt que celles-ci se trouvent submergées par tout le reste. « C’est comme si nous nagions à contre-courant, ici, dit-il. S’il existe 500 canaux de télévision, 495 d’entre eux sont programmés à Toronto. » Il reprend ensuite le thème qu’un autre participant avait abordé précédemment au sujet de la différence entre bâtir une nation et bâtir une société. « Bâtir une nation… je ne sais pas trop, réfléchit-il à voix haute. Ça semble plutôt restrictif. Mais bâtir une société – ici et maintenant – alors ça, c’est un projet! »

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