Entretien avec Janet Perlman, cinéaste en résidence au Musée de la civilisation
Le Musée de la civilisation de Québec présente en ce moment une exposition fantastique intitulée Image x Image – Le cinéma d’animation à l’ONF, dont vous avez peut-être entendu parler. À travers plus de 250 œuvres, le Musée met en lumière l’esprit d’innovation déployé au fil du temps par les animateurs de l’ONF pour renouveler leur art, puis invite le visiteur à produire à son tour un court film dans le laboratoire d’animation.
L’un des aspects les plus formidables de cette exposition – qui se déroule jusqu’en août 2015 – tient au fait que le Musée accueille en résidence plusieurs animateurs de premier plan. Tour à tour, sous le regard du visiteur, les cinéastes s’emploient à réaliser un nouveau projet à l’intérieur d’un studio installé au cœur de la salle d’exposition.
Au cours des prochains mois, nous brosserons le portrait de chacun de ces créateurs débordants d’imagination au moment où s’amorce sa période de résidence. Il y a quelques semaines, nous vous présentions le portrait du premier animateur à vivre l’aventure. Il s’agissait du jeune et talentueux Francis Desharnais. C’est maintenant au tour de Janet Perlman, artiste réputée et candidate aux Oscars, d’entreprendre la résidence . Elle a bien voulu répondre à nos questions. Dans l’entretien qui suit, vous découvrirez ce qui stimule sa créativité, les techniques qu’elle privilégie et l’amour de l’animation qui… l’anime.
De gauche à droite : les animateurs Francis Desharnais, Janet Perlman et Patrick Bouchard à l’ouverture de l’exposition Image x Image – Le cinéma d’animation à l’ONF, en juin 2014.
Quelques mots sur Janet
D’origine montréalaise, Janet Perlman s’est taillé une place de choix dans l’animation et la création de courts métrages cinématographiques, de publicités télévisées et de films éducatifs. Parallèlement au travail qu’elle réalise à titre indépendant, les films qu’elle conçoit pour le compte de l’ONF lui valent une reconnaissance internationale, dont une nomination aux Oscars pour La tendre histoire de Cendrillon Pingouin.
La tendre histoire de Cendrillon Pingouin, Janet Perlman, offert par l’Office national du film du Canada
Janet signe également les textes et les illustrations de quatre livres pour enfants : Cendrillon pingouin, Le costume neuf de l’empereur Pingouin, The Penguin and the Pea et The Delicious Bug. À l’ONF, elle conçoit la série d’animations AnimaPaix, qui porte sur la résolution de conflits. Ses films Dîner intime et La danse des brutes obtiennent plusieurs prix prestigieux à Chicago, Montréal et Berlin. Janet vient par ailleurs de terminer le court métrage Monsieur Pug, pour le Studio d’animation français de l’ONF. Elle a enseigné l’animation à Harvard, à la Rhode Island School of Design et à l’Université Concordia.
La danse des brutes, Janet Perlman, offert par l’Office national du film du Canada
Q et R sur l’improvisation, l’inspiration sonore, la technologie numérique et sur ce qui s’y rattache…
Blogueuse de l’ONF Jovana Jankovic (JJ) : Janet, le projet que vous avez proposé pour votre résidence comprendra l’animation des immeubles, ainsi que des objets et des textures trouvés un peu partout dans le musée. Y a-t-il quelque chose qui vous inspire particulièrement dans cet établissement?
Janet Perlman (JP) : Lorsque j’ai proposé le projet, je n’avais pas encore visité le musée, mais je voulais lancer un processus qui allait laisser une large place à la spontanéité et à l’improvisation. J’ai décidé de faire du musée ma muse : le film sera donc un collage de tout ce que je trouverai, non seulement les objets et les images faisant partie des expositions, mais également la texture des planchers et des murs, le feuillage des plantes extérieures, et même les serviettes de table et les muffins du café. J’ai visité le musée récemment et j’ai hâte d’intégrer des images et des documents historiques de Québec et certaines antiquités romaines à ma production. Ce sera très amusant de voir comment cet amalgame éclectique finira par devenir un film.
JJ : Dans l’animation que vous allez créer, le rythme s’harmonisera à une bande sonore préexistante, n’est-ce pas? Vous avez déjà expérimenté cette méthode (Sorry Film Not Ready, I want to go home). Qu’est-ce qui vous plaît, dans le fait de vous inspirer du son pour concevoir l’image? Quel est le principal défi de cette démarche? Quelle bande sonore utiliserez-vous pour votre résidence en animation?
