Suivant la thématique « Investir des nouvelles formes de communication. Investir dans l’expérimentation », les invités ont tour à tour discuté des réalités de la production Web et de l’importance de l’innovation dans ce secteur en développement.
Ma collègue Emilie Nguyen et moi étions présentes à cette rencontre. Nous vous présentons aujourd’hui un compte-rendu en sept points.
2- Les différents formats
Antoine Viviani et ARTE se sont donné un défi lorsqu’ils ont décidé de réaliser un long métrage pour le Web. « Nous sommes allés à l’inverse des habitudes courantes, qui favorisent plutôt le court métrage », nous a-t-il expliqué. En effet, visionner le film de 86 minutes demande un certain engagement de la part des internautes. Ils doivent y consacrer du temps.
À l’inverse, l’ONF a plutôt choisi d’expérimenter la formule du court métrage en produisant une série d’essais photographiques de formats plus modestes en partenariat avec Le Devoir. Mais petit format n’égale pas nécessairement facilité. Selon le producteur Dominique Willieme, le court métrage contient ses propres défis : « Il faut tenter de réaliser une expérience complète qui se consomme dans un « temps Web », soit 10-12 minutes maximum, a expliqué le producteur de l’ONF. Il faut un équilibre entre la durée et le fond. Nous sommes encore en train d’expérimenter cette formule. »
3- L’utilisation des codes et des outils existants
Afin de produire sur le Web, il faut savoir exploiter ce que le Web nous offre déjà. Pour David Carzon d’ARTE, ce principe est très important. « Lorsque nous lançons un projet, nous ne nous préoccupons pas d’utiliser notre propre visionneuse. Nous lançons nos bandes-annonces à la fois sur YouTube, sur Vimeo, sur Dailymotion, sur les réseaux sociaux et sur toutes autres plateformes qui s’offrent à nous. »
Boris Razon de France Télévisions abonde dans le même sens : « Il faut essayer de faire autrement tout en recyclant ce qui existe déjà. » À titre d’exemple, il nous cite le feuilleton documentaire La campagne à vélo, géolocalisé à la fois sur Facebook et sur Twitter, et le projet Défense d’afficher, pour lequel son équipe a communiqué uniquement par Skype. « Il faut refuser les principes… par principe », affirme avec humour Boris Rozon.
Pour son essai photo Un vendredi soir au club vidéo, coréalisé par la journaliste Alexandra Viau et Deux Huit Huit, le photographe Cédric Chabuel a choisi quant à lui de se réapproprier le GIF animé, une pratique que l’on croyait oubliée. « Certains codes qui existaient au départ, mais qui avaient disparu avec le temps, font leur retour en force. C’est intéressant de les voir réapparaître », a-t-il admis. Le jeune photographe a eu cette idée en parcourant certains blogues de mode qui utilisent de plus en plus les GIF animés artistiques (ou cinemagraphs) pour ajouter du mouvement à leurs photos.
- Un vendredi soir au club vidéo (ONF)
ARTE a aussi fait usage des GIF animés pour Ainsi soient-ils, un projet sur la foi. Pour promouvoir la série Web, l’équipe a eu la bonne idée de créer un compte Tumblr. Le compte fictif était animé par un jeune prête qui publiait des GIF animés humoristiques en lien avec la prêtrise et sa vie au Séminaire des Capucins. « Au même moment, on a aussi lancé une série de courtes bandes-annonces sur différentes plateformes : YouTube, Vimeo, Dailymotion, etc., a raconté David Carzon. Le but était que les utilisateurs s’approprient le projet et le diffusent et le partagent ensuite eux-mêmes sur le Web. »
4- L’importance des partenariats
Les représentants d’ARTE, de France Télévisions et de l’ONF s’entendent aussi sur ce principe : les partenariats entre producteurs et entre producteurs et diffuseurs sont essentiels. Selon David Rozon, ils sont nécessaires pour aller plus loin et pour dépasser les frontières, mais aussi pour aller chercher plus de moyens (techniques ou financiers). «C’est aussi une occasion pour nous de partager nos connaissances », affirme le responsable du pôle Web chez ARTE. Hugues Sweeney de l’ONF approuve : « Il n’y a pas de compétition, ni de relation de concurrence entre les partenaires. Nous sommes toujours dans une relation gagnant/gagnant, poursuit-il. Les connaissances que nous acquérons en travaillant ensemble servent à tous les partenaires. »
L’ONF collabore aussi avec des diffuseurs de contenu, comme Le Devoir ou le Huffington Post. C’est le cas pour le projet Un vendredi soir au club vidéo, produit en partenariat avec Le Devoir. Présent lors du rendez-vous au FNC Pro, Paul Cauchon, le directeur de l’information adjoint au Devoir, a avoué tirer beaucoup d’avantages de ces partenariats : « Nous essayons toujours de trouver de nouvelles façons de raconter des histoires et de s’adapter aux nouvelles pratiques des lecteurs, a-t-il commenté. Le Web nous apporte une nouvelle audience et un public beaucoup plus large ». Pour accompagner les essais photographiques de l’ONF, le journal construit des dossiers autour des différentes thématiques et propose des articles, des reportages et des chroniques. Vous trouverez le plus récent exemple, soit le dossier sur les clubs vidéo, ici.
