Retour sur la Course destination monde avec Danic Champoux
La Course Évasion autour du monde a annoncé qu’elle revenait pour une deuxième saison. J’en profite pour continuer ma série d’entrevues avec les anciens de la Course destination monde qui travaillent dans l’industrie du cinéma aujourd’hui. Et ils sont nombreux! Cette semaine, j’ai eu la chance de rencontrer l’un de nos deux Cinéastes en résidence à l’ONF, Danic Champoux, pour discuter de son expérience pendant la course de 1996-1997, mais aussi de son dernier long métrage documentaire, Séances, qui prend l’affiche du Cinéma ONF cette semaine. Discussion sur les voyages, la maladie et la mort…
Catherine Perreault : Pourquoi as-tu choisi de t’inscrire à la Course destination monde en 1996?
Danic Champoux : J’habitais à Sept-îles à l’époque. Je n’étais pas personnellement un fidèle de l’émission, mais je sortais avec une fille qui l’écoutait religieusement tous les dimanches. Elle n’en manquait pas une. Lors d’une des dernières émissions, l’animateur Pierre Therrien avait lancé un appel de candidatures pour la saison suivante. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de m’inscrire. Ce qui m’attirait le plus dans tout ça, c’était les voyages. J’avais 18 ans et le plus loin que j’étais allé, c’était en Floride en voiture avec mon père. J’étais au cégep et je ne savais pas trop ce que je voulais faire de ma vie. Je me cherchais.
Je me suis inscrit aussi en réaction à ce que je voyais à la télévision. La course n’était pas une émission que j’affectionnais particulièrement. À vrai dire, j’aimais bien m’en moquer. Je trouvais certains participants un peu « pédants » avec leurs textes trop poétiques. Je riais d’eux et ça faisait fâcher ma blonde! Je voulais tenter l’expérience différemment. J’ai donc envoyé un dossier de candidature que j’avais réussi à monter au cégep sur l’heure du midi et j’ai été sélectionné. Je n’avais aucune expérience. Je n’avais même jamais filmé avec une caméra jusqu’à ce moment. Heureusement, ils ne prenaient pas de reporters professionnels. Ils sélectionnaient différents types d’individus. Moi, j’étais le bouffon. Le but était d’offrir un bon show de télé, ce qui a fonctionné puisqu’on m’en parle encore 15 ans plus tard! La course a marqué l’imaginaire et a fait voyager les gens. C’était beau de voir des ti-culs comme moi qui sortaient des HLM et des bidonvilles du Québec et qui se retrouvaient dans des situations périlleuses ou dramatiques à l’autre bout de la planète. Ça donnait tout son charme à l’émission.
Quel pays as-tu visité? Peux-tu nous décrire ta course?
J’ai fait 19 pays en tout, en commençant par la Bulgarie, l’Ukraine, la Turquie et l’Iran. Après, je suis descendu sur le continent africain au Soudan, au Kenya, à Madagascar et à l’île de la réunion. Ensuite, je suis remonté jusqu’en Inde, au Népal, au Laos, au Cambodge, au Vietnam, en Malaisie et en Indonésie. J’ai terminé mon parcours en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Certains coureurs étaient très organisés. Pas moi. J’ai pas mal tout improvisé en cours de route. Il y avait 5 ou 6 zones découpées par la production et il fallait réaliser deux topos par zone, ce qui ne nous empêchait pas de changer de pays. Comme je voulais me « bourrer » le plus possible, j’ai changé de pays entre tous mes topos, sauf peut-être une fois en Iran.
Comment as-tu vécu ton retour à Montréal?
