Franchir la ligne : pour les athlètes LGBTQ2+ qui souffrent encore en silence
Récemment, au cours d’une matinée tout à fait ordinaire, je reçois par Messenger quelques mots d’un « ami » Facebook. Vous les connaissez, ces gens qu’on n’a jamais rencontrés en personne, mais avec qui on a quelques amis en commun.
« As-tu fini ton film ? », demande-t-il. Je suis un peu surpris par sa question. (Comment sait-il au juste que je travaillais sur un film ? S’est-on déjà parlé sur Messenger ?) Je suis quand même fier de lui envoyer la petite promo bien ficelée du documentaire.
Il poursuit : « Mon cousin, un excellent joueur de hockey, un gai dans le placard, s’est suicidé. Apparemment, il est sorti du placard et ça a mal tourné. »
Je suis sous le choc.
« Oh, mon Dieu ! Étiez-vous proches ? »
« Voisins et meilleurs amis, dès la naissance. Je pourrais t’écrire l’histoire de sa vie et de sa mort », écrit-il.
J’apprends que son cousin était une vedette dans sa communauté et qu’il est mort il y a près de 20 ans.
Mais, de toute évidence, cet homme qui m’écrit, lui-même gai, l’a toujours dans son cœur.
« Je pense à lui tous les jours, souvent plusieurs fois par jour. »
Je pense au nombre de gens qui, comme cet ami Facebook, ont souffert en silence en raison de la masculinité toxique dans le sport. Et à la manière dont, dans mon film, les trois athlètes élites qui se livrent devant la caméra ont tous été atteints de troubles de santé mentale : dépression, surconsommation de drogues et d’alcool et, dans le cas de Brock McGillis, tentatives de suicide.
Je pense aussi au fait que la Ligue nationale de hockey, en 2021, ne compte pas un seul joueur ouvertement gai et, de surcroît, aucun ancien joueur ouvertement gai. Or, pendant ma recherche, une personne qui occupe un poste haut placé à la LNH m’a confié qu’il y a bel et bien des joueurs gais dans la ligue, mais qu’ils ne veulent pas faire de sortie publique. C’est trop difficile.
Pourtant, au cours du travail de développement et de production de mon film, qui s’est échelonné sur plus de cinq ans, certains de mes amis et de mes connaissances ont été surpris par mon choix de sujet. L’homosexualité dans le sport, c’est de l’actualité ?
Des hommes hétéros, surtout, ont tenté de me convaincre que les jeunes ne sont plus homophobes, que dans les faits le problème est réglé. Mais ma recherche révélait que, même si le milieu des sports évolue, le chemin qu’il reste à faire est énorme. Et les trois protagonistes de mon film — David Testo, ancien joueur de soccer professionnel pour l’Impact de Montréal, Anastasia Bucsis, ancienne patineuse de vitesse olympienne, et Brock McGillis, ancien joueur de hockey professionnel — illustrent avec candeur et émotion le déchirement que représente le fait d’être passionné par un sport qui nous rejette.
Aujourd’hui, je suis très content que l’ONF offre mon film gratuitement sur son site web à tous les Canadiens et à toutes les Canadiennes. Et j’ai une pensée spéciale pour mon ami Facebook, et pour tous les athlètes LGBT et leurs proches qui ont souffert et continuent de souffrir en silence.
Visionnez le film :
Franchir la ligne, Paul Émile d’Entremont, offert par l’Office national du film du Canada