Dans l’imaginaire de Franck Dion
De passage à Montréal pour compléter son dernier film d’animation Edmond était un âne, le réalisateur français Franck Dion a accepté de me rencontrer pour discuter de son travail et me présenter son personnage d’Edmond, un être à la fois attachant, complexe et différent.
Assise dans le bureau qui lui a été prêté par Julie Roy, coproductrice du film au Studio Animation et Jeunesse du programme français de l’ONF, j’ai visionné la version complète de ce court métrage d’animation directement sur l’ordinateur portable du cinéaste… en sa compagnie. Ce moment aurait pu être des plus angoissants, mais heureusement pour moi, Franck Dion est une personne fort sympathique et son regard inspire gentillesse et confiance. Entrevue avec un voyageur de l’imaginaire.
Catherine Perreault : Comment l’idée du personnage d’Edmond vous est-elle venue?
Franck Dion : L’histoire est inspirée d’un dessin. (L’illustrateur ouvre alors un dossier sur son ordinateur et me trouve l’illustration en question. On y voit Edmond en costume-cravate debout devant un mur de casiers gris. Il dégage un certain air de fierté.) Je trouvais que le personnage avait l’air content de porter un bonnet d’âne sur la tête. Je suis donc parti de cette idée qu’un âne peut avoir des qualités positives, comme la douceur et la gentillesse. Évidemment, la perception habituelle que nous nous faisons de cet animal est plutôt celle de l’idiot. C’est d’ailleurs ce que pensent ses collègues de travail, qui lui mettent le chapeau sur la tête en premier lieu, mais Edmond ne se perçoit pas de cette manière. Lorsqu’il se voit avec le bonnet pour la première fois dans un miroir, il y a un déclic qui se fait. Il aime ce qu’il voit dans la glace. Il décide donc d’adopter le bonnet en permanence.
Pourquoi adopte-t-il le comportement de l’animal?
J’ai d’abord eu la volonté de faire un film sur la folie, sur la maladie mentale et sur l’isolement. Edmond n’est pas sain d’esprit. Il y a quelque chose qui cloche chez lui. Il ne réagit pas « normalement » au bonnet d’âne. Il me fait penser aux gens qui sentent qu’ils vivent dans une peau qui n’est pas la leur. Il y a toute cette idée du transgenre dans le personnage.
Edmond est beaucoup plus petit que les autres personnages du film. Tout semble immense et démesuré autour de lui. Pourquoi?
J’avais en tête l’image d’un âne qui vit dans un monde de chevaux. C’est une volonté de décalage. Pour moi, Edmond est décalé par rapport à son entourage, mais il ne le sait pas. Il ne joue pas le rôle d’une victime. Il fait de son mieux avec sa réalité, tout simplement. Socialement, il est différent, à part. Le port du bonnet d’âne le révèle à sa propre folie. C’est un déraillement mental.
Quelle technique d’animation avez-vous utilisée?
Le film est en 3D. C’est le troisième court métrage d’animation que je réalise et j’ai voulu utiliser une nouvelle technique d’animation pour chaque film. Il faut croire que j’aime les défis! Très rapidement, je me suis orienté vers la 3D. C’est le personnage qui a défini la technique. Ses mouvements sont très lents et très doux. Je trouvais que la 3D s’y prêtait bien.
Quelles sont les étapes de production d’un film en 3D?
J’ai commencé par créer un scénarimage filmé. Cette étape m’a permis de me faire une bonne idée du montage et du rythme du film. C’était aussi un bon outil pour être plus précis avec mon équipe dans mes instructions.
Par la suite, je suis passé à l’étape de la modélisation des personnages en 3D. Pour ce faire, j’ai dessiné des croquis en trois dimensions, qui ont ensuite été récupérés et modélisés par un spécialiste. Ce dernier me les a renvoyés pour que je puisse texturer les dessins, c’est-à-dire que j’ai appliqué de la peinture sur les modèles 3D dépliés (à plat).
J’ai envoyé le tout à Lyon à l’entreprise Vanilla Seed, qui a réalisé toute l’ossature des personnages afin qu’ils soient « animables ». Celle-ci les a à son tour fait parvenir au Studio Train Train pour l’animation. J’ai aimé travailler avec cette équipe d’animateurs. Je suis d’abord un illustrateur, donc je ne fais pas beaucoup d’animation en tant que telle, mais je devais leur donner une sorte de « direction des acteurs » et valider tout le travail. Une fois animée, les scènes étaient ensuite renvoyées à Lyon pour les rendus.
Comme vous pouvez le constater, la 3D est un processus très fastidieux. Je dois admettre que j’ai eu beaucoup de mal à m’y adapter au départ. Je me voyais dépendant d’une technique que je connaissais moins.
Referiez-vous un film en 3D dans le futur?
Certainement. Je crois que je serais plus à l’aise maintenant que j’ai déjà expérimenté avec la technique une première fois. Il y a une dizaine de personnes qui ont travaillé sur l’image en huit mois, ce qui est relativement rapide. Il fallait que je sache coordonner toute l’équipe, d’autant plus que je suis coproducteur du film avec Arte et l’ONF.
Je dirais que la 3D m’a permis d’obtenir le visuel, la texture et la lumière que je désirais. Cette technique propose un rendu très neutre et permet plus de liberté. J’ai même pu retravailler l’image dans le logiciel d’édition Photoshop et diminuer « l’effet 3D » pour obtenir une image de cachet.
Comment se passe votre expérience en sol canadien?
C’est très agréable de pouvoir voyager pour son travail. Je me sens privilégié de faire ce métier. Je suis à l’ONF présentement pour travailler sur la conception sonore du film. J’ai beaucoup appris en venant à Montréal, d’autant plus que le concepteur sonore Pierre-Yves Drapeau a fait un travail remarquable.
Quand pensez-vous terminer le film?
Le film sera prêt au début du mois de janvier. Il sera diffusé sur la chaîne Arte en Europe ainsi que sur son site Web (Arte.tv) pendant le Festival du film d’animation d’Annecy. Après, on verra.
En attendant, je vous invite à suivre les aventures d’Edmond sur mon blogue : Edmondwasadonkey.com. J’y raconte les différentes étapes de production et j’y ai mis quelques images et des photographies. J’y ajouterai plus d’infos lorsque je rentrerai à Paris, en décembre.
Éventuellement, j’aimerais aussi y ajouter une partie interactive, où les gens pourront suivre l’évolution des dessins et les ajouts de lumière et de texture. Ça permettra de mieux comprendre les étapes que je vous ai expliquées un peu plus tôt.
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Nous le ferons, c’est promis. Bonne chance avec la suite!
Merci beaucoup!
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Edmond était un âne est un film d’animation d’une grande beauté esthétique. L’ambiance grisâtre et l’environnement d’Edmond rappellent les grandes villes industrielles de l’Europe de l’est. Pas vraiment un film pour enfants, ce court métrage d’animation explore la maladie mentale et d’autres pathologies humaines à travers un personnage à la fois complexe et attachant.
Site officiel : Edmond était un âne
Visionnez la bande-annonce :
Voyez aussi cette courte vidéo d’Edmond dans les couloirs de l’ONF :
Crédits illustrations et vidéo : Franck Dion. Tous droits réservés.
Sur la photo : Franck Dion