À quelque part, je crois que j’ai vécu une espèce de choc posttraumatique après la course. Je suis revenu un peu ébranlé de tout ce que j’avais vu et vécu à l’étranger. Ce fût très long avant je revienne complètement de mon voyage. Je venais de vivre une expérience surréelle et je m’étais mis dans des situations plutôt dangereuses à plusieurs reprises. J’ai même fait envoyer quelques cassettes par l’entremise des valises diplomatiques des ambassadeurs canadiens, parce que j’étais certain que ça ne passerait aux douanes. Disons que je n’ouvrais pas ma carte du monde en me disant : tiens, j’ai le goût d’aller filmer un opéra autrichien… J’étais plus intéressé aux rescapés de la révolution ou aux fumeurs d’opium dans les pays islamiques. Disons que j’étais déboussolé quand je suis revenu à Montréal.
Quand as-tu su que tu voulais faire du cinéma après la course?
La question ne s’est pas posée. À mon retour à Montréal, on m’a tout de suite offert de l’argent pour continuer à faire la même chose, c’est-à-dire filmer des topos. J’ai travaillé sur les émissions Bons baisers d’Amérique chez Pixcom et Fax (anciennement Fax 57) à Musique Plus. J’aimais ça et on m’offrait de beaux chèques de 800-900 $ pour réaliser des topos de 5 minutes, ce que je n’avais jamais reçu de ma vie. Tous les arguments étaient bons pour moi de rester à Montréal et de continuer dans la même voie. En plus, j’avais envoyé des demandes de subventions à la SODEC et j’avais reçu une bourse de 10 000 $ pour écrire un long métrage. Dans le temps, je pouvais vivre un an et demi avec ce montant-là!
La course m’a aidé à me tracer un chemin dans le reportage et dans le cinéma documentaire. Le lien entre le cinéma avec un grand « C » et la course est peut-être ténu pour certains, mais il est là. À partir du moment où tu mets deux images ensembles, que tu interviens dans une image ou une scène, ou que tu interviens dans la parole de l’autre, tu fais du cinéma. D’ailleurs, les films qui m’ont le plus marqué dans ma vie sont Les Raquetteurs (Brault, Groulx), Golden Gloves (Groulx), Les bûcherons de la Manouane (Lamothe) ou les films de Perrault. Ce sont tous des courts films tournés à la manière du cinéma direct qui durent environ une dizaine ou une vingtaine de minutes.
Tu as tourné plus de 120 heures de pellicule dans plus de 54 pays. Pourtant, pour ton dernier film, Séances, tu as choisi de rester entre les mêmes quatre murs d’une salle d’attente du centre d’oncologie de Cowansville. Comment est née l’idée de ce film sur des patients qui se font traiter en chimiothérapie?
Séances est arrivé sur la table par l’entremise d’un autre film qui n’a jamais vu le jour. Je suis arrivé à l’ONF à l’époque où Yves Bisaillon était encore producteur. J’avais l’idée de faire un film pour enfants : un trente minutes avec des animaux au zoo de Granby. C’est drôle d’ailleurs que Denis Côté ait sorti son film Bestiaire cette année. Je voulais moi aussi tourner des animaux en captivité. Je trouvais que c’était plus révélateur et que ça en disait long sur leurs conditions.
Quand Monique Simard est arrivée à l’ONF, elle a tout réorganisé le Studio français. Yves Bisaillon a quitté l’ONF et plus aucun producteur ne voulait prendre la relève de mon projet. Alors on l’a laissé tomber. Monique m’a demandé si j’en avais un autre. Ça adonnait que j’étais dans une réflexion sur la mort et sur la maladie suite au décès de ma grand-mère du cancer.
En vieillissant, je me pose beaucoup de questions sur la mort, surtout depuis que j’ai des enfants. Je trouve que la mort guide trop ma vie pour ne pas que je m’y intéresse de plus près et je souhaitais orienter mon travail vers le sujet. Je voulais aller voir si l’on n’exagérait pas un peu trop la maladie et la mort. La productrice Colette Loumède a embarqué dans le projet et je suis parti filmer au département d’oncologie de Cowansville pendant un an avec mon équipe.
Ce n’est pas un peu sombre comme sujet de film?
