La jeune fille qui pleurait des perles : quand enfreindre les règles fait naître la magie
La jeune fille qui pleurait des perles : quand enfreindre les règles fait naître la magie
Quand on pense à l’animation image par image (stop motion), on se représente souvent les créateurs comme des perfectionnistes qui conçoivent minutieusement chaque plan, obsédés par les moindres détails. Or, si le tandem à l’origine de La jeune fille qui pleurait des perles est certes soucieux du détail, le processus de création du film révèle une facette beaucoup plus ludique : son goût de l’imprévu.
En laissant place à l’expérimentation et à la spontanéité, Chris Lavis et Maciek Szczerbowski ont découvert que les erreurs transformaient le processus créatif. Ils ont souligné que les accidents de parcours lors de la production du court métrage ont été parfois des bénédictions déguisées.
Voici quelques-uns des heureux accidents qui ont contribué à donner une âme au film.

LA PATINE DU TEMPS
Lors de la construction du décor, inspiré du Montréal du début du XXe siècle, un incident a déterminé l’aspect de la maison délabrée. Les cinéastes expliquent: « La maquette originale avait été mise à sécher à l’extérieur de notre studio, mais il y a eu un orage imprévu et, à notre retour, elle était déformée. Le résultat nous a tellement plu que nous avons intégré les déformations dans le modèle final. »

TROUVAILLES INATTENDUES ET OBJETS RECUPÉRÉS
Les créateurs de La jeune fille qui pleurait des perles ont appliqué une logique de récupération, transformant des objets jetés au rebut en éléments de décor. Les brosses en acier des balayeuses de rue sont devenues des supports structurels, tandis que le carton imbibé de pluie, le bois pourri ou les flacons de médicaments vides ont trouvé une nouvelle vie dans le monde miniature qu’ils ont construit. De minuscules jouets et horloges provenant d’une maison de poupée ont été utilisés pour garnir le magasin du prêteur sur gages, et des accessoires de films anciens ont également été recyclés. Les spectateurs les plus attentifs pourront repérer le tourne-disque de Madame Tutli-Putli et le piano de l’expérience en réalité virtuelle Gymnasia. Ce recyclage inventif a ajouté de la texture et de l’authenticité au langage visuel du décor.

Les cinéastes ont mis au point une technique de peinture novatrice pour le film, qui consiste à utiliser des sacs poubelles pour créer des motifs aléatoires et irréguliers sur les surfaces. Cette technique simple et rapide a permis de donner au décor un aspect vieilli et patiné.

MALENTENDUS EN PÉRIODE DE PANDÉMIE
Au cours des premières semaines du confinement lié à la COVID-19, Chris Lavis et Maciek Szczerbowski ont été contraints de fabriquer les marionnettes séparément chez eux (l’un sculptant les têtes, l’autre les corps), ne se rencontrant qu’occasionnellement « dans une ruelle à deux mètres de distance » pour commenter l’avancement de leur travail respectif. En raison d’une erreur d’échelle, les têtes étaient beaucoup trop grandes par rapport aux corps. Cela aurait pu être catastrophique et coûter des semaines de travail aux cinéastes, mais ils ont décidé d’accepter cette erreur, et les têtes surdimensionnées sont devenues un élément esthétique du film.

DES CONTRAINTES DE BUDGET
Pour la première fois de leur carrière, les cinéastes ont conçu un scénario avec beaucoup de dialogues et de narrations. Le budget du film ne permettait toutefois que 3 minutes d’animation buccale pour une histoire de 16 minutes. La seule solution semblait être de réécrire l’histoire ou d’abandonner le projet. Puis ils se sont souvenus que, depuis toujours, ou presque, les marionnettes expriment leurs émotions sans bouger la bouche ni cligner des yeux et sans aucune autre expression faciale. Si un enfant pouvait donner vie à une marionnette ou à une poupée sans recourir à des effets spéciaux générés par ordinateur, se sont-ils dit, pourquoi ne pourrait-on pas également le faire dans un film?
Ils ont décidé que les animations de bouche en images de synthèse ne seraient utilisées que pour les scènes se déroulant dans le présent, tandis que, pour celles se déroulant dans le passé, les marionnettes auraient des expressions fixes et ne pourraient exprimer leurs émotions qu’au moyen du geste et de la pantomime. Les marionnettes modernes seraient peintes en silicone, tandis que les personnages du passé seraient peints à l’huile, évoquant les idoles en bois des églises ou les marionnettes des théâtres de marionnettes. Le contraste entre les deux styles, passé et présent, moderne et nostalgique, correspondait parfaitement au thème du film.

ANIMATION SANS SCÉNARIMAGE
Les créateurs ont préféré adopter un processus plus intuitif et spontané que le scénarimage (une série de dessins servant à visualiser l’animation à venir). Ils ont donc plutôt construit des maquettes approximatives des décors, répété avec les acteurs et filmé l’intégralité du scénario sous plusieurs angles. Ce processus leur a permis de saisir « les petites nuances inhabituelles et les comportements réels », et de préserver la spontanéité tant dans les interprétations que dans le travail de la caméra.

En enfreignant les règles et en acceptant les erreurs, Chris Lavis et Maciek Szczerbowski ont transformé les accidents en occasions. Le résultat stupéfiant nous rappelle que, dans la vie comme dans l’art, l’élément de magie le plus important reste la surprise.
Pour visionner le film :
La jeune fille qui pleurait des perles, Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, offert par l’ Office national du film du Canada