5- Participation et engagement de l’audience
L’engagement de l’audience est un autre levier essentiel de la réussite sur le Web. Selon les présentateurs, il est important d’entretenir une conversation constante avec eux et de les inclure dans le processus créatif et participatif. Il faut également les inviter à diffuser des informations sur le projet à leur propre réseau. « Nous ne sommes plus dans une relation du type « Je te montre et tu regardes », avance Hugues Sweeney. Nous sommes rendus à l’étape du « Je te montre, tu me montres et nous créons quelque chose ensemble. »
De son côté, France Télévisions cherche à faire vivre une expérience à son auditoire : « Il y a toujours quelqu’un quelque part à qui l’on propose de vivre quelque chose, croit Boris Razon. On ne lui demande pas juste de visionner ou d’écouter une œuvre, on lui demande d’y prendre part. »
Pour réussir à interpeller l’audience, il faut l’inclure dès le départ dans le processus créatif. « Si l’on crée une œuvre sans penser aux internautes et que l’on essaie par la suite de les faire participer au projet, on risque de ne pas y arriver, explique Hugues Sweeney. Il faut penser au public dès le départ et l’inclure à tous les niveau de la production. »
C’est ce que son équipe a fait avec son plus récent projet Journal d’une insomnie collective. Dans un premier temps, les usagers sont invités à créer du matériel écrit, audio et vidéo en répondant à un questionnaire en ligne. Cette matière première servira ensuite à créer la deuxième phase du projet. L’internaute devient ainsi un participant à part entière du processus créatif.
- Journal d’une insomnie collective (ONF)
6- Ouverture face aux changements
Chez France Télévisions, on a adopté la « xénophile attitude », c’est-à-dire une ouverture face à ce qui est étranger aux programmes. « Nous essayons d’avoir une grande ouverture face à la participation des audiences, face aux nouvelles technologies ou aux nouvelles façons de faire, nous dit Boris Razon. Il a fallu changer l’ancienne façon de faire. Par exemple, nous acceptons maintenant que les gens laissent des commentaires sur nos projets. »
Avec Manipulations, France Télévisions a expérimenté une nouvelle façon de fragmenter le récit. Collé sur l’actualité politique en France et s’inspirant de l’affaire Clearstream, le documentaire Web se joue des informations, des archives et des indices afin de reconstruire la réalité. En visitant le projet, l’internaute est invité à reconstituer les événements, à enquêter, à poser des questions et à faire des liens entre les différents protagonistes. Un exercice qui l’amène à se questionner sur la manipulation de l’information et sur les théories du complot, alors qu’il devient lui-même maître de l’histoire.
- Manipulations (France Télévisions)
7- Multiplication des médias et des plateformes
Selon Boris Razon, « l’important est de se demander quels sont les médias les plus appropriés pour raconter une histoire. Est-ce que c’est le son, l’image, le texte, la photographie, la vidéo? Les choix sont nombreux, mais ils ne s’appliquent pas tous au même type de contenu. » C’est le même principe pour les plateformes de diffusion. « La technologie doit être au service de l’histoire, affirme David Carzon. Il faut aussi savoir innover dans la narration. » Un bel exemple d’innovation de ce côté est le documentaire Web Alma – Une enfant de la violence, qui permet à l’internaute d’accéder aux différents niveaux du récit à l’aide d’un mouvement de souris (ou de doigt sur les tablettes numériques).
- Alma – Une enfant de la violence (ARTE)
La bonne nouvelle est qu’il est maintenant possible de jouer en temps réel sur tous les supports : télévision connectée, réseaux sociaux, commentaires sur le site, système de votation, téléphones intelligents, tablettes numériques, etc. Les possibilités sont nombreuses et les résultats sont étonnants. Les productions Web nous offrent tout un monde à découvrir et nous avons déjà hâte de s’y aventurer.
Rédigé avec la collaboration d’Emilie Nguyen Ngoc.
Photo d’en-tête : Hugues Sweeney, Boris Razon, Paul Cauchon et David Carzon, accompagnés de l’animatrice du panel. Crédits : FNC Pro