Jusqu’à présent, les seules expériences que j’ai vécues par rapport à la mort ont été plutôt positives. On dit souvent : pire que la mort, c’est la maladie. Pourtant, quand tu te retrouves avec des gens atteints du cancer, tu te rends compte qu’il y a une vie après le choc de l’annonce de la maladie. Le quotidien finit toujours par reprendre le dessus. C’est ce qui m’a frappé en tournant au département d’oncologie. Ces gens se retrouve face à la mort, même si l’on est tous au courant que l’on va mourir un jour, et ils continuent à vivre leur vie normalement. Je trouve ça très rassurant.
Le tournage s’est passé presque uniquement dans cette salle d’attente où les patients sont assis en cercle. Est-ce que c’était un défi technique?
Oui. Je n’aurais pas pu tourner ce film avec des amateurs. Imagine un peu le défi du preneur de son qui devait capter ce que se disaient deux personnes assises d’un bout à l’autre de la pièce pendant que d’autres conversations avaient lieu tout autour. L’enfer! Je travaille généralement avec la même équipe sur le terrain : Stéphane Barsalou au son et Alex Margineanu à la caméra. On travaille ensembles depuis longtemps et je leur fais totalement confiance. Ils ont fait un travail hors pair.
Ce fût aussi un grand défi au montage. On a filmé pendant un an et de nouvelles personnes s’ajoutaient ou quittaient le groupe. Normalement, un patient vient une fois aux trois semaines. Si je suis absent à ce moment-là, je peux être six semaines sans le voir. Il y a aussi des conversations qui ont été prises sur plusieurs jours, avec des gens qui avaient changé de vêtements. Il fallait qu’on fasse à croire que tout ça s’était passé dans les mêmes 2-3 jours. Le monteur René Roberge a vraiment fait un travail sensationnel. Les transitions se font doucement d’une scène à l’autre et les histoires se suivent sans problème. Il a fait un travail de magicien. Je crois que c’est un de ses meilleurs montages en carrière.
Avez-vous eu de la misère à convaincre les gens à participer au film?
Non, parce que lorsque ces gens-là ont eux-mêmes appris qu’ils avaient le cancer, ils auraient tout fait pour trouver un film comme celui-ci, qui leur aurait montré comment ça se passe vraiment un traitement de chimio. Pour l’instant, ils arrivent tous la face longue la première fois qu’ils entrent dans la salle de traitement, c’est comme s’ils allaient passer à l’abattoir, mais ils se rendent vite compte que ce n’est pas si pire que ça.
Certaines personnes survivent à la maladie, d’autres non. Tu as passé beaucoup de temps avec plusieurs patients pendant le tournage. As-tu vécu des deuils?
C’est sûr que ça nous fait toujours quelque chose d’apprendre qu’une personne est décédée. Il y a un monsieur en particulier qui, pour x raison, m’a beaucoup touché. On avait vraiment connecté pendant le tournage. J’étais même allé le visiter chez lui pour prendre de ses nouvelles. C’est le seul avec qui c’est arrivé. Je ne sais pas pourquoi. Il aimait la chasse et la pêche et il ressemblait un peu à un de mes oncles. Il pêchait la barbotte de la même façon que lui. Il avait un côté familier. Je ne sais pas. Je m’étais dit que s’il avait été plus jeune, on serait sûrement devenu de bons amis.
Tous ces gens m’ont appris à mourir. Pour moi, la mort suite à un cancer est devenue la plus belle mort qui soit. Je ne voudrais pas partir en criant comme un idiot devant ma télé en écoutant un match de hockey. J’ai vu des gens qui ont eu la chance de partir avec dignité, tout en ayant le temps de dire au revoir aux personnes qu’ils aiment. C’est presque un luxe. S’il y a une chose que tu veux montrer à tes enfants avant de partir, c’est bien comment faire pour sortir de scène élégamment…
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Séances est à l’affiche du Cinéma ONF du 11 au 15 avril à Montréal, à 19 h, en présence du réalisateur et de quelques protagonistes du film. Pour plus d’informations, visitez le site de la CinéRobothèque.
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