JP : J’utilise souvent des bandes sonores préexistantes. Elles constituent un guide fort utile pour établir le mouvement et la cadence de l’animation, surtout lorsqu’il s’agit de réaliser un film expérimental sans scénario, comme celui-là. Le fait de disposer d’une bande sonore me permettra aussi de montrer aux visiteurs du musée la façon dont je m’y prends pour synchroniser l’animation au son. J’ai demandé à la compositrice Judith Gruber-Stitzer, avec laquelle je travaille fréquemment, de réaliser une bande sonore d’une minute. Je lui ai donné carte blanche en lui faisant simplement part du sentiment que j’aimerais communiquer.
JJ : La technologie numérique est en train de transformer les arts médiatiques. Quels aspects des nouveaux médias et des nouvelles technologies estimez-vous utiles dans votre travail? Ferez-vous appel à certains de ces éléments dans l’animation que vous réaliserez au musée?
JP : Tous les aspects de la technologie numérique me semblent libérateurs. Ils ont supprimé bien des corvées qui empoisonnaient la production des films d’animation. Tout semble possible. Il y a très longtemps que j’utilise l’ordinateur et aujourd’hui, la quasi-totalité de mon travail est informatisée. Je dessine directement à l’ordinateur avec Cintiq, une combinaison d’écran et de tablette graphique. J’apporterai d’ailleurs un Cintiq au musée pour réaliser l’animation. Je me sers de plusieurs logiciels et dans le cadre de ce projet, je prévois utiliser ToonBoom Harmony, After Effects et Photoshop.
JJ : Bon nombre des films que vous avez créés avec l’ONF sont hilarants, mais n’en contiennent pas moins un message important (par exemple L’invasion des crustacés de l’espace est absurde et adorable, mais il renferme une leçon magistrale sur la communication). Comment faire pour trouver le juste équilibre entre l’humour et l’enseignement? L’animation que vous allez créer en résidence se fondera-t-elle également sur ces thèmes?
L’invasion des crustacés de l’espace, Janet Perlman, offert par l’Office national du film du Canada
JP : J’aime que mes films comportent un enseignement ou un message. Il arrive qu’on me charge de transmettre le message, comme c’est le cas dans L’invasion des crustacés de l’espace, mais il m’arrive aussi de vouloir personnellement aborder un enjeu social, notamment dans Dîner intime ou La danse des brutes. Et puis parfois, le message émerge de lui-même chemin faisant, par exemple dans Monsieur Pug. Je reste cependant bien à l’écart de toute approche didactique. J’utilise toujours l’humour, avec lequel je suis tout à fait à l’aise, en m’assurant que le message ne compromet pas l’aspect divertissement, bien que l’un et l’autre puissent être d’égale importance.
Le film que je réaliserai au musée ne repose sur aucune histoire et ne comporte aucun message. Il s’agit plutôt d’une production expérimentale axée sur le courant de la conscience, et je n’ai pas la moindre idée du résultat auquel j’arriverai. J’ai déjà eu l’occasion de créer ainsi, spontanément et rapidement, et j’aime beaucoup travailler de cette façon. C’est bien différent des films que je conçois en m’appuyant sur une histoire.
JJ : Est-ce la première fois que vous effectuez une résidence comme celle-ci, durant laquelle les visiteurs pourront vous regarder travailler? À quoi vous attendez-vous? La présence des visiteurs pourrait-elle influencer le résultat final?
JP : Je n’ai jamais fait de résidence comme celle-ci et je ne sais pas du tout à quoi m’attendre. Est-ce que ce sera gênant? Est-ce qu’il me faudra sans cesse expliquer ce que je fais? À moins que personne ne m’écoute et que je doive expliquer mon film au gardien de sécurité!
JJ : Qu’est-ce qui vous plaît, dans l’animation? Qu’est-ce qui vous interpelle en tant qu’artiste, dans ce type de cinéma? Qu’est-ce qui a déclenché chez vous cette passion?
JP : Cette passion m’a frappée plutôt par hasard, au moment où j’ai dû suivre un cours d’animation obligatoire à l’école des beaux-arts. Je n’avais aucune envie de suivre ce cours, mais je n’avais pas le choix. Lorsque m’est venue ma première idée de film, j’ai senti que je tenais à la concrétiser et je me suis laissé prendre au jeu. L’animation englobe beaucoup de mes champs d’intérêt : dessin, narration et humour, danse et mouvement, musique. Il y a toujours quelque chose de nouveau à essayer et c’est chaque fois une aventure.
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L’exposition Image x Image – Le cinéma d’animation à l’ONF est présentée jusqu’en août 2015 au Musée de la civilisation de Québec. Outre Francis Desharnais et Janet Perlman, les créateurs Claude Cloutier, Patrick Bouchard, Theodor Ushev ainsi que Dale Hayward et Sylvie Trouvé devraient compter parmi les animateurs en résidence. Pour plus de renseignements sur l’exposition, y compris un aperçu en photos des artefacts, lisez ce billet de blogue.