Les Fros : rencontre avec la réalisatrice Stéphanie Lanthier
Après avoir été présenté en première mondiale au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, le long métrage documentaire Les Fros – Des débroussailleurs d’espérance, coproduit par DOC Productions et l’ONF, sera présenté en ouverture des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) mercredi, le 10 novembre 2010. Pour en savoir davantage sur ce film tourné dans le fin fond du bois en Abitibi, j’ai rencontré la réalisatrice, Stéphanie Lanthier.
Entrevue avec une fille du bois.
Catherine Perreault : Pourquoi as-tu voulu faire un film sur les débroussailleurs de l’Abitibi? Qu’est-ce qui t’a attiré vers leur histoire?
Stéphanie Lanthier : Le film s’inscrit dans la mouvance de mon premier long métrage Deux mille fois par jour (2004), dans lequel ma coréalisatrice, Myriam Pelletier-Gilbert, et moi avions suivi des planteurs d’arbres dans la forêt québécoise le temps d’un été. On avait remarqué les débroussailleurs qui travaillaient à côté de nous et on voyait à quel point leur réalité était très différente de celle des planteurs. Ils n’ont pas le même âge, ni les mêmes origines ou les mêmes tâches.
Ma décision s’est aussi prise à la suite des conclusions de la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. J’avais un certain malaise face à tout ce que les gens ont dit dans les médias pendant celle-ci. Je voulais donc faire ce film pour montrer la réalité des immigrants lorsqu’ils arrivent au Québec. Dans la forêt boréale, on pense qu’il n’y a que des bûcherons québécois « pure laine ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce sont surtout des Roumains, des Africains ou des gens de nationalités différentes. J’y vois une allégorie de la société québécoise d’aujourd’hui, dans toute sa diversité ethnique et culturelle.
CP : Qu’est-ce qui t’a le plus surprise en suivant ces hommes?
SL : J’ai été étonnée de leur grande sensibilité et de leur ouverture à me parler. Je suis la fille d’un bûcheron, alors je sais que normalement, ils ne parlent pas beaucoup. Ce n’était pas du tout le cas des débroussailleurs que j’ai rencontrés. J’ai eu la chance de vivre avec eux au quotidien. Ils se sont rapidement ouverts à moi et ont accepté de me parler pendant leurs pauses et même, en travaillant. Il faut savoir qu’ils sont payés au nombre d’hectares qu’ils réussissent à couvrir dans une journée. Pour eux, le temps est de l’argent. Chaque minute est comptée. J’ai donc trouvé qu’ils avaient fait preuve d’une grande générosité envers moi.
CP : As-tu rencontré seulement des gars?
SL : Je n’ai croisé qu’une seule fille, Florentina, une Roumaine qui travaillait avec son mari. Elle n’a pas voulu témoigner dans le film, parce qu’elle ne maîtrisait pas assez le français ou l’anglais. Sinon, j’étais presque toujours la seule dans les camps. Les femmes débroussailleuses sont très rares. Elles représentent peut-être 1 % de la main d’œuvre? J’ai été chanceuse, on m’a accepté tout de suite. J’avais mon chien, mon camion et mon coffre d’outils avec moi. J’étais une des leurs. D’ailleurs, mon coffre à outils s’est avéré utile à quelques reprises lorsqu’on était sur le terrain. Je crois que les gars ont bien apprécié m’avoir avec eux dans ces moments-là (rires)! J’ai aussi eu à négocier quelques séductions, mais rien de surprenant ou de déplacé.
CP : Les personnages du film sont très attachants. T’attendais-tu à rencontrer des gens aussi colorés?
SL : On l’espère toujours. On cherche des gens qui ont un potentiel cinématographique, même lorsqu’on veut faire un documentaire. J’ai été choyée avec Mamadou, Gérard et Antonie (Tony pour les intimes). Ils étaient tous très à l’aise avec moi et ma caméra.
Toi qui travaille avec le Web, tu vas trouver ça drôle : j’ai fait connaissance de Mamadou grâce aux médias sociaux. J’ai été reçue en entrevue à Radio-Canada pour parler de mon film et la conjointe de Mamadou, qui m’avait écouté à la radio, m’a tout de suite écrit via la page Facebook du projet. J’étais sur le point de partir en Abitibi pour commencer le tournage et Mamadou était entre deux contrats. On s’est donc arrangé pour se croiser là-bas. En tout, j’ai filmé des gens venant de trois camps différents, tous à des kilomètres l’un de l’autre. Disons que la distance est différente dans le bois. Tout est éloigné et les camps sont immenses.
CP : Qu’est-ce que tu retiens le plus de ton expérience en Abitibi?
SL : Une grande fierté. Je suis fière de montrer une réalité peu commune, soit celle des immigrants qui travaillent en forêt. Ils quittent d’abord leur pays et ensuite, ils quittent leur famille six mois par année pour aller travailler dans le bois. Il faut le faire.
J’ai aussi eu la chance de travailler avec une équipe extraordinaire. On aurait eu droit à un tout autre film si ce n’était pas du travail de ma monteuse, Aube Foglia. Elle a réussi à tresser une histoire formidable avec tous plans que je lui ai rapportés.
CP : As-tu rencontré des difficultés sur le terrain?
SL : Très peu. J’ai eu deux crevaisons avec mon camion, mais je m’en suis bien sortie. Je n’étais pas trop loin des camps. Sinon, tout s’est bien passé. Un ours a passé à 30 mètres en arrière de moi pendant que je filmais le premier matin, mais je ne m’en suis pas rendu compte… et c’est tant mieux!
CP : Le film sera présenté en ouverture des RIDM. Quelle fût ta réaction lorsque tu as appris la nouvelle?
SL : C’est inouï! Je me sens très privilégiée. Ce film est mon premier long métrage réalisé en solo. Ce fût toute une surprise quand on me l’a annoncé. Je crois que mes deux jambes m’ont lâchée! Présenter un film en ouverture d’un festival comme les RIDM, qui présentent des œuvres de grands cinéastes internationaux, est un immense privilège.
CP : Que souhaite-tu le plus à ton film?
SL : Je souhaite avant tout qu’il permette d’offrir une plus grande reconnaissance aux travailleurs forestiers et aux immigrants du Québec.
CP : On va le souhaiter aussi. Merci Stéphanie et bonne première montréalaise.
SL : Merci!
Les Fros – Des débroussailleurs d’espérance sera présenté en ouverture des RIDM ce mercredi le 10 novembre 2010, à 19 h, au Centre Pierre-Péladeau.
Il sera aussi projeté le 15 novembre, à 18 h, à la Grande Bibliothèque de Montréal.
Détails et programmation aux RIDM
La sortie en salle est prévue à partir du 12 novembre :
– au Cinéma Amos, à Amos.
– au Capitol de Val d’Or, à Val d’Or
Et à partir du 10 décembre :
– au Cinéma Parallèle, à Montréal
– au Cinéma Le Clap, à Québec
Blogue : Les Fros : Les chroniques d’une cinéaste au pays des mouches noires.
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